© Matthieu Suprin
Ce travail que vous nous présentez est le fruit de plusieurs voyages en Asie...
J'ai passé trois semaines en Birmanie en 2013 et après j'ai fait une espèce de combiné Cambodge/Laos en 2015. Proportionnellement, il va y avoir plus d'images sur le Cambodge, la destination où je suis resté le plus longtemps. J'étais encore salarié en entreprise et je suis donc parti avec mes congés payés, à l'aventure avec mon billet d'avion, mon sac à dos, mon appareil photo... On brode le voyage au fur et à mesure.
Tout seul ?
Oui c'est important, bien que je ne sois pas très solitaire et que j'aime beaucoup le rapport aux autres. J'ai appris à voyager seul, c'était un peu déroutant les premières fois mais on finit par y prendre goût. Quelque soit le pays dans lequel on va, le rapport qu'on a avec une personne va être complètement différent selon que l'on soit seul ou en groupe. On ne va pas se confier, se comporter de la même façon. Comme je recherche un maximum d'authenticité dans le rapport à l'autre, c'est important pour moi d'avoir cette démarche.
Vous faites plusieurs photos en couleur, mais vous n'exposez ici que votre travail en noir et blanc, pourquoi ?
Cela me permet de recentrer la lecture d'une image. La couleur, un paysage, ce sont potentiellement beaucoup d'informations. Je fais une photographie de proximité et le noir et blanc me permet de me concentrer encore plus sur le sujet. Il m'arrive parfois de faire de petites entorses. Mon paradoxe à moi, c'est que je ne suis pas centré, monophasé sur un seul type d'image et de sujet. Après, dans l'absolu, c'est beaucoup plus le type de situation que je présente ici qui me motive à faire de la photo.
Le thanaka © Matthieu Suprin
Prenez-vous le temps de connaître les personnes que vous photographiez ?
C'est extrêmement variable. À l'époque je n'avais pas du tout de projet photographique. Je partais en voyage comme n'importe qui et je prenais en photos les scènes qui me plaisaient, toujours en demandant au préalable, c'est très important dans ma démarche. Il n'y avait rien de réfléchi, je déambulais au gré de rencontres qui pouvaient durer une ou deux minutes ou voire parfois une journée. Il y a un phénomène de lâcher-prise. Pour certains portraits d'enfants au Cambodge, je suis resté pendant une demi-journée dans des villages un peu reculés, avec leur propre dialecte. Pas de langue commune, tout passe par un langage corporel extrêmement important, il faut savoir se montrer humble et se faire tout petit.
Mais certaines photos ont été prises de manière spontanée, non ?
Oui. Là cet homme barbu, c'était littéralement en bord de route en Birmanie, j'ai tellement été marqué par son visage que je me suis assis devant lui. Je me mets physiquement à la même hauteur que les personnes que je photographie. Je lui ai montré mon appareil photo, il a simplement hoché de la tête, ça n'a duré que deux minutes.
Le barbu © Matthieu Suprin
Pour cette autre photo (voir ci-dessous), c'était dans un marché russe au nud de Phnom Penh relativement fréquenté par les touristes. Je suis passé devant une petite boutique, cette femme était allongée en train de faire sa sieste. C'est l'une de mes scènes préférées. Elle dégage une certaine douceur et sérénité tout en étant complètement désarticulée.
La sieste © Matthieu Suprin
Pensez-vous qu'il soit possible de capturer un vrai moment d'authenticité ?
J'essaye de respecter au maximum l'intégrité de la personne. Seulement voilà, à partir du moment où moi, étranger, j'arrive avec tout mon matériel, je ne vais pas avoir la prétention de dire que j'ai un moment 100% authentique. Ce serait plus du répertoire de la photo volée, mais c'est quelque chose que je ne pratique pas car je n'aime pas ça. Pour moi, le trait d'authenticité vient aussi dans la relation et dans l'acceptation de l'autre.
Vous avez donc voyagé en Asie, pourquoi n'être pas parti aux États-Unis ? Vous dites pourtant avoir été profondément marqué par une photographie d'Edward Curtis.
