Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») © Aris Messinis
Vous venez d'être récompensé à Perpignan pour votre série Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») qui montre, dans sa réalité crue, l'arrivée de réfugiés sur l'île de Lesbos. Est-ce que le Visa d'or a une signification particulière pour vous ?
C'est une reconnaissance de mon travail par un jury très exigeant. Mais n'importe quel prix reçu pour une série photographique vous donne la force de faire du photojournalisme, aussi bien qu'il soit possible de le faire.
Et peut-être vous permettre de diffuser ce travail à travers un livre ?
J'y pense, mais c'est très prématuré de parler d'un ouvrage. Faire quelque chose d'exhaustif sur les réfugiés nécessite un travail à long terme.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous êtes arrivé à Lesbos ? Ce que vous avez-ressenti ? Ce qui vous a particulièrement marqué ?
C'était un choc ! Surtout quand on voit tous ces gens arriver en bateau en si grand nombre. Mais après quelques jours, on s'habitue. On commence à réaliser ce qu'il se passe. Et je connaissais déjà la situation en Syrie, donc je devinais ce qu'ils pouvaient ressentir.
Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») © Aris Messinis
Vous êtes originaire de Grèce, n'était-ce pas plus difficile pour vous de voir ces « scènes de guerre » se passer sur votre territoire ?
Oui, dans un premier temps, parce qu'on est dans son propre pays, qu'on ne s'y attendait pas du tout, que l'on pense à tout cela... mais finalement quelque soit l'endroit où cela se passe, ce sont des gens qui essaient de survivre et qui souffrent. Peu importe où.
Vous avez dit que vous photographiez la réalité, telle qu'elle est, aussi difficile soit-elle : comment parvenez-vous à le faire, à rester concentrer face au drame ?
Quand je travaille, j'essaie d'être sans émotions. Parce que beaucoup de choses sont très difficiles à voir. Mais c'est le but de tout cela, c'est la raison pour laquelle nous photographions. Nous avons besoin de capturer la réalité et de la montrer au monde. Que ce soit dur ou pas, ce n'est pas notre problème. On a besoin de changer l'opinion des gens sur ce qu'il se passe. Nous ne devons pas fermer les yeux sur la réalité ou essayer de la montrer d'une autre façon. Il faut la montrer, aussi dure et brutale soit-elle.
Et pourtant, même si la réalité est insupportable, il y a une certaine beauté, notamment dans cet équilibre entre lumière et couleurs - le orange des gilets de sauvetage ou le doré des couvertures de survie – au service de ceux que vous photographiez semble-t-il. En êtes-vous conscient quand vous prenez la photo ?
Non, je pense que cela vient automatiquement, surtout après toutes ces années de travail. Le cadre, ce que je choisis de photographier et tout le reste, je n'y pense pas au moment où j'appuie sur le bouton, surtout à un moment où tout se passe très rapidement. On n'a pas le temps de penser, c'est instinctif.
Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») © Aris Messinis
De nombreuses images sont faites des réfugiés aujourd'hui, auxquelles nous semblons malheureusement nous habituer petit à petit : croyez-vous encore au pouvoir de la photographie ?
Cela dépend de la personne qui regarde et si elle veut être informée. C'est un peu dangereux, je pense, de s'habituer à ces images ou de ne pas s'y intéresser. Car c'est la vérité qui est montrée : les gens arrivent tous les jours, vivent tous les jours dans ces conditions et l'on se doit d'informer tous les jours. Si l'on ne veut pas être au courant, on ne le sera pas. Mais si on le veut, on le sera et on n'oubliera pas.
Vous travailler pour l'A.F.P. depuis 2003. Est-ce parfois difficile de laisser ses photos illustrer le travail d'autres personnes ?
Cela fait partie de mon métier de photographe, mais la façon dont les images vont être utilisées est quelque chose que l'on ne peut pas contrôler. Parfois, elles sont utilisées pour une autre raison que pour laquelle vous les avez prises, mais on ne peut rien y faire et c'est la liberté de la presse vous savez ! Mais une image ne peut pas mentir, elle montre ce qu'il s'est passé là-bas. Ce qui peut venir à côté d'une image, comme un texte, une opinion, c'est quelque chose de différent. La personne, en lisant et voyant l'image, peut se faire sa propre opinion. C'est aussi cela la magie de notre métier !
Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») © Aris Messinis
Avez-vous toujours voulu être un photojournaliste ?
Ma mère était journaliste, mon père était photojournaliste, j'ai grandi dans ce contexte. Donc dès que j'ai été capable de marcher, de sortir et de faire du photojournalisme, je l'ai fait. J'aime faire partie de l'Histoire et la capturer, tout particulièrement dans ces moments que nous vivons actuellement. J'aime aussi voir les histoires de gens, c'est pour cela que j'ai choisi de couvrir ce genre d'événements.
Et notre Histoire vous rend-elle optimiste en ce moment ?
A titre personnel, je ne suis pas quelqu'un de très optimiste, mais j'essaie de l'être. Ce que je vois, ce à quoi je fais face tous les jours, ne me rend évidemment pas optimiste sur le futur. C'est pourquoi nous avons vraiment besoin d'être informés sur ce qu'il se passe, afin que les gens se battent pour un avenir meilleur...
Scènes de guerre en zone de paix (« War in Peace ») © Aris Messinis
A lire : https://making-of.afp.com/scenes-de-guerre-en-zone-de-paix"