Portrait de Lars Hübner
© Lars Hübner
Comment êtes-vous passé d'études de sociologie et de philosophie à la photographie ?
Je pense qu'il n'y a pas de grand écart entre elles. Voir et savoir sont inextricablement liés. Ils ne peuvent fonctionner l'un sans l'autre. Mais la photographie ne se contente pas de reproduire le visible, elle rend visible.
Trouvez-vous que la photographie soit un médium adapté pour traiter des sujets sociologiques ou philosophiques ?
Oui, je le pense. La photographie est un médium jeune et démocratique. Elle est directe et immédiate. Aujourd'hui, chaque personne possédant un smartphone peut faire une photo partout et à n'importe quel moment. Les photos sont une part de notre communication quotidienne, surtout celles qui surmontent les frontières culturelles et linguistiques. Voici la force qui se tient derrière la photographie.
Pour moi, la photographie comble le vide entre l'Art et la vie. Avec mes clichés, je veux raconter des histoires. Cependant, je suis conscient que la narration n'est pas figée. Le sens, l'interprétation et l'ordre d'une image sont soumis à des changements constants. Tout est comme le courant d'une rivière. La réalité est complexe et ambiguë. Elle change principalement à travers l'œil de celui qui observe. À mon avis, pour photographier, c'est-à-dire pour concevoir, façonner une image, il faut toujours faire preuve d'empathie. Une empathie pour les relations, pour les personnes, pour la vie elle-même.
© Lars Hübner
Vous avez beaucoup voyagé : la Norvège en 2012, l'Australie en 2013, Taïwan en 2014. Est-ce que ces choix ont été motivés par les travaux de vos grands-parents ethnologues, qui ont parcouru plus de la moitié du globe ?
Ce ne sont pas les destinations de mes grand-parents qui m'ont influencé, mais leur attitude face à la nouveauté, à l'inconnu. Je pense que leurs histoires ont été déterminantes sur le fait que je puise ma motivation à l'étranger. Je me souviens encore très bien de l'impact impressionnant que leurs explications, les images et les artéfacts ramenés avec eux de pays lointains a eu sur le petit garçon que j'étais. C'était tout un univers qui s'ouvrait à moi par les descriptions de leurs voyages. Leur curiosité intellectuelle, leur courage face à l'aventure et surtout leur attitude vis-à-vis du monde sont encore significatifs pour moi en tant que photographe.
Je suppose que vous avez déjà des idées pour votre prochaine destination ?
En ce moment, je travaille sur un projet sur la Mongolie, que mon grand-père a visitée en 1961, alors qu'il n'était qu'un jeune ethnologue. Je veux voyager sur ses traces à travers le pays, à l'aide de ses carnets et de ses photographies. Je voudrais étudier dans quelle proportion ses descriptions et ses expériences coïncident encore avec les conditions actuelles, c'est-à-dire, quelles évolutions s'esquissent dans ce pays nomade tourné vers les traditions.
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Combien de temps restez-vous à chacun de vos voyages et comment arrivez-vous à financer vos projets ?
Le temps que je passe sur un projet dépend, bien sûr, toujours des coûts. Le financement de tels travaux représente souvent un défi majeur. Certes, il y a ici et là des subventions, des bourses ou des prix pour lesquels je suis très reconnaissant, mais les moyens qu'ils offrent sont souvent très limités, et on ne peut pas les dépenser comme on l'entend. Ils ne permettent pas de subvenir à des besoins de la vie quotidienne comme payer le loyer, prendre le temps nécessaire ou simplement remplir le frigo. Donc le vrai sponsor de mes projets a toujours été ma famille, qui m'a souvent soutenu. Rien que leur consentement et leur aide m'ont permis de travailler librement et d'être concentré pendant ces dernières années. Heureusement, je peux désormais vivre aussi des photographies que j'ai faites. Mais le chemin à parcourir pour en venir là était long et pas toujours évident.
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Qu'est-ce que vous avez ressenti lors de votre immersion à Taïwan, série amenée à tourner dans les différents Goethe Institut du monde ?
Quand on débarque dans un pays étranger, on est souvent violemment écrasé par tout ce qui est nouveau. Chaque chose vaut une photographie. Il y a constamment quelque chose qui mérite d'être photographié. De la même manière que chez soi le brouillard du quotidien obscurcit souvent la recherche d'images, on se laisse facilement dépasser par tout ce qui est étranger et inconnu. Voyager comporte aussi le danger de tomber dans les stéréotypes. Avant, on a déjà plein d'images en tête, qui souvent ne dépeignent pas la réalité, mais seulement une idéalisation et des représentations préfabriquées. C'est un défi constant dont on doit être conscient en tant que photographe de voyage.
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Pour cette exposition, vos photos ont été imprimées dans un grand format unique, contrairement aux autres photographes. Quel est le but ? Est-ce pour donner une sensation de proximité au public par rapport à ce qu'il voit ?
Le choix du format des photos et la présentation sur le mur dépendent bien sûr toujours du thème. Cela n'a pas de sens de présenter une petite partie de panorama sur une carte postale. On perdrait beaucoup de détails et celui qui observe pourrait encore moins se plonger dans le sujet. C'est pour cela que les images présentes au Goethe Institut sont exposées dans un grand format identique. Je ne voulais pas qu'une hiérarchie s'installe entre elles. Chacune est égale par rapport aux autres et doit être perçue de la même manière par son observateur.
© Lars Hübner
Chaque image contient une ou plusieurs personnes. Qu'est-ce qui vous attire chez elles ?
Le photographe Harald Hauswald m'a dit une fois qu'il concevait les personnes de ses photos comme des acteurs, de même que les lieux où elles ont été prises sont une scène. Il permet alors à ces deux éléments de raconter des histoires.
Sur votre http://larshuebner.com/book/nothing-to-declare-book/", vous semblez expliquer la situation culturelle et économique de Taïwan. Est-ce cette cohabitation entre tradition et modernité que vous avez voulu mettre en avant ?
Je me suis donnée comme première ligne directrice de ce projet de montrer comment Taïwan est vraiment, ce qui caractérise la vie sur l'île. Je m'incris, ainsi que mon travail, dans la tradition de la photographie de rue, je cherche généralement mes images dans la vie quotidienne. Trop souvent, on ne remarque pas ce qui est particulier, parce qu'il se montre sous l'apparence de la banalité. Mais fréquemment, les grandes vérités de ce monde se trouvent souvent dans les petites histoires dont nous sommes entourés.
Propos recueillis et traduits de l'allemand par Annabelle Lafeuil