J'ai adoré aller aux États-Unis mais c'est un pays moderne, très développé. Cela ne veut pas dire qu'on ne va pas trouver d'authenticité, mais il y a cette volonté au fond de moi de me rendre dans des pays où les niveaux économiques sont différents, où je me retrouve confronté à un vrai choc de culture. Je ne cherche pas le challenge mais le rapport à l'authentique est pour moi plus accessible finalement. Il est plus pur, plus brut, plus vrai que dans d'autres pays. Je n'ai jamais inscrit ma photographie dans de la « photo de voyage ». Quant à ce portrait, il date de 1903. Aujourd'hui les tribus américaines... aïe. J'espère que j'irai un jour mais dans mes travaux futurs ils ne sont pas insérés dans une quelconque case. Il y a d'autres pays qui m'intéressent plus.
Vous faites également des photos studio...
J'avais fait une formation avec un super photographe, Laurent Hini, en 2015 et du coup j'ai investi dans un matériel de studio pour faire du portrait. Ce qui me motive surtout, c'est le sujet humain et le travail en studio m'intéresse aussi parce qu'on reste centré sur une personne. Un dernier plan de mon travail, c'est la photographie publicitaire. J'ai fait une campagne pour Google, c'était très énergisant, intense et vraiment passionnant. J'ai aussi fait des photos de mariage pour des amis, mais je n'ai aucune prétention.
Vous permettez-vous beaucoup de retouches ?
Ma première phase de retouche, c'est le noir et blanc. Quand je passe en post-production, il y a un petit peu de recadrage, pas sévère, histoire de redresser l'image, de me retrouver un peu plus près du sujet. C'est une manie un peu étrange. J'ai appris au fur et à mesure à me rapprocher de mon sujet. Un photographe allemand m'a dit un jour : « Plus tu feras de portrait, plus tu voudras te rapprocher des gens ». Il avait complètement raison. Je ne sais pas si c'est un besoin, une nécessité, mais cela permet de capter une histoire supplémentaire sur la personne.
L'envol © Matthieu Suprin
Le filet © Matthieu Suprin
Redoutez-vous que l'on vous accuse de faire de la « mise en scène » ?
Je n'ai que ma bonne foi pour moi de tout façon. Même si j'ai dit que je demande l'autorisation pour prendre des photos, j'ai fait des entorses et je n'ai pas honte de le dire. Cette femme qui dormait, je n'allais pas la réveiller. La scène était belle parce qu'elle était endormie. Quand je suis repassé un peu plus tard pour lui montrer la photo, elle était partie. Il n'y a pas de situation parfaite, je fais des entorses à mes principes quand je peux le justifier. En revanche, il n'y a aucune mise en scène dans mes photos. Je ne dis pas que je n'en ferai pas un jour. Au studio par exemple, c'est un métier totalement différent. Ce que je préfère moi, c'est ce qui se passe en amont de l'image. Aujourd'hui je me paye le luxe de ne pas répondre à certaines demandes si je n'ai pas de temps pour discuter avec la personne.
Combien de photographies exposez-vous dans cette galerie ? Était-ce difficile pour vous de faire ce choix ?
Il y en a une trentaine ici. Il faut faire confiance à son intuition même si, sur le moment, notre choix dépend de plusieurs paramètres. C'est pour ça qu'il faut revenir dessus, pas à répétition, mais quelques fois. On redécouvre des images avec plaisir, les choses évoluent, notre regard aussi.
Quels sont vos futurs projets ?
Il y a deux sujets qui me touchent particulièrement : l'éducation et le problème de la surconsommation. C'est vu et revu, mais ça m'intéresse. Pourquoi avons-nous autant de conflits culturels dans le monde ? L' une des raisons selon moi c'est qu'on a du mal à prendre le temps de se connaître entre populations. Il y a un gros travail à faire sur l'éducation. Concernant la surconsommation, je souhaite aller à la rencontre de tribus isolées du reste du monde qui ne consomment que ce qui leur est nécessaire. Pour cela il me faut discuter avec des anthropologues pour structurer ma démarche. On verra où ça m'emmène.