Gisèle Freund, née à Berlin, est reconnue depuis longtemps à l'échelon international comme faisant partie des plus grands photographes-portraitistes de ce siècle. Les photos en couleurs qu'elle fit dans les années trente et quarante, et qui représentent des artistes et des écrivains, sont les plus célèbres - et souvent même les seules photos couleurs qui existent des personnes portraiturées.
Réalisées pour la plupart dans un univers familier, remarquables de sensibilité et d'engagement, les oeuvres de Gisèle Freund frappent tant par la proximité de ces individus créateurs que parce qu'elles nous invitent à jeter un coup d'oeil sur leurs ateliers, généralement clos.
Une quarantaine de photographies dont James Joyce, Jean Cocteau, Saint-John Perse, Jean-Paul Sartre, André Gide, Marguerite Yourcenar, Samuel Beckett, Henri Michaux, Simone de Beauvoir, Walter Benjamin, Paul Eluard, Stephan Zweig...
"On m'a souvent posé la question: "Comment avez-vous pu rencontrer et photographier autant d'écrivains et d'artistes célèbres?" La réponse est simple: "A l'époque où je les ai photographiés, ils n'étaient connus que d'un public restreint. Ce n'est que des décennies plus tard que leurs oeuvres sont devenues célèbres et connues dans le monde entier"(...)
Quand les idées énoncées dans un livre nous ont plu, nous aimons voir le visage de celui qui les a exprimées. C'est la raison pour laquelle les éditeurs aiment publier l'image de l'auteur au dos du volume. L'auteur est inquiet et désireux de paraìtre aussi bien que possible, car son portrait est le seul moyen d'un contact charnel avec les lecteurs.
Personne ne se voit tel qu'il paraît aux autres. Nous habitons notre visage sans le voir, mais nous exposons cette partie du corps au premier venu qui nous croise dans la rue. Nous nous regardons dans la glace, mais celle-ci reflète nos traits à l'envers. De plus, les pressions et les convenances de la société nous ont obligés à porter un masque pour cacher nos émotions, nos fatigues et nos désillusions. C'est pourquoi les visages ouverts des enfants nous émeuvent par leur innocence.
Quand nous nous regardons, nous ne voyons pas seulement nos traits, mais aussi notre caractère, car le portrait que nous faisons de nous-mêmes est d'ordre psychologique plutôt que visuel. C'est la raison pour laquelle nous ne nous reconnaissons que rarement sur une photographie. Pour l'écrivain dont le seul rapport avec ses lecteurs est son portrait, celui-ci prend une importance capitale.
Il est rare de plaire à ceux que l'on photographie. C'est une des raisons pour lesquelles je n'ai pas fait du "portrait" ma profession et que je n'ai jamais possédé de studio de photographe.
J'ai photographié presque tous les écrivains chez eux, dans l'atmosphère qui était la leur. Ils ont posé pour moi et j'étais passionnée par les visages des créateurs.(...)
Très vite, je m'étais aperçue que pour faire un portrait naturel il fallait tout faire pour que la personne photographiée ne se rende pas compte de mon petit appareil. C'était un Leica, qui m'a accompagnée durant toute ma vie, un cadeau de mon père quand j'ai eu mon bachot.
L'homme, et surtout l'écrivain, s'intéresse avant tout à son oeuvre. J'avais lu les ouvrages des personnes que j'ai photographiées et je pouvais donc commencer un entretien au sujet de leurs écrits. Très vite, ils oubliaient mon appareil et, c'est grâce à cette astuce, que je suis arrivée à faire des photos non posées. Et puis l'écriture me passionnait.(...)
Il n'est pas facile de faire un portrait qui reflète plus que l'exterieur d'une personnalité. Il est plus aisé de photographier les artistes qui savent, par leur métier, comment poser, mais les écrivains sont hésitants. Grâce aux relations amicales qui s'établirent entre eux et moi, ils me faisaient confiance. La compréhension qu'ils m'ont témoignée m'a grandement facilité la tâche ardue de présenter d'eux une image authentique, plus conforme à l'intime réalité d'un créateur.
