Kotya Libaya : Le bois Congolais a quel prix? Yoshua Kajeri sur un four à makala, utilisé pour la carbonisation du bois. Avec un taux d’électrification de seulement 9% dans le pays, le charbon de boi
Réalisation: Claudia Lacave
Le festival des Promenades Photographiques de Vendôme, qui a débuté le samedi 24 juin, met à l'honneur chaque année des jeunes photographes et d'autres peu connus afin de révéler leurs reportages. Sans thèmes précis, le fil conducteur reste l'Humain et la découverte. https://www.youtube.com/embed/UvBd4PwzuU8" et Etienne Maury y présentent cette année leur série « Kotya Libaya : le bois congolais, à quel prix ? ». La jeune photographe franco-allemande est une habituée du pays. Au cours de ses études de photographie à Bruxelles elle s'intéresse déjà au reportage en suivant un jongleur de rue attachant, « Hicham ou l'histoire d'un carrefour ». Tant dans sa ville qu'au cours de ses voyages, Léonora s'emploie à illustrer la vie quotidienne, ses joies et ses peines. Elle effectue en 2014 son stage de fin d'études en République Démocratique du Congo, pour le quotidien « Le Potentiel ». C'est le début d'un attachement qui dure toujours, en témoignent ses nombreux reportages dans le pays. Au sein du collectif Item, structure de production indépendante regroupant dix photographes dont le but est de permettre une coopération artistique afin de proposer des travaux sur le long terme, ses photos répondent à des commandes ou à son intérêt personnel. En effet, elle a collaboré avec de nombreuses ONG et institutions humanitaires sur des missions essentiellement basées en Afrique. Au cœur de ses images se retrouvent les thèmes des camps de réfugiés, des cultures populaires, de la défense des droits de l'Homme et de la démocratie. Rencontre avec une photojournaliste montante :
Portrait de Leonora Baumann © Mugabo BARITEGERA
Que ressentez-vous face à votre exposition par les Promenades Photographiques ?
Ça fait plaisir de voir un travail exposé. Il est assez récent, le dernier voyage pour ce projet était fin 2016. Du coup c'est la première fois que je le vois présenté avec autant d'images, ça fait aussi prendre conscience du travail accompli et c'est l'opportunité de pouvoir vraiment en parler.
En quoi consiste votre partenariat avec Etienne Maury ?
En fait Etienne Maury a réalisé le documentaire diffusé dans la salle de projection sur le coté de l'exposition. Fin 2015 j'ai eu le Prix Mentor Freelens et du coup j'ai proposé le projet sur la déforestation au Congo. J'avais envie de l'envisager sous une forme un peu multimédia et donc j'ai commencé à travailler avec lui sur des dossiers puis il m'a accompagné durant les voyages. C'est devenu un travail collectif.
Kotya Libaya : Le bois Congolais a quel prix?
Des femmes se rendent au marché dans un village voisin pour y vendre leur production de chikwangue (mets traditionnel à base de manioc) et d’autres «produits non ligneux» issus de leurs cultures ou ramassés en forêt. Les populations locales qui dépendent largement de la forêt pour leur subsistance vont au fil des saisons y chercher des chenilles et d’autres produits alimentaires ou médicinaux. Tshuapa, RD-Congo, octobre 2016
© Leonora Baumann / Item
D'où vient votre intérêt pour la photographie ?
J'ai une grande-tante qui était photographe et j'ai une famille d'artistes. Après le bac j'ai fait une année préparatoire en art et je sais pas, j'avais peut-être peur de la feuille blanche... Dans la photo j'ai trouvé quelque chose qui produisait une histoire, une image, un contenu. Après j'ai voyagé pendant un an en Nouvelle-Zélande, et c'est là que j'ai commencé à faire des photos, j'ai alors enchainé sur des études de photographie.
Pourquoi le reportage ?
