© Quentin Legallo
« Je me suis installée pour la première fois au Chelsea Hotel en 1980, chambre 705. Celle de Jim Morrison. J'étais voisine avec Viva, l'actrice d'Andy Warhol... » Man-Laï Liang se souvient de son arrivée dans l'hôtel il y a déjà 35 ans, un hôtel dans lequel elle vit encore. Derrière ses lunettes noires, cette New-yorkaise d'adoption évoque ses souvenirs avec tendresse. En 2011, c'est elle qui a permis à Maurice Renoma de venir au Chelsea pour le photographier de l'intérieur. Peu de photographes ont aujourd'hui ce privilège, consigne de la direction. Mais l'artiste français fait exception et réalise une série en immersion dans les derniers instants du monument légendaire, avant sa réhabilitation.
© Maurice Renoma
© Maurice Renoma
Si le Chelsea Hotel a abrité tous ces grands noms, c'est grâce à un homme, Stanley Bard, l'ancien propriétaire de l'hôtel de 1955 à 2007. Dans les années 1970, il avait pris pour habitude d'inviter les artistes fauchés et prometteurs à loger gratuitement dans son établissement en échange de don de toiles et d'oeuvres d'art. C'est comme ça par exemple que Patti Smith a obtenu sa chambre, en vantant le talent de son amant Robert Mapplethorne auprès du maître des lieux. De ce dynamisme social et communautaire naquit la réputation du Chelsea Hotel au fil des années.
© Maurice Renoma
Plongée dans un univers psychédélique
Au sous-sol de la boutique Renoma, la scénographie vivante de l'exposition « Vertiges » reproduit le processus créatif des artistes du Chelsea. On plonge au cœur d'une atmosphère mystique, rock et parfois torturée. Car le Chelsea Hotel est aussi le panthéon des destins brisés. De la descente aux enfers de la mannequin Eddie Siegfried, à la mort (accidentelle ou provoquée?) de Nancy Spungen, sans compter les défenestrations par dizaines comptabilisées. L'hôtel a été le théâtre de tragédies inexpliquées qui ont contribué à sa mauvaise réputation.
Dans ses clichés, Maurice Renoma joue avec la fascination pour ce darkside. Il use de spirales et d'effets de miroirs sur les tirages pour provoquer le malaise devant ces photographies psychédéliques. La principale inspiration étant bien sûr les paradis artificiels. Le Chelsea Hotel a été une plaque tournante des drogues en tous genres. Cependant, Man-Laï, qui y habite avec ses enfants, ne veut pas réduire l'âme de l'hôtel à ces trafics. « Il y a eu énormément de choses positives produites dans cet hôtel et les drogues sont de loin minoritaires ! » Depuis les années 1990, les écrivains, ont remplacé les punks et des rockers dans le bâtiment. Avec la diminution des communautés marginales et sulfureuses, l'établissement a peu à peu changé de visage.
© Maurice Renoma
L'âme et l'esprit de l'hôtel demeurent
« Très peu d'artistes y habitent encore aujourd'hui », ajoute la résidente. Elle fait partie des 69 locataires à l'année encore présents au Chelsea Hotel en 2015, un chiffre qui représente environ 40% des capacités d'accueil. La deuxième série photographique « Tribute to the Chelsea hotel » reflète cette transition vers la nouvelle identité du lieu. Avec l'aide de dix photographes, Stéphanie Renoma a élaboré un univers à partir de l'imaginaire du Chelsea Hotel. La directrice artistique a remplacé la noirceur de l'imaginaire de l'hôtel par une image plus glamour, plus lisse. Les Lana Del Rey en puissance ont remplacé les Sid Vicious. Les clichés montrent des mannequins sur des lits, des figures féminines étriquées dans des perfecto noirs... la décadence des rock stars n'est plus qu'un lointain souvenir dans cette deuxième partie de l'exposition.
© Adelap
© Andy Julia
Au vu de cet hommage, une question s'impose : le Chelsea Hotel d'aujourd'hui s'est-il assagi ? « Oui, affirme Man-Laï sans hésitation ni regret, mais l'esprit de l'hôtel, lui, demeure », poursuit-elle. Les travaux entrepris par l'actuel propriétaire font partie du quotidien des locataires encore en 2015. Et c'est un mal nécessaire : certes, moins de tableaux sont exposés dans les couloirs de l'hôtels, mais les normes de sécurité sont nettement plus respectées que par le passé.
© Frederic Monceau
Toutes les bonnes choses ont une fin. Et même si l'hôtel fait peau neuve, le cœur de son architecture n'est quant à lui pas modifié, bien heureusement. Son les résidents, il s'agit de la magnifique cage d'escalier d'époque, que l'on aperçoit d'ailleurs dans certains clichés de Maurice Renoma. Héritage ultime : l''hôtel n'a pas non plus perdu son aura. En effet, la légende urbaine raconte que l'hôtel serait hanté par des esprits depuis des décennies. Man-Laï prend cette légende très au sérieux : « J'ai un fantôme dans ma cheminée », glisse malicieusement la new-yorkaise de cœur.