Mission photographique du Conservatoire du littoral Série « Delta de la Leyre » 2006-2007 © Sabine Delcour
BNF Bibliothèque Nationale de France - François Mitterrand quai François Mauriac 75013 Paris France
Mission photographique du Conservatoire du littoral
Série « L’Archipel de Chausey » 2007-2008
Five Canopies, Chausey Islands, France, 2007
© Michael Kenna
Dossier de Presse -
À partir des années 1980, alors que la France change de physionomie, que le pays devient « territoire », le regard des photographes sur le paysage français est convoqué, à l’initiative de quelques grands commanditaires, pour rendre compte de ces métamorphoses. Le goût pour le pittoresque s’efface au profit d’une esthétique sensible à d’autres thèmes : transfiguration du banal, nature modifiée par l’homme... Les écritures photographiques parlent du patrimoine comme du quotidien et surtout s’invitent dans le débat pour proposer des manières nouvelles d’habiter poétiquement le monde.
Ce sont ces mouvements croisés entre réalité physique, politique, socio-économique et regards qu’y posent les photographes depuis plus de 30 ans que l’exposition de la BnF Paysages Français. Une aventure photographique, 1984-2017 donne à voir.
Par son ampleur scénographique, le nombre de photographes et d’œuvres présentés - plus de 160 auteurs et quelque 1 000 tirages -, cette exposition d’envergure, déployée dans deux galeries de la Bibliothèque, se présente comme un panorama qui permet de découvrir la France sous l’œil de grands photographes contemporains.
En 1984, des photographes, jusqu’alors inconnus ou déjà célèbres, sont dépêchés partout en France à l’initiative de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) pour représenter le paysage français des années 1980. C’est la première d’une série de grandes missions, financées par l’État ou portées par des groupes d’artistes comme France(s) territoire liquide, qui se succèderont jusqu’à aujourd’hui pour livrer une multitude d’images de la France. Les photographies présentées dans l’exposition questionnent la conception traditionnelle du paysage pour en explorer les frontières, de plus en plus mouvantes : celles du genre paysager basculant vers le portrait, celles d’un territoire national figé devenant plus fluide et celles du champ photographique lui-même, en constante réinvention. Le photographe est, quant à lui, tour à tour, chercheur dans un paysage-laboratoire, arpenteur recensant les mutations du paysage en territoire, auteur qui imprime son style aux lieux et enfin architecte, à même de donner une vision autre de son pays. L’exposition se développe sur cette base riche au rythme d’une promenade dans le temps, en quatre décennies.
Le visiteur suit d’abord l’expérience du paysage menée dans les années 1980 par les 29 photographes de la Mission photographique de la DATAR (1984-1988), de Robert Doisneau à Raymond Depardon en passant par l’américain Lewis Baltz ou l’italien Gabriele Basilico. Des côtes de la Normandie à Marseille, ces photographes s’affranchissent de la nécessité d’un regard illustratif sur les paysages urbains et naturels, au profit d’une véritable liberté dans les choix esthétiques et documentaires.
Les années 1990 permettent d’entrer dans le temps du paysage : devenu « patrimoine », celui-ci est mis à l’honneur dans les travaux réalisés pour le Conservatoire du Littoral d’Harry Gruyaert ou de John Batho.
Le paysage est aussi montré comme mobile et changeant, marqué par le cycle des saisons, le passage des années ou les transformations structurelles. On suit ses évolutions avec les travaux d’Anne-Marie Filaire et Thierry Girard pour l’Observatoire photographique national du paysage ou ceux de Bernard Plossu dans le cadre du chantier du Tunnel sous la Manche.
Avec ses caractéristiques et ses limites naturelles ou administratives, le territoire devient ensuite un élément fondateur des dispositifs photographiques dans les années 2000, donnant lieu au développement d’une forme d’imaginaire topographique où le paysage devient style. À travers des séries précises ou des travaux au long cours qui embrassent la totalité du territoire français, le style aisément identifiable de photographes reconnus, tels Stéphane Couturier, Thibaut Cuisset ou Jürgen Nefzger par exemple, participe en effet à la valorisation des lieux.
Enfin, depuis le début des années 2010, le paysage est photographié comme un espace non plus simplement à décrire mais à habiter. L’homme s’y installe, s’immisce dans le cadre ; le récit se fait plus intime et circonstancié, affirmant la place de l’être au paysage dans une relation fusionnelle et utopique, dont se font notamment l’écho les travaux d’Elina Brotherus, de Fred Delangle et de Thibaut Brunet, membres de France(s) Territoire Liquide. Adossés à ces grandes séquences du parcours, divers focus permettent, parallèlement à ce voyage dans le temps, d’aborder des thématiques fortes liées au territoire : le travail avec Charles Fréger ou Samuel Bollendorf, l’histoire très française de la représentation des grands ensembles avec Mathieu Pernot ou Laure Vasconi, le questionnement sur les conséquences de la standardisation accrue des modes de vie, avec Jacqueline Salmon ou Gilles Coulon, dans no man’s land. Les photographes présentés dans l’exposition racontent avec humour, délicatesse, solennité parfois, les histoires de nos paysages qui s’inventent, s’inversent, s’hybrident, répandant ainsi, selon la belle formule du poète Philippe Jaccottet dans Paysages avec figures absentes, « le pollen de leur regard ».
France(s) territoire liquide
Série « Cartographie d’une extrême occupation humaine »
n° 6, altitude 1790, Le mont de Grange, Haute-Savoie
massif du Chablais, 2011
© Emmanuelle Blanc