Région du Sinjar, Irak, 2015 : loin du front, une combattante kurde pose fièrement avec son fusil de précision ©Louis Witter
Pouvez vous me dire ce qui, personnellement, vous intéresse dans la photo ?
A mes débuts, j'étais plus dans une recherche d'esthétique. Puis, au moment des Printemps Arabes j'ai ressenti la frustration d'être encore lycéen et de ne pas pouvoir être sur place. J'étais passionné et lorsque je suis arrivé sur Paris, il y a eu le débat sur l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Une ancienne camarade de classe qui a rejoins des groupuscules d’extrême droite a accepté que je les suive un certain temps. C'est là que j'ai réalisé vouloir faire du journalisme et le moyen qui me convenait le plus était la photographie et de pouvoir montrer aux gens ce qui se passe où ils ne peuvent pas aller.
Quelles étaient vos motivations lorsque vous avez fait d'une part le reportage sur l’extrême droite puis sur la ZAD de Sivens ?
Dans les cortèges, il y avait bien sur des petites familles de Versailles en mocassin blanc et en foulard Hermès mais aussi ce volet de vrai fasciste aux cranes rasés. J'ai voulu me pencher sur cet aspect là. Par la suite je me suis demandé si j'avais bien fait parce qu'on ma reproché d'avoir esthétisé l'extrême droite et ça a ouvert tout un questionnement en moi. Par la suite, j'ai voulu savoir ce qui poussait des gens à venir à Sivens pour construire des choses nouvelles. Ca a été un travail plus facile puisque j'avais des attaches personnelles et une proximité tant idéologique qu'humaine avec eux.
ZAD de Sivens, 2014, face à face entre un gendarme et un manifestant contre le projet de barrage
©Louis Witter
Pourquoi le reportage sur l'extrême droite s'est mal terminé ?
Je l'ai proposé au Prix Paris Match du Photoreportage étudiant. Mais la manière dont le reportage a été présenté, les légendes et le fait qu'on voit leur visage, bien qu'ils l'avaient initialement accepté, n'a pas plu à ceux que j'avais photographié. C'est-à-dire que quand ils font le salut nazi, il faut le dire parce que c'est la réalité. Finalement ils m'ont mis la pression à mon retour de stage.
Pourquoi cherchez vous a expérimenter toutes les facettes de la société civile ?
C'est certainement un peu égoïste mais les sujets qui m’intéressent sont souvent les sujets qui me révoltent ou qui me touchent personnellement. Ce sont des thèmes que j'ai envie de comprendre et que j'ai envie de faire comprendre aux autres.
15 septembre 2016, Paris, Manifestation contre la loi travail
©Louis Witter
Avez vous besoin de toujours vous sentir concerné ou engagé dans le sujet pour photographier ?
Non et au contraire par exemple travailler sur la France m'intéresse moins parce que je me sens plus concerné par tout ce qui s'y passe et mon travail journalistique peut être altéré et moins « objectif » même si je déteste l'objectivité. Alors qu'à l'international j'arrive à simplement apporter un regard sur la situation.
Comment choisissez-vous, organisez-vous et rendez-vous possibles vos destinations ?
Ces trois dernières années j'étais en école et on nous a permis de faire beaucoup de stages. J'essayais d'en trouver qui m'intéresseraient et de préférence à l'international quand il s'agissait de longue période. Du coup, j'ai fais trois mois au Maroc au magazine « Tels quel » et quatre mois au Liban dans la rédaction de « L'orient-Le Jour » pour, sur mon temps libre, pouvoir travailler sur mes sujets.
Pourquoi cette volonté quasi constante de vouloir travailler à l'international ?
Depuis que je suis rentré du Liban, j'ai réalisé que c'est vraiment excitant et intéressant en terme de réflexion personnelle, d'arriver dans un pays dont tu ne connais ni la langue, ni la culture et d'avoir les sens en éveil. Ca rend, selon moi, le travail final plus intéressant et plus construit.
Mais depuis un an j'ai envie de retravailler sur le territoire français parce que j'ai envie de m'étonner de choses dont je ne m'étonnerais pas forcement comme la campagne de mes grands-parents.
