Jean-Paul Goude Jean Paul Gaultier, Made in Mode 2012 © Jean-Paul Goude
La photo n'est évidemment pas la star de l'exposition. La seule et unique étoile qui brille au Grand Palais, et ce jusqu'au 3 août, s'appelle Jean Paul Gaultier. Tout y est pour entretenir sa légende. Celle d'un petit garçon de banlieue pas comme les autres qui s'est hissé au sommet du monde de la mode. Si l'homme n'était pas aussi drôle et sympa, on le trouverait presque agaçant. A travers ses collections, ses souvenirs et autres mannequins bizarrement animés, on découvre ou (re)découvre le travail et la vie du couturier. L'occasion de laisser traîner notre œil un peu plus du côté des photos que des tissus. Petite visite guidée.
« JPG » : un sigle, une marque, un parfum, du thé... Ces trois lettres sont pourtant les initiales d'un créateur. « Quand j'étais petit je mentais tout le temps ! » avoue-t-il en riant devant l'assemblée de journalistes réunis au Grand Palais pour la conférence de presse dédiée à l'exposition. A l'école, le petit Jean Paul s'invente des vies. Il en fera son métier et en inventera pour les autres en créant des tenues sur mesure, des existences à soi(e), à porter le temps d'une soirée. « On est des voleurs, c'est pour ça qu'on n'est pas des artistes ! » aime-t-il à préciser. Cette modestie dans le milieu de la mode est rafraîchissante. Ne confondons pas Lagerfeld et Rembrandt. Rien à voir.
Jean Paul Gaultier et sa grand-mère maternelle, Marie
vers 1958
© DR / Archives Jean Paul Gaultier
« Peu importe votre couleur de peau, votre poids, votre sexualité, votre genre » : dès ses débuts, Gaultier tranche avec la tradition fashion et ses exigences esthétiques. Il n'a pas les goûts qu'il faudrait avoir. A la perfection autoproclamée et un poil arrogante, il préfère la réalité des gueules cassées et autres erreurs de casting. Pourtant, son œil s'est fait sur du rêve, au fil des pages des magazines de mode qu'il feuillette chez sa grand-mère Marie. Ce sont ces mêmes magazines qui lui donnent l'amour des photographes. « Merci aux photographes qui m'ont permis d'aiguiser mon oeil » lâche-t-il. Il est déjà passionné par le travail de Horst ou d'Avedon : « Ça me faisait rêver ! » Tout comme celui de Knapp ou Bourdin. Il raconte que lorsqu'il allait voir des expositions de mode, il était presque déçu par une réalité moins jolie que sur la photo : « Il y a une perfection surréaliste des photographies. »
Affiche de l’exposition Jean Paul Gaultier © Affiche Rmn-Grand Palais, Paris 2015
Pierre et Gilles
De la rue aux étoiles, Jean Paul Gaultier, 2014 © Pierre et Gilles
Jean Baptiste Mondino a photographié Gaultier, le portrait de Menuge dans les mains, pour Madame Figaro en septembre 2006. Simple et pudique. Bien loin des clichés qu'il a faits de la sculpturale Madonna sur son Blond Ambition World Tour. Madonna, la muse aux seins coniques made in JPG. Ce dernier s'empressant de préciser que la première à les avoir véritablement portés est son ours Nana (elle est le clou «poilu de l'exposition). Cindy Sherman herself s'en emparera pour un cliché de 1983 exposé lui aussi au Grand Palais. Plus tard (1990), à Tokyo, Herb Ritts de son côté saisira le temps d'une séance le couturier lové dans le cou de la chanteuse.
Jean Paul Gaultier aime les femmes. Il aime leur voix surtout. Celle de Catherine Deneuve, délicieusement bourgeoise et nicotinée, s'élève ainsi au-dessus du catwalk dans l'exposition. Fervent défenseur de l'égalité entre hommes et femmes, il est contre le « sois-belle et tais-toi », celui qui, selon lui, cantonnait BB au rôle d'une jolie idiote, alors même qu'à l'époque elle disait des choses intéressantes, « à l'époque » ironise-t-il. De Kylie Minogue, en passant par Beth Ditto, Rossy Di Palma : « Il n'y a pas une seule beauté, il y en a plein. » Et lorsqu'il tombe en amour pour l'une d'elles, il y a toujours une bonne raison, ou une mauvaise. Pour Anna Pawlowski, ce sera ses pieds nus sur le pavé parisien. Robert Doisneau saura saisir l'insolence blasée des eighties en les photographiant tous les deux à la boutique de la galerie Vivienne en 1985.
Peter Lindbergh
Paris by Night : Folies légères (Lionel Vermeil, Helena Christensen et Marie-Sophie Wilson)
Publié dans Vogue France, Novembre 1991. © Peter Lindbergh
Car si Jean Paul Gaultier admire les photographes, ces derniers le lui rendent bien. Au fil des salles s'égrènent les noms célèbres : celui de Peter Lindbergh le temps d'un Paris nocturne, d'une très chic Jane Birkin ou d'une Naomi Campbell, hilare et seins nus, celui de Irving Penn pour une Nicole Kidman en samouraï ou encore celui de Bettina Rheims pour un Gaultier peroxydé. Sans compter tous les autres : Miles Aldridge, Max Vadukul, Alix Malka, Steven Meisel, Nicolas Ruel etc.
Le plus célèbre ? Sans nul doute l'incarnation même de la gloire-minute-soupe, le bien nommé Andy Warhol et son Polaroid de JPG. Cultissime ?
Il y a de quoi s'amuser dans cette rétrospective, et cela tombe plutôt bien parce que l'amusement a toujours été ce qui fait avancer Gaultier nous a-t-il dit. Goude l'a d'ailleurs bien compris. Cet autre Jean Paul, aussi créatif, inventif et ludique que son homonyme, a photographié le couturier se peignant à même le corps le motif de sa fameuse marinière en 2012.
Vous avez jusqu'à l'été pour aller vous amuser au Grand Palais...
Emilie Lemoine