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Qu'est-ce que l'Urbex selon vous ?
L'urbex est une façon tout à fait alternative de faire du tourisme, c'est aller dans les endroits totalement abandonnés, désaffectés qui sont normalement déserts. Nous ça nous permet de faire le tour du monde et justement d'aller dans des endroits qui peuvent révéler une certaine histoire par rapport aux pays que l'on visite. C'est vraiment une passion et un mode de vie différent, une dose d'adrénaline que l'on ne peut pas avoir dans du tourisme classique, d'ailleurs que l'on fuit complètement. Etre toujours confronté aux même personnes, faire la queue pour les musées, pour aller visiter la tour Eiffel, etc, c'est pas quelque chose qui nous attire. Se retrouver seul et isolé dans des endroits qui valent le détour, c'est une immersion dans le passé, qui nours permet de nous échapper du quotidien depuis 4 ans.
Votre approche part-elle de l'urbex ou de la photographie ?
On est venu à la photographie uniquement par le biais de l'urbex. Et même maintenant, quand on a un appareil photo dans les mains, c'est uniquement pour prendre en photos les lieux abandonnés. On serait incapable de prendre autre chose en photo. C'est le seul sujet qui nous intéresse, aussi parce qu'on accorde à cette pratique beaucoup de temps. Donc on avait investit en 2014 dans deux boitiers canon moyenne game, deux 600D et on s'est lancé dans l'aventure sans aucune prétention photographique.
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Au début nos photos étaient surtout illustratives, avec une simple valeur de souvenir et sans aspect de cadrage ou de retouche photo. Et c'est lorsque j'ai acheté un appareil photo à Marie qu'elle a donné la voie, elle a eu l'idée qu'on commence à prendre un trépied et qu'on commence à s'appliquer. Jusqu'à maintenant, elle s'occupe de prendre les photos en grand angle, et moi la plupart du temps je fais de la macro. On met beaucoup de soin à nos photos maintenant, mais on ne s'intéresse pas du tout à la technique. Nous à travers nos photos on veut parler de l'exploration en elle-même mais pas de comment on a fait la prise de vue. C'est pour ça qu'on prend le terme de photographe parce qu'on est fiers de nos photos, mais on est vraiment photographes dans une thématique particulière.
Et ça fait deux ans maintenant que la démarche artistique y est, on fait des photos travaillées et on est très sélectif lors de nos prises de vue. Les photos doivent apporter un impact visuel au public. On passe beaucoup de temps à la retouche photo, surtout lorsque c'est des séries de 80 à 100 clichés. Il peut m'arriver de traiter 5-6 fois la même photo en une année, sans travestir le réel. Le temps que je passe dessus est un virus, Marie est désemparée face à moi.
Peut-être une ébauche d'esthétisation des images ?
C'est certain, mais je ne pensais pas qu'un jour j'accorderais autant de soin aux photos. Depuis un mois on met en vente nos photos sur internet, et je veux vraiment pouvoir être fier de moi et être légitime à les vendre. On a la volonté de faire vivre nos photos en dehors d'internet. Notre objectif est quand même d'éditer des livres thématiques sur nos explorations et pourquoi pas même, de faire des expositions. C'est une nouvelle expérience qui s'ouvre de ce coté-là.
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Qui est l'âme artistique de votre couple ?
Ce qui est marrant c'est que jusqu'à ce qu'on se rencontrent, l'artistique ne faisait pas vraiment partie de la vie de Marie. C'est moi qui l'ait emmené la-dedans parce que j'ai toujours eu une sensibilité artistique, surtout dans l'écriture de scénarios, de court-métrages. Je me suis dit que ce serait intéressant, en plus des reportages photographiques d'urbex, de pouvoir apporter des histoires aux lieux, pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'on doit préserver l'anonymat des lieux et donc on ne peut pas raconter leur réelle histoire et aussi parce que la plupart du temps, à part dire en deux lignes les dates d'ouverture et d'abandon des lieux, il n'y a pas d'autres choses à ajouter et ça peut paraître redondant.