La forme documentaire m'a toujours séduite dans la photo. Mais ce sont beaucoup mes rencontres, pendant mes études, qui m'ont orienté. J'ai fait mon stage de fin d'études avec Cédric Gerbehaye, qui est un photographe de l'Agence Vu et qui fait des reportages. On a travaillé sur la sortie d'un livre et sur une grande exposition pour les 50 ans de l'indépendance du Congo. Ce stage-là a vraiment guidé le chemin que j'ai suivi parce que j'ai appris beaucoup de choses et j'ai eu envie d'aller dans la même direction.
Mais plus dans ma pratique un peu personnel, je m’intéresse à d'autres formes de la photographie. L'idée de la narration et du témoignage me sont assez chères mais des formes plus artistiques pourraient me plaire.
Mères avant d'être femmes
Don Bosco Ngangi est une école et un orphelinat qui accueille 3000 enfants, victimes directes ou indirectes des conflits régionaux. C'est dans le gymnase de l'orphelinat qu'ont eu lieu les célébrations de la journée de la Femme : d'abord une messe, puis le défilé et les spectacles des filles-mères. Goma, centre Don Bosco Ngangi, mars 2015
© Leonora Baumann / Item
Quel est le but de votre démarche narrative en photographie ?
Eh bien mon but est de raconter des choses, de pouvoir témoigner. Je pense que mon premier reportage est « Hicham ou l'histoire d'un carrefour » et c'est la photographie qui m'a amené à lui. Après c'était une rencontre, c'était un an et demi dans son intimité, c'était une amitié aussi. La photographie est peut-être un prétexte, elle ouvre un univers.
Qu'est-ce qui vous intéresse dans la photographie de la vie quotidienne ?
En fait c'est un défi, pour pouvoir témoigner il faut être suffisamment proche, pour que ça ait un sens il faut y passer suffisamment de temps, pour arriver à capturer ces petits instants qui racontent beaucoup. C'est une interaction humaine. Pour le projet des commerçants bruxellois, le but était de photographier la vraie diversité et le brassage culturel de la ville. Ce sont eux qui en font l'identité.
Capoeira, retour aux origines
Ananaya a commencé la capoeira à l'âge de 3 ans. Sa mère, ne pouvant pas s'occuper de lui durant les journées ou elle cherchait du travail, a demandé à un élève capoeriste vivant sur la même parcelle de s'en occuper. Ce dernier l'a emmené aux cours de capoeira et depuis, les capoeiristes sont devenus sa nouvelle famille. Quartier Ancien Combattant, commune de Kasa-Vubu, Kinshasa
© Leonora Baumann / Item
Le cirque pour moi c'est un peu une longue histoire. Moi-même j'en ai fait un peu étant petite. La rencontre avec le cirque Zavatta était aussi assez surprenante parce qu'ils sont passés dans un tout petit village à coté de chez moi. Il fallait que j'aille leur parler. J'y suis retourné pas mal de fois et puis je les ai suivi. C'était pas facile au début, c'est la mère qui gère un peu tout ça et après que je lui ai expliqué que mon travail n'était pas juste sur les photos de spectacle, elle a dit : « ça c'est normal, parce que les photos de spectacle on en voit tout le temps et nous notre vie ce n'est pas du spectacle, elle est dure ». Elle m'a laissé être là mais après elle disait « nous on travaille, il faut surtout pas que tu nous dérange». Et après c'est devenu une amitié.
Comment choisissez-vous vos thèmes de reportage ?
Je ne fais pas vraiment de recherches, c'est plus l'environnement qui m'entoure et ce qui m'inspire dans cet environnement. Je voyais ces jongleurs au carrefour et je me disais que c'était un univers que j'avais envie de découvrir, donc j'ai suivi Hicham.
Pourquoi avez-vous un attachement si profond à la République Démocratique du Congo ?
