© Tendance Floue
Forum Meyrin 1 place des Cinq-Continents 1217 Meyrin Suisse
Les photographes de Tendance Floue sont sans doute ceux qui ont poussé le plus loin la logique de partage et de projet commun. En huit actes, l’exposition présentée à Meyrin retrace plus de 20 ans d’aventures photographiques du collectif Tendance Floue et entremêlent photographies, projections, installations et publications.
Acte I Nous traversons la violence du monde, 2000
Nous traversons la violence du monde est le fruit d’un processus qui deviendra, pendant plusieurs années, habituel pour le collectif Tendance Floue. À partir d’une phrase, d’une réflexion commune sur le monde, l’un des photographes s’empare des images issues des reportages et travaux individuels, et reconstitue une nouvelle narration. Réalisées dans un contexte documentaire, les images sont réutilisées, assemblées à d’autres, et se chargent d’un sens nouveau.
Ce travail comporte deux parties distinctes. Les photographies de la première partie sont traversées par un sentiment de violence diffus : violence sociale, violence économique, violence du quotidien... Les photographies de la seconde partie répondent aux premières, cherchant à s’affranchir de cette violence pour tendre du côté de la légèreté.
Acte II Nous n’irons plus aux Paradis, 1990 - 2002
Nous n’irons plus aux paradis a débuté lors des premières manifestations altermondialistes de la fin des années 90. Plusieurs évènements ont ensuite marqué l’actualité. La marée noire de l’Erika, les attentats du World Trade Center, et l’aggravation de la situation au Proche-Orient.
Entre ces deux pôles, empreints à la fois d’espoir et de terreur, les photographes ont ressenti le besoin de se rendre ensemble sur ces terrains. Ils ont exprimé leurs impressions à travers des approches journalistiques moins formelles, et une quête plus intime. La démarche est née d’un ressenti partagé : les évènements de l’année 2001, et principalement la chute des tours jumelles à New York, ont brisé l’utopie du mouvement altermondialiste, engendré de nouveaux conflits et scellé une forme de fatalisme. De ce sentiment, est née cette phrase construite à base d’images : « Nous n’irons plus aux paradis ».
Acte III Sommes-nous ? 2006
Troisième volet et conclusion d’une trilogie commencée avec Nous traversons la violence du monde (2000) et Nous n’irons plus aux paradis (2002)
À Paris, Bombay, Buenos Aires, Los Angeles, au pôle Sud et ailleurs, leurs regards se sont posés, entre préoccupations intimes et politiques. Des visages, des apparitions insolites, des paysages urbains, des foules, des étendues désolées qui se succèdent (...). Différents mondes s’entrechoquent dans la gravité ou la dérision. Des contrastes s’opèrent. L’homme est confronté à l’univers inquiet qu’il a créé, il lui cherche un sens. Il se heurte à la nature, qui lui oppose sa grandeur. Il s’observe. Et la question « Sommes-nous ? » reste en suspens.
« Derrière le « flou », il y a l’intuition d’une mise au point impossible sur le réel, l’impossibilité de rendre compte du monde dans sa fluidité, son éphémérité, son inexactitude – et donc d’en être témoin et d’en porter témoignage. C’est le parti pris d’en saisir le mouvement, le mode d’apparition, dans une sorte d’anamorphose et d’improvisation » Jean Baudrillard, à propos de ce travail.
Acte IV Nationalezéro, 2003
Pour photographier une route qui n’existait pas, il fallait la tracer. Au début de l’année 2003, le collectif avait décidé de photographier l’Europe en suivant une route qui traverserait les vingt-cinq pays de l’Union de 2004, une transeuropéenne, la «Nationale zéro».
Cette route ne figurait sur aucune carte. Ils étaient dix à l’avoir dans la tête. Elle commencerait à Chypre et se terminerait à Gibraltar, passerait par les dix États entrants, peu connus, et par les quinze anciens, méconnus. Les photographes ont acheté un break d’occasion, découpé un itinéraire imaginaire en dix et confié à chacun une portion de cette voie à ouvrir.
Chaque photographe était libre dans son travail photographique. Une seule figure était imposée : s’arrêter, tous les cinquante kilomètres, et prendre une photo pour créer une «borne photographique». Après six mois de travail, la route existait photographiquement : 23 000 kilomètres d’un trajet irrégulier, presque anarchique. Le hasard avait mis sous nos yeux des gens et des paysages, des histoires. Cette Europe était et demeure purement subjective. La Nationale zéro existe.