Mais c'est ce qui crée un énorme décalage finalement car la plupart du temps, les gens prennent ça au premier degré alors que je raconte des trucs gros comme un camion, à prendre au dixième degré. Par exemple pour l'exploration d'une zone militaire avec des avions désaffectés en Croatie, j'avais raconté que comme il y avait des mines, nous avions emmené des enfants du village d'à coté pour qu'ils marchent devant nous et fassent exploser les mines. Et j'ai eu des commentaires qui disaient « Mais comment vous avez pu utiliser des enfants ? ».
Je me suis toujours intéressé à l'aspect artistique des choses, et l'urbex nous a emmené la-dedans. Après, c'est Marie qui m'a montré la voie de pouvoir faire un travail plus professionnel.
Qu'est-ce qui est le plus difficile à photographier ?
Au Japon on a été confronté à un laboratoire de serpents abandonné, et là c'est plus une phobie qui s'est mise en place par rapport aux serpents dans les bocaux de formol. C'était assez dur de se concentrer sur les photos. On avait déjà eu l'expérience en Belgique en 2013 dans une ancienne école vétérinaire de Bruxelles. Dans le sous-sol il y avait des chats, des chiens, des têtes de cochons qui flottaient dans le formol. Une part de gêne, de voyeurisme, de dégout qui m'a fait déclencher l'appareil en fermant les yeux, donc le rendu photo n'y était pas. De plus la pièce était totalement sombre, nécessitant l'utilisation du flash et on n'avait pas de trépied.
Après, il y a peu de décors qui nous mettent mal à l'aise parce que c'est ce qu'on recherche finalement. Le seul endroit qui a eu cet effet-là c'est parce que l'histoire du lieu s'y prêtait. Je me suis aventuré dans la maison abandonnée de Marc Dutroux. Je trouvais assez incroyable de pouvoir visiter une maison avec un tel degré d'histoire. Et finalement c'était lourd. Le fait de découvrir plein de jouets d'enfants et des dossiers avec marqué Dutroux -il restait beaucoup de choses à l'intérieur- m'ont rappelé l'histoire de cette personne. Mais à part ça, aucun lieu ne nous met mal à l'aise.
Pourquoi photographier particulièrement des couloirs, des escaliers et des portes ouvertes ? Qu'est-ce que cela évoque en vous ?
Les couloirs c'est vrai que c'est mon obsession. J'adore les couloirs. Ca me rappelle souvent les ambiances de film d'horreur, car je suis un grand féru de films d'horreurs. Les longs couloirs avec plein de portes, dans l'obscurité, c'est des lieux qui se prêtent à ça.
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Que recherchez-vous en immortalisant des lieux du passé ?
Ce sont souvent des lieux qui vont ou à la destruction ou à la réhabilitation ou au saccage et au vandalisme. On sait que nous lorsqu'on y va, on ne retrouvera jamais le lieux comme on l'a vu. Il y a ce besoin de l'immortaliser comme si on ne le verrait plus. Le seul regret que j'ai c'est qu'on a commencé en 2013 à faire de l'urbex et on n'avait pas l'aspect artistique et la volonté professionnelle d'immortaliser ça. Avec un vieux appareil photo de Marie on a fait plein de reportages mais qui sont irrécupérables puisque les photos sont dramatiques.
Nous on cherche quand même à aller immortaliser des lieux où il y a la décrépitude, la peinture qui s'écaille et la nature qui reprend ses droits. Mais aller visiter un hôtel où l'on pourrait croire qu'il est juste fermé aujourd'hui parce que la literie est encore bien propre, ça ne procure rien du tout esthétiquement. On présenterait ces photos-là à un public sans leur dire qu'il est abandonné, ils diraient « c'est bien, tu travailles pour Century 21, tu fais les photos ». Il faut que les gens découvrent un contraste saisissant dans l'abandon.
