Réédité en « Petit Format », l'ouvrage Magnum Magnum était déjà paru en 2007. Ce livre retrace le travail des grands maîtres de la photographie du XXe siècle, des grands photographes actuels et des nouveaux talents de l'agence de photographes la plus connue du monde. 400 images iconiques des 60 dernières années ont été ici sélectionnées et commentées par les 69 photographes de Magnum. Ainsi, entre autres duos le travail d'Henri Cartier-Bresson est décrit par Eve Arnold, celui de Martin Franck par Ferdinando Scianna. L'oeuvre de Martin Parr est commenté par René Burri et l'oeuvre d'Alex Webb est détaillé par Chris Steele-Perkins.
Magnum Magnum représente à la fois un formidable recueil des plus belles photos de l'agence mais aussi le regard introspectif et critique porté par les membres de ce collectif de légende sur ce qui fait un grand photographe.
« Les jugements les plus incisifs sur un artiste viennent souvent non pas des critiques ou des conservateurs, mais de ses pairs. Nul regard n'est plus rigoureux que celui que les photographes de Magnum portent sur leurs compagnons. Et dès lors qu'ils nous présentent un travail qu'ils admirent, le nôtre se doit d'être particulièrement attentif ». Gerry Badger.
La photographie Magnum fait partie de notre culture. Connus, reconnus, les photographes et les photographies « Magnum » sont idéalisés. Fondé juste après la Seconde guerre mondiale pour des photographes et par des photographes : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Goerge Rodger, William Vandivert et David Seymour, l'agence Magnum a su au fil des années acquérir une réputation inébranlable dans le monde entier. La clef du succès est bien évidemment le talent des photographes, leur éthique, leur passion, leur envie mais aussi leur professionnalisme. La majeure partie des photographies de cet ouvrage provienne des archives de l'agence. Toutes connues ou déjà vues une fois, la popularité des clichés Magnum est une preuve de plus de son succès.
Autre preuve du succès de l'agence : le « style » de ses images, qui a su évoluer. Créée par des photographes humanistes qui travaillaient essentiellement en noir et blanc, Magnum a ensuite ouvert ses portes à des photographes plus atypiques tels qu'Antoine d'Agata ou Martin Parr.
Les photographies d'Antoine d'Agata sont esthétiquement brutales, choquantes, elles démontrent une certaine curiosité perverse et malsaine. Elles peuvent mettre mal à l'aise certains lecteurs. A contrario, le travail de Martin Parr est coloré, kitch, amusant, loufoque parfois. L'équipe Magnum est plus hétéroclite que jamais et le livre Magnum Magnum démontre à merveille cette multiplicité de personnalités et de regards.
Toute l'originalité de ce livre réside dans l'intimité de sa création. Comme une famille, tous les membres de l'agence ont participé à l'édition de Magnum Magnum. Chaque photographe s'est prêté au jeu du critique. Chacun à sa manière a choisit et décrit le travail d'un des photographes de l'agence. Pour vous donner un petit aperçu du contenu de cet ouvrage je vous propose de découvrir le travail de Jonas Bendiksen, Henri Cartier-Bresson, Martin Franck, Trent Park, Martin Parr et Alex Webb à travers le prisme d'autres photographes du collectif.
Jonas Bendiksen par Thomas Hoepker
© Jonas Bendiksen
« C'est un véritable souffle d'air frais qui a balayé le bureau new-yorkais de Magnum lorsque Jonas en a franchi le seuil au printemps de 2004. Il nous a montré des photographies prises dans des pays et des régions dont nous n'avions jamais entendu parler : Transnistrie, Birobidjan, Qikiqtarjuaq, Kirghizistan, Abkhazie – des noms à la réalité desquels seul un moteur de recherches nous permet de croire aujourd'hui. Les images de Jonas sont aussi merveilleuses et aussi insolites que les appellations de ces étranges contrées ».
Henri Cartier-Bresson par Eve Arnold
© Henri Cartier-Bresson
« Il m'est arrivé de décrire Henri Cartier-Bresson comme « le poète à l'appareil photo ». De lui, j'ai appris cette envie de raconter toute l'histoire en une seule image.
J'ai rencontré H.C.B en 1954, et depuis il n'a cessé de me surprendre. Dans mon salon est accrochée une photo qu'il m'a donnée (p.101) et qui représente des femmes en prière à l'aube, attendant que le soleil se lève – à mon avis, la plus belle qu'il ait jamais réalisée. Elle est inattendue, symétrique. Elle vous touche, tout simplement ».
