Paris Magnum - Flammarion
Fondée en 1947 par ceux que l'on considère comme les pères fondateurs du photojournalisme – Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, David Seymour, George Rodger –, l'agence a une histoire particulière avec Paris, que ses photographes immortalisent dès les années 1930. Flammarion publie ce mois-ci Paris Magnum, comme pour témoigner de cette singularité.
Les Parisiens au centre de l'ouvrage
Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas d'un livre sur l'agence Magnum, mais bel et bien d'un ouvrage sur Paris vue par quarante-six des plus grands photographes du siècle.
Peu de monuments sont présentés dans Paris Magnum et c'est pleinement assumé par Eric Hazan, écrivain et éditeur, chargé de diriger la publication : « Avec leurs racines dans le photoreportage, les images de Magnum Photos sur Paris sont dominées par la présence humaine. Peu de monuments donc, dans ce livre, ou bien comme fond soulignant la singularité d'un personnage » écrit-il dans la préface.
Les Parisiens sont ici acteurs, de deux manières différentes : ils donnent à voir le Paris foule (lieux public, manifestations etc.) et le Paris individuel, incarné par la diversité de ses habitants, artistes ou politiques, pris sur leur lieu de travail, au café du coin, dans les rues...
De la libération de Paris aux manifestations contre le CPE : une agence témoin de la marche de l'Histoire
Avec presque soixante-dix ans d'existence, Magnum Photo est un témoin privilégié de l'histoire de la ville. Venant des quatre coins du monde, les membres de l'agence y ont tous vécu plus ou moins longtemps. A chaque instant, ils ont été les témoins précieux de l'histoire politique, artistique, littéraire ou philosophique de Paris, photographiant ses manifestations ( Libération, Mai 68, CPE...), ou ses plus illustres artistes et intellectuels (Giacometti, Sartre, Duras, Gainsbourg...).
André Malraux, au moment de la publication de La condition humaine. 1934 © Philippe Halsman
Composé de cinq chapitres, Paris Magnum retrace de façon chronologique le regard qu'ont porté les photographes de l'agence sur la capitale de 1932 à 2013.
« Magnum avant Magnum » (1932-1944)
Présents pour immortaliser le Paris des années 30, avec ses travailleurs profitant de leurs premiers congés payés, la reddition de la Kommandantur allemande ou la liesse de la victoire, Bresson, Seymour et Capa façonnent la légende Magnum qui verra bientôt le jour.
La liesse de la victoire. 26 août 1944 © Robert Cappa
Henri Cartier-Bresson y élabore son fameux « instant présent » et réalise nombre de ses clichés les plus connus, comme "Derrière la gare Saint-Lazare". David Seymour est présent durant les scènes de joie après la victoire du Front populaire en 1936 et pendant les grèves ouvrières qui s'ensuivent. Robert Capa, arrivé en Europe sur les plages de Normandie au matin du 6 Juin 1944, est en première ligne pour photographier les combats de la capitale et continue de devenir le reporter de guerre le plus célèbre de sa génération.
On peut noter dans ce chapitre comme dans l'ensemble du livre l'absence de photographies de George Rodger, cofondateur de l'Agence. Il est vrai qu'il a passé la majorité de sa carrière sur le continent africain, mais il était aussi présent à Paris durant ces années là, notamment en 1944.
« Pauvreté & inquiétude » (1944-1959)
Un bien sombre titre pour la première décennie d'après-guerre. Plus noir peut être que ce que nous dévoilent les photographies. Il est vrai que les images d'Erich Lessing, montrant les visages fermés des opposants au « coup d'Etat gaulliste » en 1958, dont Pierre Mendès France, Edouard Daladier ou Jean-Paul Sartre font partie, montrent une certaine inquiétude quant au futur.
Bien sûr en 1945, Paris est pauvre, toujours sous rationnement, et craint les pénuries, mais n'en déplaise à Eric Hazan, qui voit « peu de sourires » sur ses clichés, on peut tout de même observer ceux des peintres de la tour Eiffel, photographiés par Marc Riboud, ou bien plus important encore, celui du « jeune » Abbé Pierre, symbole de l'aide aux pauvres et mal-logés, qui savait rester optimiste dans l'adversité.
