© Clarisse Treilles
Chroniques du 20/5/2015 au 1/11/2015 Terminé
Abbaye de l'Epau Route de Changé 72530 Yvré l'Evêque France
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » disait autrefois le poète Joachim du Bellay. Aujourd'hui le concept du voyage a bien changé. Plus question d'affronter des monstres et de voguer à la dérive pendant dix ans loin de chez soi comme le héros d'Homère. Le voyage n'en reste pas moins un moment privilégié pour s'accomplir et partir à la découverte de l'Autre. Abbaye de l'Epau Route de Changé 72530 Yvré l'Evêque France
Territoires interdits, territoires fantômes
© Bernard Descamps
Au cœur de la Sarthe, l'Abbaye d'Épau accueille tout l'été une exposition photographique en plein air pour la troisième année consécutive. Elle aborde, cette fois-ci, le thème du voyage. Les périples se déclinent sous toutes leurs formes : du voyage immobile au pèlerinage, il n'y a pas une manière unique de porter ses valises. Les dix photographes sélectionnés pour habiter le parc de l'Abbaye pendant quelques mois se différencient les uns des autres de par leurs styles et leurs origines. Certains sont très enracinés dans la région - comme Nicolas Krief et Frédérick Carnet - d'autres, au contraire, viennent de loin - d'Uruguay pour Gustavo Ten Hoever en passant par le Canada pour Lana Slezic.
Il y a des voyages que l'on réalise chez soi. Nicolas Krief, historien de formation, a souhaité rendre compte de l'héritage laissé à l'aube du XXème, lorsque les gens des villages considéraient comme « étranger » l'habitant du village d'à côté. Avec sa série « Variations Sarthoises, ou le Voyage immobile », Nicolas Krief replace le village au centre de la vie. Il a notamment travaillé sur le rôle social des jours de fête dans les villages. « Je trouve que le monde rural possède une force héroïque très puissante », explique-t-il simplement. Ses clichés sont exposés deux par deux, comme s'il l'un répondait à l'autre. La meilleure des illustrations est la scène de catch photographiée par Nicolas Krief : une photo du combat pose côte-à-côte avec celle du public en train de regarder le match. Le catch, quel choc dans ce parc cistercien de treize hectares !
Variations Sarthoises, ou le Voyage Immobile
© Nicolas Krief
Une simplicité naturelle
Ni mise en scène ni retouche ne viennent perturber les instants de vie capturés par Nicolas Krief. Juste l'instantanéité du moment importe. Le photographe se sert de la couleur comme un élément structurant, afin de donner du relief à ses photos. Au bord du chemin, les photographies reproduites en grandeur nature brillent par leur simplicité. La beauté du voyage immobile réside dans sa capacité à sublimer le quotidien.
« Hey Pilgrim ! Why are you walking ? »
© Frédérick Carnet
Frédérick Carnet, quant à lui, a préféré bousculer son quotidien, en partant, presque à l'improviste, à l'attaque du pèlerinage de Compostelle. « May your feet always find the way », que tes pieds trouvent toujours le chemin : ce message inscrit sous l'un de ses clichés n'est pas placé là par hasard. Ces mots ont été prononcés par un marcheur que le photographe a rencontré sur cette route aussi spirituelle que physique. Parcourant près de 700km entre Pampelun et Santiago en Espagne, Frédérick Carnet est entré dans la peau d'un pèlerin. « Je n'envisage pas le voyage sans appareil photo » explique l'artiste qui a porté pendant les trente jours de marche son matériel argentique, un format économique en terme de nombre de prises de vue... mais pas vraiment pratique. Ses clichés témoignent des paysages traversés sous la pluie, la neige et par beau temps. Frédérick Carnet place les pèlerins au centre de sa démarche artistique : « J'ai demandé aux gens qui participaient au pèlerinage pourquoi ils marchaient. » La marche comme la photo se rejoignent finalement sur le plan philosophique : ce sont des manières de répondre au questions que l'on se pose. Telle est, en tout cas, la conception du voyage de Frédérick Carnet.
D'autres voyages sont plus intimes. Sur le mur du cloître, Lana Slezic a accroché ses portraits de femmes afghanes. Ce choix scénographique questionne obligatoirement la religion, notamment vis-à-vis de la place de la femme. Les Afghanes de Lana Slezic sont photographiées avec leur voile, sur un fond uni, comme pour les placer dans une sphère à part, au bord de la société. Pour arriver à ce résultat, elle s'est inspirée des plaques de verres, un support photographique recouvert d’une émulsion sensible à la lumière.