A l'international je me sens plus libre mais il y a la problématique chez les photographes de toujours vouloir témoigner, raconter des histoires qui ne sont pas racontées alors que sur le terrain il va toujours y avoir énormément de journalistes qui font à peu près la même chose. Avec le recul j'analyse aussi ça comme un sentiment un peu néo-colonialiste de vouloir débarquer et témoigner alors qu'ils peuvent aussi très bien le faire eux-mêmes voire mieux que moi.
Calais, octobre 2016, dernière manifestation de réfugiés avant la destruction du bidonville
©Louis Witter
Pouvez-vous me dire comment vous gérez votre retour ?
On gère parce qu'il faut gérer et parfois c'est plus dur. Tu rentres et le lendemain tu prends une bière avec tes amis et malgré tout l'effort que tu vas y mettre, ce qu'ils vont te raconter sur leurs problèmes du quotidien, tu vas t'en foutre sévèrement. C'est compliqué parce qu'il faut se forcer à retrouver ces petits trucs du quotidien, sinon tu finis aigris. Sur place, c'est jamais facile quand les gens te racontent leur histoire et que tu débarques avec ton appareil photo. Ces gens ont tout perdu, le lendemain t'es plus là et eux vont continuer cette route de la galère… J'y repense souvent, c'est humain et ça me rassure même d'y repenser. Ca me prouve qu'il n'y a pas un total filtre entre moi, l'appareil et ces gens.
Ete 2016, Al-Qaa, Liban, un homme des « faucons de Qaa »,
groupe chrétien armé qui garde les frontières de son village, collé à la Syrie
©Louis Witter
Est ce qu'il y a eu des images qui ont été plus difficiles à photographier ?
Elles ne sont pas forcément difficiles à prendre sur le coup parce que t'es guidé par le réflexe. L'image à laquelle je repense le plus est celle à la frontière Autriche-Allemagne qui était fermée à ce moment là. Il y avait une file de réfugiés dont un père avec son enfant et l'enfant convulsait. Quand le policier allemand lui a refusé le passage, le père s'est effondré au sol avec son enfant qui avait les yeux révulsés. J'ai pris deux photos, on s'est retournés avec mon ami et on a pas parlé de la soirée. Je pense qu'on réfléchissait tous les deux à s'il fallait qu'on capture ou pas cet instant qui était d'une violence inouïe et d'avoir deux objectifs braqués sur toi à ce moment qui est décisif dans ta vie. Finalement les retours que j'en ai eu m'ont rassuré.
Est-ce qu'on peut parler de remords ?
Non, ce sont plus des interrogations qui me poussent après à faire mieux pour la prochaine fois dans une situation similaire et ça guident ma manière de travailler. Dans ce que je veux faire et la manière avec laquelle je veux la faire. On a toujours le questionnement, même si cet homme était entouré à ce moment là, on se demande si on aurait pas pu faire plus.
Du coup, y a t'il des moments où vous sortez de votre rôle de spectateur ?
Si j'ai du sérum physiologique et que quelqu'un en a besoin tu lui en donnes quoi. Et ça indépendamment du fait d'être d'accord ou pas avec les manifestants. C'est juste une question d'humanité. En Ukraine, si le soldat à côté de moi a soif, je lui donnes ma bouteille. Avec ce père et son fils, il était déjà bien entouré et nous on était vraiment hagard et sous le choc devant la violence de cette scène.
Et comment s'est fait ce voyage concrètement de la Serbie à l'Allemagne ?
J'étais encore étudiant, j'avais pas d'argent et mon ami caméraman était dans la même situation que moi. Le sujet nous touche parce que ces gens fuient une guerre et ils sont à 300 – 400 bornes de chez nous. Du jour au lendemain on a pris la voiture de ma grand-mère et on est parti en Serbie pour faire en tout 6000 kilomètres en une semaine et demi. On a décidé de passer par les étapes qui étaient dans l'actualité. Il nous arrivait de recroiser des gens d'une étape à l'autre et c'était drôle. A chaque fois, les histoires étaient toutes uniques. Entre le jeune homme dont les parents médecins étaient morts, ou le professeur d'art de Moussoul qui continuait à dessiner après l'arrivée de DAECH, prenait en photo avec son portable ses dessins et déchirait l'original parce que c'était interdit. On était aussi contents de couvrir les évènements à notre manière.
Quelles limites avez-vous avec vos photos ?