Ça fait un moment maintenant que j'y retourne. Moi j'ai vécu longtemps en Belgique où j'ai fait la plupart de mes études. Et à Bruxelles il y a pas mal de références au Congo Belge. J'ai l'impression que ça m'a fait un peu découvrir aussi ce qu'étais la colonisation. Après ce sont les rencontres comme avec Cédric mais aussi avec les gens ayant travaillés au Congo ou qui y sont nés et qui maintenant vivent en Belgique, qui m'ont parlé de ce pays. Alors quand en 2014 j'ai du faire un stage, j'en ai profité pour découvrir un nouveau pays et le Congo me trottait dans la tête. Depuis j'ai fait 7 voyages.
Déplacés de Buleusa, prisonniers d'un cycle de violences ethniques
Cases de fortune de déplacés hutus congolais entassés à l'intérieur d'un camp de l'armée congolaise. Depuis le 13 juin dernier, la communauté kobo a brûlé tous les sites de déplacés hutus de la ville, les accusant d'être complices des rebelles hutus rwandais des FDLR. Ils sont aujourd'hui plusieurs milliers à vivre au sommet d'une colline avec une assistance humanitaire réduite. Sans accès à l'eau et aux sanitaires, cette population souffre de maladies. Plusieurs déplacés sont morts depuis le début de la crise. Buleusa, RD-Congo 26 juin 2016
© Leonora Baumann / Item
Pourquoi cet intérêt particulier pour les camps de réfugiés ?
C'est des sujets que j'ai fait sur mon premier voyage parce que c'était une découverte. Après j'ai travaillé pour l'UNHCR (United Nation High Comissioner of Refugees) et pour l'humanitaire donc j'étais envoyé en commande. C'est passionnant en fait, c'est des endroits où les gens sont regroupés donc les histoires sont regroupées et il y a tellement de choses à raconter. Au final dans mes sujets personnels je ne m'y suis pas plus plongé que ça.
Comment se déroule les reportages humanitaires concrètement ?
Si je suis en commande c'est organisé et préparé par l'ONG. Quand j'y suis allé de mon coté, ça fonctionnait un peu comme tout au Congo (rires). Il faut connaître le processus et contacter les bonnes personnes et après si on n'y va pas pour traiter d'une thématique délicate, en général, les accès ne sont pas compliqués à obtenir. Une fois sur place il faut avoir les bonnes personnes pour nous accompagner aussi. Il faut un traducteur et surtout quelqu'un qui explique aux gens ce qu'on vient faire ici. Ils voient passer beaucoup de blancs et ils sont un peu désabusés. C'est pas facile dans ce sens-là.
Que ressentez-vous lorsque vous vous retrouvez à photographier des situations de misère humaine ?
Sur mes premiers voyages j'avais besoin d'aller voir. Mais la première fois que j'étais dans un camp, le soir, je me disais juste que j'aurais du faire de la médecine ou quoi que ce soit, que c'était totalement illégitime de me retrouver dans un tel endroit juste avec un appareil photo entre les mains. Maintenant j'arrive plus trop à y aller parce que si je n'ai pas de raison précise, je trouve ça un peu injuste. Si nos images n'apportent pas un plus par rapport à celles qui existent déjà sur les camps de réfugiés, on a très peu de chances d'être publié et si on ne l'est pas, on a un peu menti aux gens. C'est pour ça que j'y retourne plus trop parce que maintenant je me dis qu'il faut avoir un but, un sujet précis, une raison pour aller dans les camps.
Ce qui fait la balance ce sont les sourires des gens et ces troupeaux d'enfants qui se forment autour des blancs qui viennent dedans. La magie qui apparaît dans leurs yeux quand ils se voient pour la première fois, parfois ils n'arrivent pas à s'identifier mais ils reconnaissent leurs proches. Et ces bons moments il y en a partout, même si la situation est très dure.
Hicham ou l'Histoire d'un carrefour
Bruxelles, Mars 2012. Après les aventures du squat, Hicham apprécit la simplicité de la vie au Tipi de Christian
© Leonora Baumann / Item
Vous considérez-vous comme une photojournaliste ?