Que cherchez-vous à faire dire à vos photos ?
On essaye de faire ressortir la beauté là où il n'y en a plus du tout normalement. Essayer de sublimer « l'insublimable » en quelque sorte. Faire ressortir les couleurs, essayer de faire revivre le lieux par ce biais-là. Et moi avec la macro j'essaye de capturer les choses emblématiques d'un lieux comme des factures éparpillées, des dossiers de patients. J'essaye d'immortaliser ce qui pourrait être les attraits historiques d'un lieux. On essaye de rendre hommage aux lieux abandonnés, à notre façon.
Vous considérez-vous comme des témoins de la dégradation des lieux au fil du temps ?
On est des témoins, de par le fait qu'on puisse suivre l'évolution des lieux à travers les autres photographes qui s'y rendent après nous ou même avant. On voit le développement des tags ou du vandalisme. Ce qui est bien dans cette pratique-là c'est qu'on a une sorte de travail commun où on immortalise chacun le lieux d'une différente façon ce qui permet de voir son évolution et peut-être même d'interpeller les pouvoirs publics pour sauvegarder certains lieux comme le château de Noisy en Belgique. Egalement j'ai partagé un article sur la démolition d'un château à Neuilly-le-sec en banlieue parisienne, détruit pour construire une salle des fêtes. On ne va pas se plaindre de leur état d'abandon non plus, puisque c'est notre travail.
Qu'est-ce que vous pensez de la politique de conservation du patrimoine française et européenne ?
Le problème c'est que c'est des lieux qui appartiennent au privé la plupart du temps donc l'Etat n'a pas la mainmise pour la sauvegarde des lieux. Il suffit qu'un propriétaire laisse l'espace en jachère parce qu'il n'a ni la volonté de la revendre, ni la volonté de le protéger, pour qu'il soit détruit. Par exemple à Nantes, un hôtel Belle Epoque est resté abandonné pendant 10 ans par sa propriétaire alors que la mairie l'avait relancé à plusieurs reprises pour mise en péril. Ils ont finit par le détruire. Donc niveau protection, on n'y est pas du tout. Parce que je pense que la protection importe vraiment lorsque le lieux peut apporter une manne touristique et financière importante.
Pourquoi proposer une comparaison avec des archives du passé ?
On propose des archives du passé et des cartographie qu'on pioche directement sur le site de l'EJN pour voir l'évolution d'urbanisme d'un endroit à travers les époques. Les photos ce sont souvent des prospectus que l'on a trouvé sur place. Il y a aussi le site Delcamp qui rassemble des collectionneurs de cartes postales, qu'ils vendent. C'est très passionnant comme immersion.
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Pourquoi mettez-vous un point d'honneur à rester anonymes ?
C'est pas vraiment qu'on tienne à l'anonymat. On l'avait pas prévu. Ca a commencé avec une séance photo en 2013 avec un masque en plastique, un vieux masque GIFI à deux euros en forme de lapin que j'avais dans mon étagère. Dans la communauté Urbex, il y a eu un grand foutage de gueule que j'ai un masque de lapin. Et moi évidement, quand ça plait pas, il faut que j'y aille à fond. Et du coup on a investit dans des masques en latex mais à la base j'aurais pu n'avoir aucun masque. C'est resté, on nous appelle les lapins.
A vrai dire, on a une petite pointe d’asociabilité, c'est pour ça que l'on fait de l'Urbex, pour être seuls. Je vais quand même assez loin dans nos biographies. J'ai le défaut de ne jamais me prendre au sérieux. La réalité m'ennui énormément. Après l'anonymat est venue vraiment naturellement. Mais ça peut être aussi problématique, dans les vidéos ou les mises en scène que le masque limite. Donc je me suis enfermé, effectivement (rires), dans cet anonymat-là, mais je pourrais totalement m'en débarrasser.
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