A Window Inside
© Lana Slezic
A Window Inside
© Lana Slezic
Surréalisme et perte de repères
Le travail documentaire de la photographe canadienne qui a vécu et travaillé en Afghanistan contraste avec la série « Animétro » de Thomas Subtil et Clarisse Rebotier. D'ailleurs, ces deux séries sont radicalement opposées sur le parcours de l'exposition dans le parc. En contournant l'Abbaye, « Animétro » attire par son côté ludique et inattendu. Les photographes ont travaillé en binôme sur ce projet surréaliste. Ils ont presque inventé un scénario de science-fiction : un monde où les animaux sauvages colonisent le métro. Le lion passe le tourniquet tandis qu'une panthère rôde dans un couloir sombre et des gazelles patientent sur le quai avant de monter dans une rame. Les animaux mis en scène grâce à un montage quasi invisible proviennent de collections de taxidermistes et des clichés de Thomas Subtil pris lors d'un voyage au Kenya. L'association du quotidien du métro à l'exotisme de la savane provoque une perte de repères, à coup sûr.
ANIMETRO
© Thomas Subtil et Clarisse Rebotier
© Clarisse Treilles
ANIMETRO
© Thomas Subtil et Clarisse Rebotier
Lorsque des pistes d’atterrissage côtoient des plages. La série « Jet Air Liner » de Joseph Hoflehner inspire aussi une forme de surréalisme. D'abord parce que les photographies, assez singulières, sont attachées à des troncs d'arbres à l'entrée du parc et il faut l'avouer, cette technique d'exposition est assez rare. Ensuite parce que des avions qui rasent les plages et passent à quelques mètres des toits et des voitures, on n'en voit pas tous les jours non plus. Ces clichés pris à proximité de l'aéroport de Saint-Martin questionnent le regard. La série de Joseph Hoflehner a le mérite de revenir à l'essentiel : lorsque l'on part en voyage, la première étape, c'est le moyen de transport (ici, l'avion en l'occurence).
Jet Air Liner
© Josef Hoflehner
Parmi les voyageurs, il y a ceux qui savent d'où ils partent et où ils arrivent et les autres, qui ne savent pas très bien où ils vont. Gustavo Ten Hoever fait partie de cette deuxième catégorie. Ce photographe uruguayen a une personnalité bien à part, solitaire dans l'âme, il a parcouru de nombreux pays à la recherche de paysages désertiques et de lieux abandonnés. De la Provence, à l'Inde, la Colombie ou l'Arizona : il est allé partout. Et il en est revenu avec des clichés impressionnants. Son vieil hôtel abandonné de Woodstock semble tout droit sorti d'un film d'horreur. Mais pas le genre à effrayer, plutôt celui à fasciner. Et sa scénographie aussi fascine. L'Uruguayen, qui a toujours rêvé de faire une exposition en plein air, a choisi d'accrocher ses clichés sur des structures non-statiques, qui ressemblent aux fils pour le linge. L'ensemble donne un aspect très naturel et très simple.
Estructuratipi
© Gustavo Ten Hoever
Paysages
© Flora Bevilacqua
© Clarisse Treilles
Le message : à l'Abbaye, c'est comme à la maison, du linge pend à l'air libre au fond du jardin. Rien ne vient perturber la quiétude du lieu. Le seul risque serait, peut-être, de se perdre parmi tous ces hectares de verdure. Mais qu'importe, on est en voyage !
Exposition Voyage photographique à l'Abbaye de l'Epau
Du 16 mai au 1er novembre 2015
Josef Hoflehner, "Jet Air Liner"
Thomas Subtil et Clarisse Rebotier, "Animetro"
Flora Bevilacqua - Lauréate du prix des Photographies de l'année 2015 de l'A3PF
Gustavo Ten Hoever "Los Ranchos, des structures vidées par le temps"
Nicolas Krief "Variations Sarthoises, ou le voyage immobile"
Frederick Carnet "Hey Pilgrim ! Why are you walking?"
Lana Slezic " A window Inside"
Bernard Descamps "Territoires interdits, territoires fantômes"