Les baigneurs bronzant à la piscine Deligny sous l'objectif d'Henri Cartier-Bresson, ces hommes hypnotisés par l'une des danseuses du Crazy Horse ou ces couples qui dansent dans les rues de Paris, immortalisés par David Seymour, ne semblent pas non plus si misérables que cela.
Dans l'ensemble, ce chapitre peut être vu comme le début d'une époque qui s’avérera propice au bonheur : les Trente Glorieuses.
« Les années pop » (1959-1969)
Les années soixante sont celles d'une croissance exceptionnelle, source d'innovation et de modernité. En plein cœur de ces fameuses Trente Glorieuses, les Français découvrent l'électroménager, la minijupe et le retour de l'abondance alimentaire. Paris est aussi l'épicentre d'une période de fort renouveau intellectuel et artistique. Les photographes de Magnum sont là pour en témoigner. Les réalisateurs et acteurs de la nouvelle vague comme Belmondo, Léaud, Godard, Truffaut, les artistes du surréalisme (le sculpteur Giacometti) ou du nouveau réalisme comme Yves Klein ou Jean Tinguely passent tour à tour devant l'objectif d'Elliot Erwitt, Rene Burri, Henri Cartier-Bresson...
Le monde de la littérature n'est pas en reste. Les écrivains sont très nombreux dans la capitale et on retrouve ici Samuel Beckett, Marguerite Duras, le sociologue Roland Barthes et bien d'autres encore.
Cette décennie est aussi une période de mécontentement social, d'abord avec les manifestations pour l'indépendance de l’Algérie, puis l'épisode de Mai 68 avec son lot de cortèges de police, barricades et jets de pavés.
Devant Saint-Nicolas-des-Champs. 1968 © Marc Riboud
Le titre du chapitre semble encore une fois mal choisi. Il est vrai que le Pop Art est apparu à cet époque, mais aucun de ses artistes phares, comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein par exemple, ne figurent dans cet ouvrage. Yves Klein et Jean Tinguely, avec le nouveau réalisme sont ceux qui se rapprochent le plus du Pop Art, mais deux photos seulement ne suffisent pas pour appeler un chapitre « les années pop ».
« Réaction et résistance philosophique » (1970-1989)
Ce chapitre est plus politique que les autres. On y retrouve les président Georges Pompidou, Valérie Giscard d'Estaing et le premier maire de Paris depuis 1871, Jacques Chirac. On assiste aussi au début de Coluche et de ses "Resto du cœur". Les courants de la philosophie française se renouvellent sous l'impulsion de Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, ou Gilles Deleuze.
« Une esthétique des marges » (1987-2013)
FRANCE. Paris. 1988 © David Alan Harvey
1996 © Gueorgui Pinkhassov
Les années 90 marquent une véritable rupture pour Magnum Photo où la façon de faire de la photographie évolue.
Eric Hazan donne deux raisons : l'essor de la télévision, qui oblige le photoreportage à évoluer face à ce nouveau média de l'instantané, et l'évolution sociologique de la ville de Paris. Les quartiers de la rive gauche, du Marais et de la Bastille perdent petit à petit leurs populations natives et pittoresques, qui pendant des décennies formaient le centre d'intérêt des photographes de l'agence. Avec l'augmentation des loyers, la capitale s'embourgeoise. Les ouvriers, les immigrés et les classes populaires sont de plus en plus repoussés aux périphéries, notamment au nord, à l'est et autour de Barbès. Magnum Photo et ses photographes ont toujours revendiqué des valeurs de gauches, plus proche des milieux populaires. Sans pour autant tomber dans « l'esthétique compassionnelles », Harry Gruyaert photographie Villeneuve-la-Garenne et ses jeunes des banlieux, Alex Majoli le métro Barbès, Patrick Zachmann les immigrés clandestins chinois...
Un livre doublé d'une exposition
La mairie de Paris organise jusqu'au 28 mars 2015 une exposition Paris Magnum retraçant les cinq chapitres du livres en 150 photographies.
Jérémy Maillet
Paris Magnum
Édition Flammarion
Parution : le 11/11/2014
Format 24x31cm
Environ 270 photographies en noir et blanc, et couleurs
Relié sous jaquette
ISBN : 2081332175
Prix : 45 euros
Exposition Paris Magnum
150 photographies
Hôtel de ville de Paris (75004)
Du 12 décembre au 28 mars 2015