Union y Progreso
© Edgardo Aragon
Pour quelles raisons les paysages photographiés sont-ils constamment traversés par des grillages et des fils barbelés ?
Les terrains présentés dans ces photographies sont pour la plupart fermés à cause des luttes constantes qui existent entre les propriétaires privés et l'état. L'endroit où ont été pris les clichés est marqué par cette bataille pour la possession des terres. Celle-ci dure depuis des générations et a fait couler beaucoup de sang.
Vous dénoncez avec virulence la corruption au Mexique mais semblez également rendre hommage à ce pays. Quel lien entretenez-vous avec votre pays natal ?
Dans « Efectos de familia », je parle en effet d'un État, mais surtout d'une société corrompue qui accepte les problèmes comme une fatalité au lieu d'essayer de les résoudre. Ces observations m'ont fait prendre conscience que les nationalités ne sont rien d'autre qu'un instrument politique créé pour exercer le pouvoir et maintenir les ressources naturelles et économiques sous le joug des maîtres.
Je vois le Mexique comme une espèce de prolongation des États-Unis. C'est une assimilation que je suis parvenu à comprendre. En partant de cela, je souhaite ouvrir la discussion. Cela ne m'intéresse pas de dénoncer quelque chose d'aussi évident que la violence. J'aime mettre des sujets sur la table pour pouvoir émettre une réflexion. Ce qui est sûr c'est que je ne me sens pas Mexicain, car cela fait des siècles que cela ne veut plus rien dire.
© Edgardo Aragon
Dans la série « Efectos de familia », que souhaitez-vous dénoncer en mettant en scène des enfants mimant des scènes de violences ?
L'idée de montrer des enfants est plus simple que ce que l'on peut croire. Je les ai choisis parce que je parle de ma propre enfance. Je voulais parler de l'alter ego en représentant des enfants de mon voisinage. Je leur fait vivre des expériences violentes que j'ai vécues et qui m'ont affecté. Ces enfants-là n'ont pas connu ces histoires. Je voulais seulement leur faire mimer ce que j'avais subi.
L'idée de la mort est présente dans beaucoup de vos travaux. Pourquoi cette imagerie funèbre est-elle aussi présente au Mexique et en quoi vous fascine t-elle ?
Je crois que l'idée de la mort est obsessionnelle chez tous les êtres humains. On célèbre au Mexique « el Día de los Muertos » (NDLR célébration chrétienne de la Toussaint au Mexique. L'hommage aux défunts est rendu par de longues mascarades colorées). Dans ma famille, se souvenir des morts est plus important que fêter Noël ou Pâques.
Ma réflexion est plutôt psychologique et concerne toute une génération de jeunes qui se sentent vides, autant au Mexique que dans des pays comme le Japon. La seule différence, c'est qu'au Mexique on peut assassiner quelqu'un sans risquer d'être puni.
© Mensages Edgardo Aragon
Quelle relation avez-vous souhaité créer dans la série photographique « Mensages » entre ces barques abandonnées et ces messages écrits avec des bâtons de bois ?
Mon travail photographique consiste à établir un dialogue avec le spectateur qui va observer ces messages ou ces barques. Par exemple, la photo de la barque avec cette chaussure d'enfant dans le lac montre un endroit où des enfants sont morts noyés. Dans la plupart des endroits du monde, on aurait mis un message d'avertissement. Pas ici. Il convient de se souvenir qu'à cet endroit, on peut mourir en jouant. J'aime parler de ces petites choses qui deviennent alors des métaphores. Dans un pays atteint par la guerre civile comme le Mexique, on peut mourir à cause d'une balle perdue en emmenant son enfant à l'école.
Comment choisissez-vous votre support artistique entre la photographie et les autres arts visuels ?
La manière dont je choisis le support est étrange. La plupart des fois, je choisis l'un ou l'autre parce que j'ai une vision du résultat final. Mais si quelque chose ne ressort pas tel que je l'avais imaginé, j'ai recours à un autre moyen. Parfois, j'en combine plusieurs afin d'être plus clair.
Quels sont vos projets actuellement ? Suivent-ils la même ligne qu'auparavant ?
Mes projets se ressemblent beaucoup en ce moment. Je prépare une vidéo pour le musée du Jeu de Paume qui sera présentée l'année prochaine. Dans celle-ci, je mets en doute l'idée du village global et des communications numériques dans la vie quotidienne. Je fais le portrait d'une zone dans laquelle des plans ont été établis pour faire disparaître des populations entières pour en faire bénéficier les grandes entreprises. En même temps, je compare cette zone à une île qui, à cause du changement climatique, est en train de disparaître. Alors même qu'elle est très proche du continent, l'électricité n'y est jamais parvenue, l'isolant ainsi du monde moderne. Je souhaite casser l'idée occidentale du progrès et de la civilisation.
Vous pouvez découvrir les travaux d'Edgardo Aragon à la galerie Mor-Charpentier jusqu'au 23 décembre 2015 puis au Jeu de Paume du 9 février au 22 mai 2016 pour sa série http://fr.actuphoto.com/34037-exposition-maps-et-territoires-.html"