Cindy Sherman

Cindy Sherman

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Cindy Sherman née en 1954 dans le New Jersey, Cindy Sherman a étudié la peinture au State University College de Buffalo, dans l'État de New York. Grâce à ses condisciples, parmi lesquels le peintre Robert Longo, Cindy Sherman découvre la photographie au travers de documents qui enregistrent les productions de la performance et de l'art conceptuel.
Cindy Sherman s'intéresse alors aux œuvres de Gilbert and George, John Baldessari, Duane Michals, William Wegman et Eleanor Antin.

En 1975, dans les cinq images de Untitled A-E (où, comme dans la vingtaine de séries réalisées depuis, la mise en scène n'est destinée qu'à la photographie), transformée par le maquillage et les costumes, Sherman incarne différents personnages, notamment une petite fille et un clown. La figure du clown, que l'on retrouve à plusieurs reprises dans cette exposition, associée au masque, à l'enfance et au divertissement, mais aussi à la régression et à la monstruosité, donne la mesure du jeu constamment entretenu par Cindy Sherman entre l'artiste et son "sujet ". Cet écart, qui donne au spectateur la liberté d'articuler et de compléter l'histoire des personnages qu'elle incarne, traverse et singularise en effet tout l'œuvre. Aussi sa démarche s'apparente-t-elle non pas à la tradition de l'autoportrait, mais à celle du changement d'identité, inauguré par Marcel Duchamp, portée ici à la dimension d'une réappropriation critique des apparences sexuelles et sociales. S'offrant comme miroir et modèle à ses contemporains, Cindy Sherman examine les définitions de l'apparence et du genre dictées par les médias modernes. Seule à figurer dans ses photographies, Cindy Sherman nous renvoie à la fragilité du moi face aux mécanismes de l'identification et de la reconnaissance sociale.

La présente exposition propose, par séries successives, un parcours chronologique d'une œuvre n'ayant, en France, fait l'objet d'aucune exposition d'importance depuis celle de 1997 au Capc de Bordeaux.

En introduction, sont présentées les photographies des Bus Riders et des Murdery Mystery réalisées en 1976 et tirées en 2000 et 2005. Le principe du déguisement, pour une performance uniquement destinée à l'enregistrement photographique, s'y confirme.
La sérialité des images permet d'identifier un genre et un propos plus large, comme une situation du quotidien pour les Bus Riders, ou un film noir pour les Murdery Mystery.

En 1977, la venue à New York de Cindy Sherman et de Robert Longo coïncide avec le début des Untitled Film Stills. Dans ces 70 clichés en noir et blanc, pris par elle-même ou ses proches, Cindy Sherman imite les photographies de plateau du cinéma hollywoodien des années 1950.
Elle interprète des micro-situations que le spectateur peut rattacher à des fictions car, comme dans les six premières photographies de la série, on retrouve parfois le même personnage d'une image à l'autre. L'ensemble, non dépourvu de nostalgie, renvoie à la diffusion à grande échelle, par le cinéma et la presse, de modèles féminins à valeur de mythes et implicitement destinés à définir à la fois la féminité et le désir qu'elle suscite. L'œuvre de Sherman touche alors étroitement aux problématiques de la représentation de la femme, développées par de nombreuses artistes féministes américaines comme Adrian Piper ou Hannah Wilke.

Les [Rear Screen Projections] (1980), où Sherman se photographie devant des diapositives projetées, marquent l'apparition de la couleur et citent l'univers de la télévision contemporaine.


Les [Centerfolds/Horizontals] (1981) résultent de la commande d'un portfolio par la revue Artforum. Le cadre horizontal et serré sur des figures souvent allongées, destinées à être reproduites en double page, est calqué sur celui des revues de charme. L'apparence vulnérable et la position des femmes représentées ont provoqué une telle controverse au sein de la revue que les photographies ne furent pas publiées.
Dans les [Pink Robes] (1982), les figures assises au regard frontal incarnent des modèles faisant une pause entre deux prises de vues et portent pour la plupart un peignoir chenille rose usé, loin de tout vocabulaire appartenant à une imagerie glamour ou sexy. Les Untitled #102-#116 (1982) sont des personnages d'une normalité voulue, éclairés de manière théâtrale, que Sherman a traité comme autant de tests pour l'emploi de la couleur.

Dans les [Fashion], Cindy Sherman répond à quatre commandes : celle d'une propriétaire de magasins pour la revue Interview, en 1983, celle de la boutique Dorothée bis destinée au magazine Vogue, en 1984, celle de la revue Harper's Bazaar, en 1993, et celle de la maison de couture japonaise Comme des garçons, en 1994. La mode est le domaine même d'une transaction avec l'image de soi au travers des codes de l'apparence, et Cindy Sherman s'empare de ces règles à sa manière, produisant des images dérangeantes et parfois morbides, à l'encontre des usages dominants de la presse spécialisée.

