© Francesco Bertola
© Oliviero Toscani
Il est devenu sa propre légende et c'est sans doute ce qui pouvait lui arriver de pire. Le provocateur, le publicitaire, le génial ou l'infâme Toscani, autant de figures et de légendes qui ont peu à peu éclipsé ce qu'il est vraiment, dans le fond (de l'oeil) : un photographe.
Lui pourtant ne semble pas l'avoir oublié. Il faut voir son enthousiasme, presque enfantin, à la simple idée d'avoir une exposition dans cette librairie de Saint-Germain-des-Prés : « C'est fantastique ! » Il faut aussi entendre l'accent italien qui claque dans l'air d'une galerie trop sage. « C'est la première fois que je fais une exposition, poursuit-il. Je suis fils de photographe, mais à la maison, on a toujours fait de la presse, et moi de la pub, dans les journaux, sur des posters... » Puis la parole s'aiguise un peu, se fait plus critique, paradoxale même : « Je ne pense pas qu'une photo doit être mise avec un clou sur le mur, mais il faut satisfaire tous les collectionneurs, tous ceux qui aiment avoir la photo chez eux et qui aiment aller dans les galeries. Mais la photo, ce n'est pas fait pour aller dans les galeries d'art, non, ça, c'est la fin, après ça tu meurs ! Ou alors tu es mort et on te met sur le mur ! » Toscani se marre, bien vivant au beau milieu de ses tirages, au mur et à vendre. Art ou business, il n'a pas choisi, il a pris les deux à bras-le-corps, comme en a bruyamment témoigné sa collaboration avec United Colors of Benetton de 1982 à 2000.
© Oliviero Toscani
A bras-le-corps : l'expression lui va bien, lui qui l'a photographié sous toutes les formes : habillé, nu, gros, anorexique, malade, tatoué, ridé, noir, blanc, jaune, jeune, vieux, amoureux. N'oubliant jamais, derrière les provocations à l'adresse d'une société par trop raciste, homophobe, ultra-religieuse ou bien-pensante, de saisir avec une bienveillance infinie chacun de ses modèles, semblant respecter chaque centimètre carré de leur peau. Publicité oblige ? Sans doute, mais pas seulement. L'humanité le fascine : « J'ai photographié des milliers d'êtres humains, 80 000 environ, et je peux faire une analyse de tout le monde. Je connais votre caractère, votre faiblesse et votre force, parce que je fais cela depuis toujours. Je photographie l'âme. » Rien que ça. Ne se prendrait-il pas pour dieu parfois, l’anti-catho de service ? C'est que son œil et sa curiosité l'ont rarement trompé. L'endroit, le moment, la situation politique, morale, éthique, voilà ce qui l'intéresse et déclenche son appareil. « Je suis témoin de mon époque, et je veux faire voir aux autres ce que je vois, je ne fais pas les photos pour moi », explique Toscani. Un poil messie on vous dit.
© Oliviero Toscani
© Oliviero Toscani
Et la provocation dans tout ça ? On évoque avec lui la mort d'Umberto Ecco, avec lequel il avait signé une pétition en 2007, avec d'autres artistes de la scène culturelle italienne, face au comportement rétrograde du Vatican. Est-ce encore un combat qui en vaut la peine ? Plus que jamais ! Il ne lâche rien et vient d'écrire un texte contre les fous de dieu, pour son émission de radio en Italie, « Non sono obiettivo ». « Je ne suis pas objectif » en français. Provocateur oui, mais pas que. Oliviero Toscani n'aime d'ailleurs pas le titre en français (Oliviero Toscani Plus de 50 ans de provocation ) qui a été donné à son ouvrage, initialement intitulé More Than Fifty Years of Magnificent Failures. « Je suis fâché », lâche-t-il, comme un enfant boudeur. On a l'impression que ses fâcheries sont aussi fréquentes que passagères. Mais il a raison sur ce coup-là : « Cinquante ans d'échecs magnifiques, ça me parle, parce qu'on aurait toujours pu faire mieux. La découverte de l'Amérique, c'est un échec magnifique ! Che Guevara, Jésus Christ ou Napoléon sont aussi des échecs magnifiques ! » Il a le sens de la formule, de la concision, du raccourci provoc mais intelligent. Pas d'ambiguïté à ce sujet d'ailleurs, la provocation lui plaît, s'il ne veut pas y être réduit, il ne la renie pas pour autant : « Provoquer, c'est bien ! C'est provoquer l'amour, la paix... ! »
© Oliviero Toscani
L'amour, en voilà un sujet photogénique. Les 18 et 19 mars à La Hune, il fera le shooting de 18 couples sélectionnés pour l'événement « Toscani vous marie » dont les photos feront l'objet d'un accrochage en façade par la suite : « Pour être marié, il ne faut pas aller à la mairie ou chez le curé, il faut aller chez un photographe ! » La vérité est celle de la photo pour l'Italien. Cinq ans avant son propre mariage, il a lui-même fait une séance photo avec sa femme en Saint-Laurent et a envoyé le cliché à toute sa famille et ses amis. Tout le monde y a cru.
© Oliviero Toscani
Autant qu'au cliché avec Warhol ? Sans doute pas. L'artiste new-yorkais fait partie des trois grands formats exposés, avec ceux de Lou Reed et Muhammad Ali. Quand on lui demande, avide de détails salement croustillants, avec lequel des trois le shooting a été le plus difficile, on se prend un mur de déception : « Ce n'est pas difficile avec les stars, c'est avec les médiocres que c'est compliqué ! » On a du mal à imaginer Lou Reed détendu et affable, mais si Toscani le dit, c'est que ce doit être vrai. Amen.
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