(Rires) Je préfère photographe documentaire. Je ne suis pas photojournaliste, je pense que je fais des choses qui vont vraiment dans ce sens-là mais j'aime mieux traiter les histoires sur le long terme. Je suis pas vraiment dans le « news ». Après oui il y a un témoignage et j'essaye de faire des légendes en étant très journalistique et en fournissant le maximum d'informations.
Votre travail, notamment le reportage « Hicham ou l'histoire d'un carrefour », a-t-il une facette de dénonciation politique ?
Dans l'absolu oui, j'essaye de raconter des histoires qui ne sont pas traitées. Dans le sens où il y a des gens qui vivent en marge de la société et qu'on essaye pas vraiment de décrire dans leur quotidien. Après je n'ai pas de revendications derrière. J'essaye de montrer, pour ceux qui ont envie de voir.
Que pensez-vous des centres d'accueil de réfugiés en France, actuellement au cœur d'un débat politique sur leur organisation et sur leur insalubrité ?
C'est assez compliqué. Je pense que si on prend la maison moyenne d'un habitant congolais, les conditions de leur habitat seraient considérés comme totalement insalubres. Avant tout ce qui est important c'est de les accueillir. Après si les centres sont fermés, c'est plus pour la liberté des gens et des possibilités qu'ils ont que je suis inquiète. On a l'habitude de se référer à notre niveau de vie mais ces gens-là viennent d'un autre univers. Il y a des choses qui nous paraissent très choquantes et qui le sont peut-être beaucoup moins pour eux.
Mères avant d'être femmes
Corinne (au centre en haut), une fille-mère, suit un cours de coiffure dispensé par la maison Marguerite où elle vit avec sa petite fille Hortense, 1 an et demi. Elle a été kidnappée dans un bar, puis violée et séquestrée trois jours durant. Sa plainte a été déboutée après que son assaillant ait versé un pot-de-vin. Pour bénéficier d'un suivi psychologique et social, elle a été accueillie à la maison Marguerite. Goma, maison Marguerite, mars 2015
© Leonora Baumann / Item
Je continue de travailler sur la thématique des femmes et plus particulièrement sur la construction de la femme et donc la transition vers l’age adulte. Avec l'arrivée aussi au Congo d'une nouvelle représentation de la femme et d'une jeune génération qui remet en case les traditions. Je travaille aussi sur des jeunes artistes congolais qui essayent de militer et de parler de leur pays à travers l'art. Des jeunes amis qui ont été arrêtés vendredi et relâchés hier pour avoir dénoncer les massacres qui ont lieux au Congo en ce moment.
En tout cas je vais continuer à aller au Congo. J'ai l'impression aussi qu'il faut une certaine expertise avant de pouvoir parler de quelque chose et que plus je vais au Congo plus j'ai l'impression de comprendre ce qui s'y passe.
Votre travail sur les femmes en RDC s'inscrit-il dans le mouvement de https://www.youtube.com/embed/UvBd4PwzuU8" ?
Elle fait un très beau travail, et je dénonce les même choses qu'elle sur la thématique des femmes et des mariages précoces. Evidemment ça a lieux dans beaucoup trop de pays et beaucoup trop souvent encore. Ce sont des choses que j'aimerais bien montrer aussi au Congo, pour que ça aille dans le bon sens. Stéphanie Sinclair ça reste pour moi une grande photographe et j'ai l'impression d'être une jeune photographe qui débarque mais faire un partenariat avec elle ce serait formidable!
Est-ce que la démarche photographique du collectif Item rejoint l'évolution du journalisme même vers une information approfondie dans le temps long ?
Je viens d'intégrer le collectif Item mais c'est réellement pour cette démarche que je les ai rejoins. C'est souvent long et solitaire comme approche alors c'est un soutien d'être entouré de gens qui sont un peu dans la même démarche. Je ne pense pas que ça va s'imposer mais que ça va perdurer en tout cas. Je pense que dans le fond, une grande partie des photographes, photo-reporters et photo-journalistes ont envie de raconter quelque chose de plus profond et pour bien le faire il faut passer par une démarche à long terme.