Martine Franck par Ferdinando Scianna
© Martine Franck
« L' inoubliable Robert Doisneau définissait le regard de Martine Franck comme celui de « l'amitié », par opposition au « regard du flic » ou au « regard du médecin » qu'adoptent si souvent les photographes d'aujourd'hui. J'étais ami de la photographie de Martine avant de l'être de la photographe. Et les deux amitiés se sont confondues.
L' »amitié » de Martine n'exclut pas la lucidité qui peut être iconique, parfois sévère, souvent engagée ou curieuse, jamais méprisante. Comme tout photojournaliste, elle place la personne en pleine lumière, cherchant à la comprendre et à nous aider à la comprendre. Qu'elle photographie des célébrités ou des inconnus, Martine parvient toujours à lever le voile sur une vérité humaine profonde qui différencie chaque être et le rend inoubliable. C'est un don que peu de photographes possèdent ».
Trent Parke par Mark Power
© Trent Park
« Je dois reconnaître que le talent de Trent m'effraie quelque peu. Il se consacre principalement à la photographie de rue, et bien que ce soit un genre complexe, il le maîtrise avec une aisance déconcertante. Comme si c'était là une voie séduisante qui s’offraient à une nouvelle génération de photographes. En bref, Trent a reconquis la rue ».
Martin Parr par René Burri
© Martin Parr
« (…) Lorsque j'ai rencontré Martin Parr pour la première fois, au festival de Cannes, il travaillait alors essentiellement en couleur. Son entrée chez Magnum a suscité de vives discussions ? Pour être franc, le désaccord ne portait pas seulement sur la couleur.
J'ai soutenu son accession au statut de membre. Henri Cartier-Bresson m'a interrogé sur les raisons pour lesquelles nous pensions que Parr pouvait s'accorder à la « palette » de Magnum. Dans les années 1950 et 1960, le monde était gris et terne, à l'exception, bien sûr, de pays comme la Russie, la Chine, Cuba..., où dominait le rouge.
Je répondis à H.C.B que, comme nous tous, Parr avait photographié en noir et blanc durant de nombreuses années et qu'un jour, peut-être, il s'était éveillé après avoir eu un cauchemar où le monde n'était plus que couleur, tourisme et kitsch. Souvent, nous choisissons d'intégrer des photographes, et pas nécessairement les plus connus, pour la capacité qu'ils ont d'apporter de nouvelles idées, voire de tout chambouler. (…) Avec votre « troisième oeil », c'est-à-dire le cœur et l'esprit ; vous êtes par conséquent seul responsable de vos actions ».
Alex Webb par Chris Steele-Perkins
© Alex Webb
« Nombreux sont ceux qui photographient dans et sur la rue, traquant l'image dans le flux du quotidien. Peu y réussissent. C'est une source de frustration – également pour ceux qui réussissent parce qu'il y a de bons et de mauvais jours. On pourrait croire pourtant que la chose est simple.
Ce type de travail exige de la compréhension et de la concentration : être sur le qui-vive, savoir patienter, réfléchir vite. Vous devez comprendre ce que vous voyez, anticiper sur l'évolution des relations et sur les modifications entraînées par vos changements de position, d'objectif. Un peu comme un calcul mental complexe, avec plusieurs facteurs qui doivent être intégrés – placer l'appareil devant l'oeil, cadrer, déclencher. Agir vite, comme un athlète. Il y a tout cela et autre chose encore. Une manière de voir le monde, un regard qui se démarque de la formule, du banal. Vous pouvez maîtriser tous les aspects énumérés ci-dessus et plus encore, et ne prendre aucune photo intéressante. Il faut aussi une intelligence créatrice singulière, qui possède sa propre vision de la vie, de la beauté.
Chacune de ces photographies est différente : certaines sont statiques, d'autres dynamiques, d'autres encore sont structurellement simples ou au contraire complexes. Certaines présentent une palette discrète, d'autres des couleurs stridentes. Mais toutes sont passionnantes. C'est une sorte de magie ».
Les éditions de La Martinière nous offrent, ici, à prix tout à fait abordable, 35 euros, un album magique des plus belles photos connues et reconnues du XXè siècle. Le résultat est intimiste, réussi, et de toute beauté. Les fans de Magnum seront ravis de retrouver en édition poche ce magnifique recueil qui fera le bonheur de leur bibliothèque.
Alexandra Lambrechts, 3 février 2012.