En prenant la photo j'en ai pas, mais si elle n'apporte rien au récit que je veux raconter, qu'elle n'apporte aucune information, je ne la publierai pas. Je préfère parler de gens qui se battent pour vivre que de gens qui sont morts. Et de toute façon je n'ai pas l'impression d'avoir été confronté à mes limites, donc j'ai pas du y faire face pour le moment.
Qu'est-ce qui vous donne envie de retourner sur le terrain ?
Au début c'était l'envie de travailler et de prendre des photos. J'y allais avec peu de préparation sur les conflits et sur les forces en présence. Ce sont des erreurs que j'analyse avec le recul. Les séries sur l'Irak et l'Ukraine n'ont d'ailleurs pas forcément bien marché parce que j'avais pas un angle assez précis. En Colombie ça a été différent parce que j'ai bien travaillé le sujet avant mon départ et je pense que c'est essentiel, ne serait-ce que parce que t'es toujours mieux accueilli lorsque tu sais de quoi tu parles. Maintenant ce qui me motive c'est définitivement le sujet.
Juin 2017, Al-Hoceima, Maroc : des jeunes filles soutiennent sur le pas de
leur porte une manifestation qui se tient un peu plus loin pour réclamer un hôpital,
du travail et une faculté. ©Louis Witter
En ce moment vous couvrez les évènements qui ont lieu au Maroc. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Les événements on commencé en novembre avec la mort d'un vendeur de poisson, Mouhcine Fikri. Ca a donné lieu à des manifestations dans lesquelles les gens dénonçaient plus que la mort d'un seul homme mais plutôt le fait que le RIF est une région délaissée. Comme c'est un pays qui m'intéresse énormément et dans lequel je m'y suis beaucoup plu lorsque j'y avais fait mon stage, j'ai voulu y retourner. Par la suite, il y a eu d'autres éléments qui ont fait que j'y suis retourné successivement sur la durée. Je me suis intéressé aux manifestations mais aussi à d'autres petits sujets pour aborder ce mal-être du RIF sous des angles différents.
Quels sont les aspects difficiles à gérer dans ce genre de reportages ?
Le Maroc est compliqué à traiter dans le sens ou c'est un pays qui est assez fermé avec la presse, mais qui tend à s'ouvre de plus en plus. Ailleurs, on a eu un peu peur lorsqu'on est rentré d'Irak parce qu'on était tout de même avec le PKK pendant trois semaines et on est rentré en passant par la Turquie mais finalement tout s'est bien passé. Il y a des pays où il faut tout simplement faire attention et ce sont des risques qu'il faut prendre en considération avant de partir. C'est le problème quand t'es jeune et indépendant comme moi, t'as pas forcément conscience de tout ça au début.
Jhackson, 29 ans, huit ans de guérilla, est un combattant des FARC.
Il pose sans fusil sur le point de transition d’Anori, géré en partie par l’ONU.
©Louis Witter
La série « sin armas » est une première dans votre travail… Qu'est ce qui vous a donné envie de vous aventurer vers autre chose ?
Ca a été une prise de risque, parce que je suis très mauvais portraitiste. J'ai eu l'idée de les faire poser sans leurs fusils parce qu'ils me parlaient tous de leur fusil, qu'ils n'auront plus ou qu'ils veulent garder. Je voulais questionner leur rapport à leur arme en les mettant face au fait que dans à peu près six mois ils allaient retourner à la vie civile sans leurs armes. Je leur ai demandé de répondre à deux questions. « Que signifie la paix pour toi ? » pour lequel j'avais droit à des réponses idéologiques et « C'est quoi ton rêve ? » auquel ils répondaient tous « Moi mon rêve c'est de me battre pour mes idées mais sans mon arme car la paix est venue »… Par la suite, ils se sont laissé aller et j'ai eu des réponses incroyables et extrêmement construit.
Du coup, voulez-vous toujours travailler forcément dans l'actualité ?
Pour le moment je veux rester dans l'actualité parce que je suis jeune physiquement mais aussi dans ma tête et que je suis toujours en quête de nouveauté. Je veux être au cœur des évènements et informer les gens. Je me laisse le temps d'y réfléchir. Je sais pas où je voudrais que ça me mène, j'aimerais déjà en vivre pleinement, ce qui n'est pas pleinement le cas… Je ne veux pas forcément traiter de l'actualité mais j'aime le récit, raconter des histoires à travers la photo, voir les gens, parler avec eux, savoir pourquoi ils se battent ou pourquoi ils ne se battent pas.