Acte V 00H00 GMT, 2004
Le 25 mars 2004, à 00h00 GMT, les photographes de Tendance Floue, postés dans dix pays, ont déclenché tous en même temps. Ils sont restés 24 heures à l’endroit qu’ils avaient choisi, un carrefour routier, urbain ou fluvial. Leurs appareils ont recueilli 24 heures de direct du monde, la même tranche de temps, pas la même tranche de vie.
Entre chaque image, rapportée de chaque carrefour, le temps ne s’est pas écoulé de la même manière. Il file à Delhi et 24 heures semblent quelques minutes. Il se dilate à Timettigue, dans le Sud marocain et une journée paraît une éternité. Il coule au rythme de l’eau du Mékong sur un carrefour fluvial de Sa Dec au Viêtnam. Il se fige un instant quand trois camions se retrouvent face à face au carrefour d’Ebblinghem, dans le Nord de la France, puis s’étire jusqu’à l’ennui. Cette journée ordinaire de dix carrefours du monde n’a pas partout la même allure.
Les MAD IN sont des productions collectives conçues selon le même principe : des regards simultanés sur un territoire donné. Les photographes invitent des auteurs et des graphistes à participer à cette aventure. De ces mises en commun naissent des revues originales autoéditées.
Acte VI Mad in China, Nomad in Beijing, 2007
Au départ, il y avait le désir d’entrer dans une ville, Pékin, dont la rumeur du monde ne rapportait que des histoires de transformations, de Jeux Olympiques et de chantiers pharaoniques. Le collectif voulait poser leur regard ensemble sur elle, se laisser emporter par son mouvement. Les onze photographes de Tendance Floue, accompagnés de deux journalistes, se sont jetés dans la ville pour fabriquer un portrait éclaté, volontairement subjectif. Treize nomades décidés à transformer leur errance fiévreuse en une revue : Mad in China.
Quinze jours pour tout faire, des images à la fabrication. Un pari fou, aux limites de leur résistance, porté par l’énergie de cette mégalopole. Leur expérience a été mise en page dans l’urgence. Elle n’aurait pas existé sans une conversation avec les Pékinois. Artistes, poètes, graphistes sont venus confronter leur vision à la leur. Ils ont vu et écrit sur Pékin.
Des écrivains chinois leur ont confié leurs textes. Dans un sens comme dans l’autre, ces mots ne sont traduits qu’en partie. Ils reflètent des bribes de réalité. Celles que nous percevons les uns des autres. Les photographes n’ont pas compris Pékin. Ils l’ont vécu intensément.
Acte VII Mad in India, 2008
Un an après Mad in China, c’est en Inde que le collectif a voulu renouveler l’expérience d’une urgence: réaliser une revue sur place en trois semaines. L’Inde est un pays d’images. Celles que nous avons tous en tête, par centaines, avant même de débarquer à l’aéroport de Delhi ; mais aussi cette infinité de représentations de lui-même que le pays produit et véhicule depuis toujours. Immédiatement, les photographes ont éprouvé la nécessité de créer un dialogue, pour entendre la parole des Indiens. Écrivains, poètes, journalistes ou militants, eux seuls pouvaient apporter l’écho indispensable à leurs regards d’occidentaux happés par la folie ordinaire. Eux seuls pouvaient placer des repères dans ce travail collectif où chacun s’est retrouvé face à lui-même.
Car cette revue est finalement une histoire de miroirs. Miroir de nos images qui reflètent des éclats de la réalité indienne. Miroir des auteurs dont les mots viennent questionner nos interrogations. Une histoire de réflexions, donc, que le collectif a parfois pris pour des hallucinations.
Acte VIII Mad in France, 2009
À l’origine des Mad in réalisés par Tendance Floue, il y avait un constat. Un regard multiple, subjectif, parfois chaotique n’était pas acceptable dans les cases de la presse actuelle. Le collectif a alors décidé de créer lui-même cet espace de liberté, à travers un objet incongru, dérogeant aux règles économiques et éditoriales des médias. Une folie qu’ils ont appelée Mad in.
Cet acte de « faire malgré tout » les a guidé dans le choix de leurs regards sur la France. Il ne s’agit pas ici d’un discours qui se voudrait collectif, mais d’une mise en commun volontaire de ressentis, d’observations et de créations. De ces dissonances est sorti le Mad in France. Il pose en acte la question d’une idée de résistance.
Vignette et images : © Tendance Floue