Saisons noires © Julien Coquentin
Saisons noires © Julien Coquentin
Dans Saisons noires, vous évoquez le début de cette aventure photographique en la liant à un « tiroir ouvert » en 2013. Racontez-nous.
Quand je suis revenu d'Asie, après y avoir vécu pendant six mois avec toute ma famille, on a acheté une maison, toute perdue dans l'Aveyron, entre forêt et forêt. Au moment de déménager nos affaires, un tiroir est tombé d'une table de nuit. Dedans, il y avait de petites choses qui n'avaient aucune valeur, mais qui en avaient finalement beaucoup : une facture de commande de ma grand-mère - elle tenait une brasserie à Paris, comme beaucoup d'Aveyronnais -, une prescription, une photo de ma mère et une boule de coton. Je l'ai portée à mon nez et tout est revenu. L'odeur de ma grand-mère, disparue six ou sept ans auparavant, celle de sa maison... L'odorat transporte tellement de mémoire et de souvenirs. J'ai trouvé cela fascinant et j'ai su que le point de départ était là. Je me suis dit que mon projet allait tourner autour de ma grand-mère, de ce lien entre elle et mes filles, de cette disparition et de la vie de mes filles...
Votre livre mélange une série de photographies à des textes, les vôtres. Comment s'est imposé ce parti pris, à la fois esthétique et presque littéraire ?
Dès que j'ai commencé la série Saisons noires ! J'ai écrit le texte d'introduction au moment du tiroir. Puis j'ai rencontré ce vieux monsieur qui vit tout seul dans un endroit complètement perdu : il m'a inspiré un deuxième texte dès le lendemain. J'ai su assez rapidement qu'il y aurait un livre grâce au soutien du musée de la Roche-sur-Yon. Quand on construit une série dont on sait qu'elle va devenir un livre, on peut la penser comme un livre. Très vite, avec mon éditeur, on s'est dit que ce serait vraiment intéressant de « chapitrer » et de jouer librement avec des textes et des séries. Cela permet d'aérer l'ouvrage et de lui donner une part supplémentaire de poésie.
Saisons noires © Julien Coquentin
« Saisons noires » : c'est un titre terrible. « Celles de l'enfance, (...) que le temps chaque jour recouvre d'avantage », écrivez-vous. Cette vision sombre et pessimiste contraste avec votre ouvrage qui alterne à la brume les lumières de l'enfance. En avez-vous conscience ?
Oui complètement ! Je ne me plais jamais autant que dans le clair-obscur. Une lumière avec des parts d'obscurité franche, c'est ma matière ! Au début, j'ai choisi ce titre sans savoir s'il allait demeurer. Il y avait la fin d'une aventure pour revenir dans des lieux déjà foulés, cela n'était pas évident, de se refaire. « Saisons noires » s'est donc imposé par ce tableau originel, mais je parle aussi de ces « saisons » qui sont très anciennes, qui sont là, mais que je ne vois plus vraiment car transformées par ma mémoire.
Ces photographies ont été prises dans le nord Aveyron entre janvier 2013 et septembre 2015 : comment avez-vous travaillé durant ces deux années ?
Au début, j'ai fait comme à Montréal, pour mon livre précédent, http://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html", c'est à dire que je photographiais quand j'avais envie : quand on est chez soi et que l'on voit une lumière magnifique ou quand on a vu quelque chose la veille, un peu pressé, et qu'on se dit qu'il faut revenir... Et justement, quand j'ai su que cela allait devenir un livre, il y avait des choses dont j'avais envie de parler : le château, les paysans, l'hiver... Une fois que j'ai eu la sensation d'avoir photographié le sujet comme je voulais et bien j'ai pu passer à autre chose.
L'une des premières photographies est celle, prise en très gros plan, d'une main, vieillie, qui aurait pu être celle de votre grand-mère, et qui se confond presque avec l'étoffe à côté d'elle. Comment prend-on une photo comme celle-ci ? Quelle est sa place dans l'ouvrage ?
En fait, toutes les photos ont été prises entre janvier 2013 et septembre 2015, sauf celle-là. C'est une photo de ma grand-mère que j'ai réalisée en 2007 ou 2008. Je me souvenais de cette image-là qui correspondait au début où je photographiais. J'avais dû la voir un jour et j'avais fait deux clichés à la suite. Comme le livre est articulé autour de cette mémoire-là, je me suis dit que cela serait bien d'aller chercher cette photographie.