Les [Fairy Tales] (1985) marquent l'introduction des prothèses apparentes, renvoyant à la fois au monde des jouets et au domaine médical. Cindy Sherman répond ici à la commande de la revue Vanity Fair sur l'univers des contes de fées, les terreurs et les menaces qui en sont le ressort.
Dans les [Disasters] (1986-1989), l'abject côtoie le baroque, le pourrissement organique s'associe à la difformité. Ces séries introduisent dans l'œuvre le registre du "grotesque", qui repose sur une association entre le rire et l'épouvante et met l'accent sur les "difformités monstrueuses créées du caprice de la nature ou de la fantaisie extravagante d'artiste", dont Alberti dit qu'elles pouvaient "transformer les pattes d'un cheval en feuillage, les jambes d'un homme en pattes de grue".

Avec les [History Portraits/Old Masters] (1988-1990), Sherman reprend la pose au centre du cadre pour incarner les modèles imaginaires de l'histoire de la peinture figurative, sur un mode délibérément artificiel et caricatural. C'est encore une commande — pour des porcelaines qu'elle décore de médaillons, où elle figure par exemple en Mme de Pompadour — qui lui donne l'idée du portrait historique. Cette série comporte 35 images, dont trois liées à un tableau spécifique : le Bacchus malade de Caravage (#224), La Vierge de Melun de Jean Fouquet (#216), et La Fornarina de Raphaël (#205). Ces évocations ne peuvent pas manquer de renvoyer également à l'histoire de la représentation à laquelle se réfère Sherman. Outre les œuvres de Goya, de Bosch ou d'Arcimboldo, on peut mentionner les collages d'Hannah Höch, les travaux des surréalistes, bien sûr, et plus près de nous ceux de Ralph Eugene Meatyard.

Les [Sex Pictures] (1992) abordent franchement le registre de la pornographie. Trucages et artifices sont plus flagrants encore que dans la série précédente, avec l'usage des prothèses médicales et des poupées de sex-shop, assemblées de manière provocante et absurde. La série répond aux débats sur la définition de l'obscénité en art et la censure, réactivés alors aux États-Unis par certaines œuvres de Jeff Koons avec sa femme, la Cicciolina. L'œuvre du surréaliste Hans Bellmer trouve ici un pendant féministe, délibérément critique, à l'opposé de la théâtralisation érotique de ses fantasmes. On pense également aux montages de Pierre Molinier, qui lui aussi se mettait en scène, mais dans une perspective de plaisir là où Cindy Sherman joue avec la distance et la répulsion.

Dans les [Civil War] (1991), le corps est réduit à des éléments de cadavres jonchant le sol, en cours de putréfaction. Les [Horror and Surrealist Pictures] (1994-1996), utilisent aussi les prothèses et les masques, mais pour la représentation des visages. Sherman n'apparaît pas toujours dans l'image. Elle inaugure avec cette série les manipulations photographiques, comme la double exposition, chère aux surréalistes. Ces derniers, directement visés par le titre, se voient radicalement parodiés : le fantastique et le sexe perdent ici tout pouvoir de fascination et l'évocation de la jouissance s'efface devant celle du dégoût. La série est apparentée à Office Killer, long métrage de 1997, racontant l'histoire d'une journaliste qui tue ses collègues et construit chez elle un "tableau" de cadavres.

Avec les [Masks] (1994-1996), l'artiste laisse la place à ces visages réifiés et figés. Maltraité, mutilé et sanglant comme dans un cauchemar, le masque ne renvoie pas à un visage caché, il est devenu un objet autonome et vivant, pendant monstrueux de l'automate du Marchand de sable des contes d'Hoffmann, à partir duquel Freud élabore la notion "d'inquiétante étrangeté".
La disparition de la présence humaine se confirme avec les [Broken Dolls] (1999) : les poupées, amputées et dans des poses obscènes, renvoient à cette part obscure et pulsionnelle de l'enfance que la société civilise, en la refoulant ou en la maîtrisant selon des codes définis par chaque culture et chaque époque.

Dans [Hollywood/Hampton Types] (2000-2002), selon l'artiste, "les personnages devaient être des comédiens ratés ou tombés dans l'oubli (secrétaires, ménagères ou jardiniers dans la vie réelle) qui posent pour des portraits afin de postuler pour un emploi. Ces gens essaient de se vendre de leur mieux. Ils supplient le spectateur : Voulez vous m'embaucher ?". Renouant avec les costumes et les accessoires, les Hollywood Types parodient le jeu des identités sociales, avec ses stéréotypes et ses règles sans pitié pour les simples figurants que nous sommes ou que représentent ces acteurs ratés. L'identité est ici réduite à un rôle et à l'image que nous donnons aux autres.

La récente série des [Clowns] (2003-2004), où l'usage de la technique numérique permet des fonds très colorés et des montages de plusieurs personnages, résume et condense, comme le souligne Régis Durand dans le catalogue, "la dimension carnavalesque de l'œuvre de Cindy Sherman, ce qu'elle peut avoir de contradictoire et d'excessif". La figure de celui qui pousse l'outrance de l'imitation jusqu'à la catharsis, referme l'exposition. Le choix du clown, par Cindy Sherman, est un véritable manifeste, comme le relève Jean-Pierre Criqui, également dans le catalogue, en citant Jean Starobinski : ce choix "n'est pas seulement l'élection d'un motif pictural ou poétique, mais une façon détournée et parodique de poser la question de l'art" (Portrait de l'artiste en saltimbanque, Gallimard, 2004).