GREGORY CREWDSON The Shed, 2013 © Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
Comment est né le projet de l'exposition « The Becket Pictures » avec le FRAC Auvergne ?
« The Becket Pictures » a vraiment été l'idée de Jean-Charles Vergne. Nous nous sommes rencontrés à l'occasion du vernissage de l'exposition « Cathedral of the Pines » à la galerie Templon. Il pensait que l'Auvergne ressemblait beaucoup à la région des Etats-Unis où je vis et travaille, et que c'était l'endroit parfait pour montrer ensemble les deux séries que j'avais faites à Becket.
Cette exposition « auvergnate », au coeur d'une région elle aussi peuplée par les arbres, a de fait une signification particulière...
Oui, certainement, parce que la série « Cathedral of the Pines » s'est inspirée et a été influencée par les sentiments d'isolation et d'introspection que l'on trouve dans les bois.
Dès que l'on évoque votre travail, on parle beaucoup des différentes influences que l'on croit y distinguer – en matière de peinture, de littérature ou de photographie. Au bout du compte pourtant, vos images l'emportent sur tout le reste et nous laissent souvent seuls, face à la chair et à une foule de sensations. Votre approche nous parait beaucoup plus organique qu'intellectuelle, qu'en pensez-vous ?
Je suis inspiré par d'autres travaux, c'est certain : « Cathedral of the Pines » a été influencée par une exposition que j'ai vue au Metropolitan Museum of Art à New York qui s'appelait « Rooms with a View »*. Elle montrait des peintures du XIXe siècle qui utilisaient la fenêtre comme sujet principal, explorant la relation psychologique et émotionnelle entre l'extérieur et l'intérieur. Cela m'a beaucoup plu. Les deux années qui ont suivi cette exposition, j'ai passé énormément de temps dans les bois et dans la nature, et les images sont nées de cette expérience. Mais vous avez raison, ces photographies relèvent finalement plus de l'émotion et de l'organique, que d'une fabrication intellectuelle. Elles me sont très personnelles et parlent beaucoup de l'aventure que je vivais à cette époque.
GREGORY CREWDSON
The Pickup Truck, 2014
Digital pigment print 45 1/16 x 57 9/16 inches 114.5 x 146.2 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
GREGORY CREWDSON
The Barn, 2013
Digital pigment print 45 1/16 x 57 9/16 inches 114.5 x 146.2 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
GREGORY CREWDSON
The Motel, 2014
Digital Pigment Print 45 1/16 x 57 9/16 inches 114.5 x 146.2 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
J'ai fait « Firelflies » pendant un été. J'habitais dans le chalet familial à Becket, qui est situé sur un grand terrain qui nous appartient. Dire que j'étais au cœur d'une région sauvage est un euphémisme. Je me suis toujours senti chez moi là-bas. Pendant cet été-là, je traversais une période de bouleversements personnels – comme ce sera une nouvelle fois le cas pendant les quelques années qui m'ont amené à faire « Cathedral of Pines ». Tenter de capturer les lucioles sur une pellicule était un peu une obsession, que je ne saurais expliquer, à l'époque ou maintenant. Je suis sorti toutes les nuits tout seul, avec mes appareils. C'était une expérience primitive pour moi en tant que photographe. Photographier « Fireflies » était une entreprise imparfaite et presque futile, ce qui finalement, l'a rendue encore plus belle et insaisissable.
GREGORY CREWDSON
Untitled, 1996
Gelatin silver print 13 3/8 x 16 7/8 inches 34 x 42.9 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
GREGORY CREWDSON
Untitled, 1996
Gelatin silver print 13 3/8 x 16 7/8 inches 34 x 42.9 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
Six photographies de « Beneath the Roses » (2003-2008) sont aussi exposées au FRAC. La série est souvent décrite comme la face sombre de l'Amérique. Que pensez-vous de cette description ?
J'ai aussi entendu cette expression. Ce n'est pourtant pas mon intention quand je fais des images. Je recherche des moments de transcendance et de beauté à confronter aux paysages et aux intérieurs, et qui d'une certaine manière saisissent la vie ordinaire. Il y a des sentiments précis de beauté et de tristesse, mais je n'essaie pas de faire une déclaration particulière sur le mode de vie américain – même si mes images proviennent évidemment d'une tradition artistique américaine.
La présidence de Donald Trump pourrait-elle devenir une source d'inspiration pour d'autres séries à venir ( « Beneath the Roses 2 ») ?
Sa présidence rend sûrement certains thèmes de mon travail particulièrement pertinents en ce moment. Mais quand je pense à faire mon travail, je ne pense pas à des idées aussi concrètes et/ou spécifiques que celle-là.
L'obscurité n'existe pas sans la lumière, particulièrement en photographie. Comment parvenez-vous à équilibrer les deux dans votre travail ?
Toute la démarche de mon travail s'inscrit dans cette quête d'équilibre entre lumière et obscurité. On travaille au crépuscule, entre le jour et la nuit. Et l'on utilise la lumière artificielle pour équilibrer l'ombre et la lumière ambiante, et créer une tension psychologique. Au niveau du thème, c'est la même chose. J'essaie toujours de transmettre de l'espoir et de la transcendance, et le désir de se connecter à quelque chose de plus grand que soi, même au coeur de la tristesse, de la déchéance, de l'isolement.
GREGORY CREWDSON
Mother and Daughter, 2014
Digital pigment print 45 1/16 x 57 9/16 inches 114.5 x 146.2 cm (framed)
© Gregory Crewdson. Courtesy Gagosian.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre routine photographique, du début à la postproduction ?
C'est un processus très lent, qui commence avec les idées et l'inspiration. Les trouver d'une manière naturelle prend parfois du temps. Dans le cas de « Cathedral of the Pines », j'y pensais tous les jours durant mes randonnées, à pieds ou en skis de fond, sur les sentiers ou pendant que je nageais dans un lac isolé à Becket. La répétition est très importante pour moi. Une journée idéale pour moi inclut la même routine d'activités, de repas, etc.
L'étape suivante dans le processus est de trouver les endroits où je vais photographier. Encore une fois, cela prend du temps. Je dois retourner à un endroit encore et encore jusqu'à ce que je vois vraiment l'image. Les idées deviennent moins abstraites avec le temps. Je travaille avec ma partenaire Juliane pour écrire une description détaillée de ce qu'est la photographie, ce qu'on verra dans le cadre, la position de l'appareil, etc.
Ensuite, pendant la production, bien sûr toute mon équipe embarque et on shoote généralement pendant 6 semaines, à raison d'une photo par jour. Puis il y a une longue période de post-production, d'impression... Du début à la fin, cela prend des années pour créer une série d'images, et c'est parce qu'il y a un certain rythme dans la manière dont je travaille. Je n'aime pas me presser ou forcer quoi que ce soit.
Comment définiriez-vous votre photographie et la relation que vous entretenez avec elle ? Est-ce une vieille histoire d'amour, une aventure passionnée ou peut-être un conte familial, puisque famille et amis font partie intégrante de votre travail ?
Je ne sais pas trop comment répondre. Je peux dire que quand j'ai découvert la photo à l'université, j'ai senti immédiatement que c'était un langage avec lequel je pouvais pleinement m'exprimer. Cela a été un coup de foudre, je suppose. Faire des photos correspond intrinsèquement à ma façon de penser, alors c'est un médium très naturel pour moi.
Que peut-on vous souhaiter dans l'avenir, Gregory Crewdson ?
La même chose que ce que je me souhaite : de continuer à faire des images ! Mais je n'aime pas trop parler de ce sur quoi je travaille, alors restez à l'affût...
* « Chambres avec vue »