© Antoine d'Agata
Expositions du 4/12/2015 au 16/1/2016 Terminé
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
L’art se nourrit de correspondances, de chambres d’écho, d’influences, revendiquées ou pas. Tout artiste est précédé par des anciens, des maîtres et génère à son tour des disciples. Chaque année, depuis 2013, Olympus revitalise ce dialogue éternel en proposant à trois grands noms de la photographie contemporaine de parrainer trois jeunes diplômés de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. L’idée de cet « échange de vues » est née de la complicité d’Olympus avec l’École d’Arles dont il est un fidèle partenaire depuis de nombreuses années. Ce dialogue photographique repose sur un principe simple : à partir d’un corpus d’une quinzaine d’oeuvres proposées par chacun des « référents », les étudiants doivent en réponse produire des images. Ce protocole audacieux prend les paris sur l’avenir. Il met en regard les œuvres accomplies des maîtres et celles en devenir des étudiants. L’enjeu ? Faire en sorte que les jeunes talents émergents s’approprient les photographies des aînés, les prolongent, les réfutent, les transposent, les détournent, afin de faire œuvre à leur tour.Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
En 2015, les « référents » étaient Denis Darzacq, Paolo Woods et Dorothée Smith. Ils ont fait équipe avec Swen Renault, Elsa Leydier et Rébecca Topakian. En 2014, Françoise Huguier, Antoine d’Agata et Denis Rouvre ont dialogué avec Sajede Sharifi, Santiago
Torres et Steven Daniel. En 2013, Sarah Moon, Stanley Greene et Jean-Christian Bourcart ont parrainé Lise Dua, Jeannie Abert et Matthieu Rosier.
Ces « conversations » ont donné lieu à trois expositions qui ont été présentées, en 2013, en 2014 et en 2015, dans le cadre prestigieux des Rencontres d’Arles. Cet hiver, la galerie Les filles du calvaire est heureuse de s’associer à cette démarche et de présenter une partie des images créées à l’occasion de ces trois années d’échanges. Elle réunit ainsi les dix-huit photographes qui ont participé à cette aventure singulière.
Dorothée Smith et Rébecca Topakian et ont en commun une réflexion sur la solitude de l’individu dans la société, et une fascination pour le regard nocturne. Dorothée Smith présente ici les prémices d’un nouveau projet transdisciplinaire, TRAUM, autour de la figure d’un cosmonaute dont l’identité plastiquée, à la suite d’un trauma, entrera en fusion avec le cosmos. Rébecca Topakian, de son côté, questionne le rapport de l’individu au groupe en isolant des personnes dans des salles de concert, zoomant sur des visages, des regards qui semblent s’absenter des lieux.
Paolo Woods et Elsa Leydier ont opté pour un dialogue informel nourri par une complicité dans leur façon de documenter le monde. En écho aux équipées lointaines de Paolo Woods (Haïti, Iran, Russie, Afghanistan... etc), Elsa Leydier a choisi de travailler sur la ville d’Arles, territoire d’autant plus difficile qu’elle le connaît bien ou croit bien le connaître. C’est ce sentiment de (fausse) certitude qu’elle creuse, jouant du différentiel entre les données chiffrées dont Arles, comme toute ville, se pare, et le reportage de terrain qui dévoile une toute autre réalité.
Swen Renault répond à deux séries de Denis Darzacq - Recomposition 1 et 2 – fondées sur le détournement d’objets anodins tel que des cartons d’emballage ou des éléments de chaises Ikea. Opérant une cueillette sauvage, à ras de trottoir, Swen Renault s’approprie quant à lui des objets trouvés auxquels il insuffle une seconde vie. Le jeune photographe ensemence une réflexion sur la société de consommation en déconnectant ces objets de leurs usages et de leurs contextes : cartons remplis de cailloux ou laissant fuiter de l’eau, caddys et poubelles emballés de films noirs... Entre le contenu et le contenant se glisse un équilibre précaire, une poésie de l’absurde.
Sajede Sharifi dialogue avec les portraits de femmes voilées de Françoise Huguier en proposantde son côté trois séries de photos prises à Téhéran, qui questionnent la frontière entre l’espace public et l’espace privé. Les images sont centrées autour de la figure de Sara, une jeune Iranienne qui apparaît et disparaît au gré des temps forts du quotidien, se servant d’une tente posée sur sa terrasse comme d’un voile l’abritant des regards extérieurs, hésitant à franchir sans foulard le pas de sa porte, enfilant enfin son voile réglementaire devant l’appareil photo qui fait office de miroir. Sajede Sharifi, Iranienne elle-même, organise non sans humour, une chorégraphie des gestes du retrait, jouant du décalage entre le montré et le caché, le transparent et l’opaque, le permis et l’interdit.
Le Colombien Santiago Torres répond aux photos des migrants qu’Antoine d’Agata a cadrés de dos, marcheurs solitaires et anonymes, par des images où l’anonymat et l’effacement deviennent des modes de défense face au rejet que suscite le fait d’être autre et étranger. Recourant à un flash poussé à pleine puissance, il transforme les êtres en figurines blanches, comme isolées du décor dans lequel elles s’inscrivent, silhouettes détourées, en creux, ouvertes à toutes les identités possibles, par-delà les préjugés.
Matthieu Rosier questionne l’interdit, sur les traces de Jean-Christian Bourcart. Qu’est ce qui se cache derrière les pare-brises et les pare-soleil des camionnettes qui stationnent en bordure d’Avignon ? Des corps tarifés qui se livrent mais ne s’abandonnent pas, des visages qui se dérobent, des jeux de jambes et des vies volées. Un trafic en vase clos, à l’arrière des véhicules, qui ignore les jours et les nuits. Entre la scène et les coulisses, l’œil du photographe se joue du visible et de l’invisible, du caché et du montré.
Jeannie Abert s’adosse aux images de guerre de Stanley Greene, les détourne et les recompose. Destins fracassés, paysages accidentés, images déchirées, le monde n’est plus unifié, il est découpé en strates et fracturé. Que reste-t-il de ces vies qui partent en fumée ? Des bribes de paysages et des bribes d’histoires.
Lise Dua répond au noir et blanc inquiet de Sarah Moon par la pâleur lactée d’images suspendues, elles aussi, aux rêves d’enfance. À tout moment, le merveilleux peut basculer dans l’étrange. Il suffit d’un voilage, d’une mappemonde, d’une lumière d’aurore pour transformer la chambre en bateau ivre, et le réel en fiction.
© Santiago Torres