L'immense cortège des visages qui ont défilé devant moi et que je ne reverrai plus, m'a révélé qu'il n'y a pas deux physionomies semblables et que chaque visage représente une découverte nouvelle."
Gisèle FREUND
préface du livre "Portrait d'écrivains et d'artistes"
éditions Bibliothèque Visuelle.
Gisèle Freund, photographe :
1925-29 Julius Freund offre à sa fille son premier appareil de photo, un Voïgtlander 6x9. Gisèle Freund reçoit un Leica en récompense de son Bachot.
1931-33 Etudes de sociologie et d'histoire de l'art, d'abord à Fribourg, puis à l'institut fûr Sozialforschung (Institut de Recherche Sociale) auprès de Théodor W.Adorno, Karl Mannheim et Norbert Elias entre autres.
Gisèle Freund Participe à la lutte contre le National-socialisme. Elle échappe de justesse à l'arrestation en s'enfuyant à Paris le 30 mai 1933.
1934-37 Gisèle Freund travaile à la Bibilothèque Nationale et soutient sa thèse à la Sorbonne en 1936. En même temps elle fait ses premiers reportages photographiques pour VU, WEEKLY ILLUSTTRATED et LIFE. En 1935, elle photographie André Malraux : c'est le premier d'une série prestigieuse de portraits photographiques. En 1936 elle est naturalisé Française. Elle se marie.
1938-40 Première photos en couleur. Avec l'appui de son amie Adrienne Monnier, Gisèle Freund présente sa première exposition en 1939, qui constitue la base de sa collection de portraits. Le 8 mai 1939, une photo en couleur de Gisèle Freund fait la couverture de TIME (James Joyce). Elle publie son premier grand reportage photographique sur la Haute Couture à Paris dans le numéro de LIFE du 15 Avril 1940.
1940-42: Elle quitte Paris, fuyant l'avance des troupes allemandes et se réfugie dans le Midi où elle vit dans la clandestinité. Son mari prisonnier de guerre s'échappe et lui conseille de quitter la France. Invitée par Victoria Ocampo, Directrice de la revue littéraire SUR, elle part pour l'Argentine. Gisèle Freund y vit et y travaille comme reporter, assistante de cinéma : ambassadrice de la culture française en Amérique du Sud.
1946 : A l'instigation de Gisèle Freund qui a fondé "Solidaridad con los escritores franceses" à Buenos Aires, plus de trois tonnes de vivres et de vétements sont envoyés à Adrienne Monnier pour être distribués.
1947 : Membre de l'agence Magnum (jusqu'en 1954).
1950-52: LIFE publie son reportage sur Evita Peron. Des complications diplomatiques s'ensuivent entre les Argentines et les USA. Gisèle Freund vit et travaille deux ans au Mexique. Ses reportages sur le Mexique sont publiés dans WEEKLY ILLUSTRATED, PICTURE POST et LOOK.
1953: Son domicile permanent est Paris.
Depuis Reportage au Japon, au proche Orient, en Europe, aux Etats-Unis, au Mexique... Travaille pour l'édition, collabore aux grandes revues illustrées du monde entier, fait des conférences pour les services culturels du Ministère des Affaires Etrangères, pour les Musées, les Universités.
1977 Présidente de la Fédération Française des Associations de Photographes Créateurs.
1978 : Prix de la Culture pour la Photographie décérné à la Photokina.
1980 : Grand prix National des Arts pour la Photographie décérné par le Ministère de la Culture. Gisèle Freund fait partie du Conseil d'Administration de la Fondation Nationale de la Photographie.
1981 : Portrait officiel du Président François Mitterand.
1982 : Officier des Arts et des Lettres.
1983 : Chevalier de la Légion d'Honneur.
1987 : Officier du Mérite.
1987-88 : Sur l'invitation de la Fondation Getty Gisèle Freund passe une année universitaire aux Etats-Unis pour continuer ses travaux concernant l'évolution de la photographie.