Saisons noires © Julien Coquentin
Il semble y avoir, dans Saisons Noires, une obsession de la disparition : celle d'une époque, celle de votre grand-mère ou de ce grand-père qui se fait grignoter par le diabète et dont il ne reste rien, ou celle encore de Pierrot qui disparaît dans les bois. Est-ce que la photographie est la solution que vous avez trouvée pour faire revivre ce qui a disparu ?
On ne photographie jamais pour autre chose que pour oublier que l'on va mourir. A chaque fois que je vais photographier, je me sens puissamment vivant ! Mais c'est une illusion. S'imaginer pouvoir faire revivre ou arrêter le temps n'est qu'un leurre !
Reste l'objet-livre qui ne disparaît pas et peut se transmettre...
Oui, mes filles vont pouvoir le prendre, le donner à leurs enfants, si elles en ont. C'est quelque chose qui me plaît. Comme par rapport à ma grand-mère, j'aime cette notion de lien. Cet ouvrage, c'est un peu comme une photo ancienne. Je l'imagine transmis par mes filles... ou bien elles s'en sépareront et il deviendra un obscur livre poussiéreux au fond d'un grenier qu'à tout moment quelqu'un pourra venir retirer...
Saisons noires © Julien Coquentin
On parlait de Pierrot : à travers son histoire transparaît aussi l'amour des bois (dans lesquels il choisit de disparaître). On ressent chez vous ce même amour pour la forêt. Vous la rendez vivante. Quel est le secret, s'il y en a un, pour bien photographier des paysages ?
La lumière ! Un même paysage photographié avec deux lumières distinctes, ce sera deux photos et deux instants radicalement différents. C'est un lieu commun, mais c'est fondamental ! Sans lumière, il n'y a pas de photographie. Concernant mon travail, je photographie tout au 50 mm alors que ce n'est pas du tout un objectif de paysage. Il faut se concentrer sur des choses assez précises : une branche, un bosquet, un point... Je resserre l'attention sur quelque chose, je prends rarement de très grands paysages.
« En ville, photographier c'est devenir transparent, attentif aux autres, aux surgissements, à l'inattendu. Ici, j'apprends à voir, j'apprends à regarder, la forme des branches, la naissance des troncs, les contours des collines et la couleur des murs. Parce qu'il n'y aura ici nul surgissement en dehors de la lumière, de la brume et du vent et que ce qu'il me faut saisir est impalpable » : photographie des villes ou photographie des champs, vous seriez de quel camp ?
Franchement, je ne peux pas choisir ! C'est palpitant de photographier en ville, mais c'est aussi profondément apaisant de photographier à la campagne, dans une forêt... L'idéal serait de pouvoir sauter d'une zone à l'autre.
Saisons noires © Julien Coquentin
Vous avez travaillé en étroite collaboration avec votre éditeur David Fourré, en quoi cela a-t-il compté pour vous ?
C'est avec lui qu'on a fait tôt un dimanche matin, donc on se connaît très bien. Pour Saisons noires, il a suivi toute la fabrication et la conception du projet. Quand on a décidé qu'il était temps de travailler, on a choisi les images tous les deux : on cherche, on propose, une disposition, une couverture... Il sait précisément ce que j'ai voulu dire, car c'est un homme intelligent et sensible, doté d'une très grande culture photographique. On fonctionne très bien ensemble ! Avec une longue série, on peut faire un livre sensible et beau, mais on peut aussi faire un livre médiocre. Je pense que celui-là ne l'est pas car on y a mis du cœur et qu'on a vraiment travaillé !
Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
A l'époque, je voyageais beaucoup et donc je photographiais, mais sans idée de la photographie. Je pense que c'est arrivé par là, par le voyage et par l' « errance ». Ç'a été la photographie, mais cela aurait pu être l'écriture ou le dessin. Je la prends vraiment comme une encre, comme un crayon...
http://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html"
http://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html"
Julien Coquentin
Editions lamaindonne
34 euros
Désignez le lauréat des ZOOMS 2016 du Salon de la Photo : Julien Coquentin y participe, http://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html" !
Plus d'infos :
L'exposition Saisons noires est à voir au http://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html"
En 2015, on avait déjà évoqué lehttp://www.juliencoquentin.com/fr/portfolio-15114-0-40-tot-un-dimanche-matin.html". On pensait à Depardon, Flaubert, voire à Game of Thrones !