Kazuma Obara © Norihiko Ishii
Comment a commencé ce projet ?
Je suis allé à la rencontre des familles de victimes. Le père dont je parle dans mon projet était déjà mort. Il était opérateur radio sur un bateau de pêche (ndlr, situé en zone affectée pendant les essais nucléaires). J'ai demandé à sa fille d'en savoir plus sur l'histoire de cet homme. Mais, de leur vivant, ces pêcheurs n'ont jamais parlé de ce qui leur était arrivé parce qu'ils avaient peur des conséquences. Sa fille par exemple aurait pu rencontrer des difficultés pour se marier : on imagine la méfiance d'un futur mari à l'égard de sa santé et de celle d'un éventuel enfant. Pour protéger sa famille donc, il est resté silencieux. Toute cette histoire est restée secrète au Japon.
Les gens avaient l’habitude de brûler les objets sur la plage de ce petit village de pêcheur. Les victimes y brûlaient les journaux dans lesquels étaient mentionnés l’accident afin d’effacer la preuve de leur présence durant l’explosion. Un grand nombre de preuves ont été perdues. Les aides médicales pour ces pêcheurs et les investigations n’ont jamais été initiées par le gouvernement chinois. Préfecture de Kouch, Japon, 2016 © Kazuma Obara/Agence Keystone
Comment sa fille a-t-elle finalement appris ce qu'il s'était passé ?
Elle ne savait rien, mais en 2014 des documents confidentiels sont sortis. Elle a fait le lien avec l'histoire de sa famille, elle a essayé de trouver de vieilles photos. Son frère par exemple est né un an après les essais nucléaires de 1954, c'est à dire juste après que son père a été exposé aux radiations. Cinq ans après, l'homme a dû quitter son job parce qu'il était malade. Il est devenu opérateur radio à terre et il a commencé à battre son petit garçon. J'ignore pourquoi, mais c'est sans doute lié à cette histoire, parce qu'il ne pouvait pas parler de ses angoisses à qui que ce soit. La violence était un exutoire.
En plus des extraits de l'interview que vous avez faite de la fille de cet homme, des photos de famille ou des magazines de propagande nucléaire, il y a dans l'exposition des photographie que vous avez prises vous-mêmes.
Oui, j'ai voulu suivre pas à pas cette histoire particulière en photographiant avec l'appareil du père. L'une des raisons pour laquelle j'ai fait cela, c'est le résultat. Car ces images ne sont pas nettes, elles sont un peu troubles, blanches, surexposées. Pour moi, cela faisait référence à certaines victimes dont les yeux ont été touchés et dont la vision devient elle aussi trouble. Je voulais récréer l'histoire de cette famille à travers les yeux du père.
En 1954, environ 600 bateaux de pêche japonais et 10 000 pêcheurs ont été touchés par les essais nucléaires sur les îles Bikini. La plupart des victimes ont gardé le silence longtemps sans avoir de reconnaissance ou de compensation. L’image représente le lieu de travail d’une des victimes. Six ans après avoir été exposé, il a démissionné de son emploi d’opérateur radio sur un bateau de pêche de thon à cause d’une maladie. Toute sa vie, il a gardé le silence et n’a jamais parlé de son expérience. Préfecture de Kouch, Japon, 2016
© Kazuma Obara/Agence Keystone
https://www.festival-photoreporter.fr/fr/home/"
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« Kazuma Obara aborde les conséquences des essais nucléaires en 1954 par le gouvernement américain dans la zone des Îles Bikini. Sur le bateau de pêche japonais, Daigo Fukuryu Maru, 26 marins ont été reconnus victimes de radiation ; ils ont été indemnisés et ont reçu des soins médicaux spécifiques. Cependant, dans des documents publiés voilà seulement 2 ans, on apprend qu’au moins 10 000 personnes ont été directement irradiées suite à ces essais. Ces victimes n’ont jamais été reconnues ni indemnisées pour leur souffrance. Étant pour la plupart d’entre eux membres de la compagnie des pêcheurs de thon, leur revenu a chuté en dessous du cours car le thon de la région de Bikini était considéré comme dangereux du fait des essais nucléaires. Le gouvernement japonais a calculé le montant des compensations à payer par les États-Unis en prêtant bien plus attention aux conséquences économiques dues à la contamination du thon qu’à l’atteinte à la santé des marins et des habitants. Les États-Unis ont indemnisé le Japon à hauteur seulement d’un tiers de la somme (2M$US)sans en assumer la responsabilité. Cette somme fut versée aux 26 membres de l’équipage du Daigo Fukuryu Maru. Les milliers d’autres victimes ont gardé le silence et ont souffert sans reconnaissance. » - Extrait du dossier de presse Festival Photoreporter -