Frédéric Delangle

Frédéric Delangle

#Photographe
Images série "Ahmedabad no life last night"

Frédéric Delangle/Ahmedabad « No life last night »


Trop de monde, trop de circulation trop de pollution, trop de tout, comment ont-ils fait pour inventer le zéro? C'est peut-être parce que la notion de zéro induit la notion d'infini. Ahmedabad se définit par la multitude, l'excès et la profusion. Alors comment poser un pied photo avec une chambre 4x5 inch en pleine journée; impossible! Henri Cartier-Bresson a pourtant photographié cette ville de jour, mais il y a 50 ans (en 30 ans, la circulation dans cette agglomération a été multipliée par 700). Son attention s'est portée sur les habitants, moi c'est l'urbain qui m'a émerveillé. Pour la première fois je rentrais dans une ville en ayant l'impression de rentrer dans un décor. Atmosphère curieuse où la modernité n'a pas encore complètement effacé le passé mais le côtoie. Je circulais dans ce labyrinthe comme dans un livre d'histoire, un voyage dans le temps où les époques se superposent et s'enchevêtrent. C'est la nuit que je remontais au plus loin, quand le chaos de la modernité s'arrêtait je pouvais explorer les entrailles et le squelette de cette cité désertée. Il fallait être patient pour observer car la nuit à Ahmedabad il n'y a quasiment pas d'éclairage (il m'est arrivé dans certaines ruelles de trébucher sur des personnes endormies à même le sol). Déterminé par des lampadaires diffusant une lumière famélique, il me fallait entre 5 et 10 minutes de pose pour réaliser une image. Si les meutes de chiens errants devenaient hostiles ou si des vaches venaient se planter devant mon objectif tout était à recommencer. Processus de réalisation extrêmement lent dans une chaleur étouffante où la température peut monter jusqu'à 40° la nuit. C'est dans sa plus grande intimité qu'Ahmedabad se livrait, dans un silence et un calme à la limite du recueillement. Instant privilégié de sérénité où le monde moderne accorde quelques heures de répit avant de recommencer une nouvelle journée de folie.

Images série "Coït"

Aspects techniques :

« Coït » est une série de photographies mettant en scène des couples faisant l'amour. Le temps de pose de chaque prise de vue dépend de la durée des ébats amoureux. Cette série a été réalisée avec un appareil photo argentique ; négatif 4x5 inch.

« Coït »

Dans la représentation de l'acte amoureux on doit tenir compte de deux facteurs qui lui sont constitutifs, le corps et l'esprit qui doivent être en parfaite symbiose.

La photographie plutôt que le film permet de représenter cette scène sans que l'image produite ne puisse donner de repères temporels. Sans ces repères avec des bribes de corps et des positions supposées « Coït » devient une danse amoureuse où le spectateur crée sa propre chorégraphie.

Par opposition la pornographie impose une vision froide et étroite. Le flou m'a permis de ne pas montrer les corps de manière brute, les amoureux s'enchevêtrent se superposent en se mélangeant pour ne plus former qu'une masse de chaire. Seules quelques parties sont lisibles, une main, une hanche ou une jambe ; des parties de corps visibles juste pour les matérialiser sans les imposer en tant que tel. Des corps bien réels qui ne peuvent pas être identifiés : vous, moi ou eux (tout le monde). Libre face aux canons de beauté traditionnelle.

Une proposition esthétique, libre à vous de fantasmer !

images de la série "Nyctalope"

Et si on se promenait la nuit dans les bois, que resterait-il de nos repères ? Jour sombre, nuit claire, quelle acuité est requise pour s'en sortir ? La série « Nyctalope » de Frédéric Delangle est partie de ce constat : nous sommes privés des cônes de vision qui nous permettraient de voir la nuit. Qu'à cela ne tienne, Frédéric Delangle est parti sur les chemins de campagne découper des morceaux de paysage avec les phares de sa voiture. S'offre au regard une nature autre dont l'aspect familier s'évanouit. Arbre, liane, mare ou cabane se parent d'une épaisseur dramatique. Le banal, naturel, est transfiguré.

La série « Nyctalope » emprunte au cinéma le principe de l'éclairage directionnel. Le paysage nocturne devient un lieu de vertige, les phares isolant une zone réduite de visibilité. Torches à longue portée, ils découpent l'espace et structurent l'image entre un champ lumineux et un champ noir. De ce contraste naît le mystère ; et le nocturne, thème artistique consacré, est rejoué. L'espace diégétique de la photographie met en tension le visible et l'invisible, provoque l'attente et le suspense et excite notre imagination.

Ce n'est pas la première fois que Frédéric Delangle exploite la matière nuit. Déjà dans ses travaux antérieurs, l'obscurité était une composante essentielle. Prétexte à l'intime, dans sa série « Coït », à la visualisation des fantômes, dans sa série « Ahmedabad », le noir cerne parcimonieusement le réel et lui redonne sa part de magie distanciée.

Elise Legris-Heinrich