© Claude Nori
L'exposition est partagée en deux espaces inégaux. La première sélection intitulée «Mio fratello italiano» fait dialoguer l'œuvre de Luigi Ghirri avec celle de Claude Nori. Biographiquement, cette mise en miroir est cohérente. En 1978, le photographe toulousain d'origine italienne est le premier à révéler en France le travail de Luigi Ghirri en publiant Kodachrome. Leur relation est bien plus que professionnelle, ces deux artistes sont compagnons photographiques et amis de longue date : «Luigi fut mon ami italien, mon compagnon de route, mon complice éditorial, nous chantions ensemble des tubes inavouables, ma fille Giulia a été conçue dans sa maison de Roncocesi», écrit Claude Nori à l'occasion de l'exposition. Seul bémol : le travail référentiel opéré par la galerie manque cruellement... les deux artistes sont certes amis, mais ce n'est pas une raison pour ne pas mettre leur nom sous leur photos respectives.
© Claude Nori
Le deuxième sélection exposée dans un espace plus petit et intitulée «Je ne fais pas le photographe, je ne sais pas le faire» est consacrée aux travaux du photographe et poète Mario Giacomelli. Ces photographies en noir et blanc retracent, des années 50 aux années 90, la trajectoire artistique de cet homme qui n'a jamais quitté son village natal Senigallia (Italie).
© Mario Giacomelli
«Mio fratello italiano» : L'exposition de l'été (sans mentir)
Les photographies de Claure Nori respire le doux air de la Dolce Vita. Les couleurs sont acidulées et le noir et blanc est suave. Les portraits de femmes (souvent très jeunes) sont particulièrement beaux et sensuels : le regard qu'il porte sur elles les sublime. Le photographe toulousain peint une Italie mythifiée d'une éternelle jeunesse. C'est comme emmener un touriste qui s'est créé tout un imaginaire autour de Paris dans le village de Montmartre ou à la rue Mouffetard.
© Claude Nori
On voit souvent des clichés de plage : peaux bronzées, détente sur les rochers et parasols multicolores. On retrouve le photogramme du film Un Été 82 produit par le photographe : l'immense rafale d'une jeune fille espiègle qui peut se lire horizontalement, verticalement et même en diagonal si on le désire. Claude Nori nous sert sur un plateau tous les stéréotypes de l'Italie, mais c'est très réussi alors pourquoi critiquer ?
© Claude Nori
La sélection d'images de Luigi Ghirri est plus inattendue. Les photographies sont en petit format et instaurent une relation différente. Les cadrages sont également très serrés. On repère tout suite, un jeu presque constant entre le réel et l'irréel, le vrai et le faux : l'Italien photographie des publicités, des cartes postales, des clichés et les fait dialoguer avec un paysage ou un objet concret. Les images semblent pouvoir devenir des substituts de la réalité. «Ses photographies sont comme des photos d'identité du réel», expliquait Barthes. On remarque d'ailleurs que Claude Nori s'en inspire directement dans Catania, Sicile, 1998. Plaine du Pô, 1991, photo de l'artiste français représentant un portail ouvert, semble aussi être un écho à une œuvre de Luigi Ghirri (Formigine, 1985). Seule différence : le point de vue.
© Luigi Ghirri
Les paysages du photographe italien sont vides et silencieux. Les clichés de couleur pastel ont une dimension plus mélancolique que celui de son compagnon français. Cette teinte est due aux pellicules Kodachromes. Luigi Ghirri semble s'attarder sur des éléments touristiques qui modifient le paysage : barrières, longues-vues à pièce, manèges, etc. Les photographies de montagne sont les plus belles. Les reliefs sont immortalisés avec beaucoup de poésie : le végétal des plaines contraste avec l'aridité des roches, une femme légèrement vêtue pose près des monts enneigés...
© Luigi Ghirri
«Je ne fais pas le photographe, je ne sais pas le faire»
Le travail de Mario Giacomelli est complètement différent. Les clichés sont tous d'un noir et blanc très agressif du à l'hypersaturation et au fort contraste. L'intensité du noir découpe les silhouettes du décor dans lequel elles sont photographiées et la luminosité du blanc efface de nombreux détails. Les ombres sont plus réelles que les bâtisses qu'elles reflètent.
© Mario Giacomelli
Mario Giacomelli nous plonge dans des paysages irréels. C'est d'autant plus perturbant en photographie que l'on sait que ce qui est photographié a réellement existé et ne peut être totalement fictif. Le cadrage, le noir et blanc et la superposition de négatifs font que les modèles semblent sortir tout droit du néant. L'écorce des arbres ressemble, elle, à des visages et les champs à des peintures abstraites. La saturation peut paraître parfois de trop. Les photos sont brutes et les couleurs ne sont pas raffinées pourtant, Giacomelli nous transporte à partir de sujets simples dans un univers poétique au sein duquel nous n'avons aucun repère.