© Harry Gruyaert
Harry Gruyaert, c'est votre première rétrospective, qu'est-ce que cela vous fait ?
J'en suis plutôt content (rires). A un certain moment il faut accoucher, il faut donner une forme aux choses qu'on a réalisées. Même si je pense qu'on a toujours moyen de faire mieux, que ce n'est pas encore le moment... mais je crois qu'on a bien travaillé avec François Hébel.
Vous êtes considéré comme un photographe de la couleur, même si on retrouve aussi de la matière (flou, ombre, contraste), de la lumière dans votre travail... Est-ce que ce titre vous dérange ?
Non. Je pense que la couleur doit être pluri-élémentaire. L'idée, avec François Hébel, était de faire une exposition sur la couleur. C'est elle qui dit les choses. On ne voulait pas d'une exposition sur des endroits précis, puisque j'ai déjà fait un livre sur le Maroc, sur la Belgique... Mais en même temps, j'espère que chaque image a sa spécificité, et que mes photographies ont un rapport avec l'endroit et le moment auxquels elles appartiennent. L'exposition est d'ailleurs liée à un livre, réalisé par Textuel, j'en suis très content.
Selon François Hébel, vous n'aimez pas la valeur narrative donnée aux images. Cela veut-il dire que vos images ne racontent rien ?
J'espère que non (rires). Ce qu'il veut dire par là, c'est qu'il est possible de donner une valeur narrative quand une image est forte, unique. Car grâce à cette force on peut la regarder plus d'une fois, découvrir autre chose. J'aime quand les images sont très complexes, avec énormément d'éléments, de raisons de voir... Mon travail n'est pas conceptuel, il n'exprime pas qu'une seule idée.
© Harry Gruyaert
Etats-Unis, Maroc... vos voyages sont présents dans cette rétrospective. Cette curiosité de voir et de connaître le monde influence votre travail. Est-ce le voyage en lui-même ou l'endroit dans lequel vous êtes qui vous motive ?
J'adore changer, redécouvrir des choses nouvelles, des environnement nouveaux... j'ai besoin de bouger ! Si je reste trop longtemps dans le même endroit je ne me sens pas bien. On est amené à connaître tellement de choses dans sa vie, une vie qui est très courte ! Ca peut être dans des endroits qu'on a aimés, comme des histoires d'amour... Donc j'essaye de foncer dès que possible. Plus une vie est remplie mieux c'est. Il faut avoir le plus d'expériences possibles.
D'un autre côté, il est vrai qu'il y a aussi des artistes qui n'ont peut-être pas bougé de leur chambre mais qui pourtant ont fait des choses formidables. Pour ma part, je ne travaille pas dans mon esprit. Il faut que je sois dans des endroits différents pour ressentir autre chose. C'est un exercice très physique, un peu animal et sportif en même temps.
© Harry Gruyaert
Vous accordez autant d'importance aux objets qu'aux individus dans vos photographies. Pourquoi ce choix ?
Parce que pour moi ces choses sont un ensemble. C'est l'architecture, c'est la lumière... Je ne suis pas un photographe de tradition humaniste française, même si je peux aimer ça. Pour moi le monde est plus complexe que ça. Je pense que l'être humain n'est pas le plus important, il l'est tout autant qu'un arbre, qu'un animal, que le ciel ou la lumière... tout ça compte pour moi. L'être humain a une trop grande idée de lui-même, donc ce n'est pas l'être humain qui me semble être le plus intéressant.
Vos premières photographies vous ont valu le surnom de « Petit Saul Leiter », que Peter Knapp vous a donné. Aujourd'hui, êtes-vous un « Petit Saul Leiter » ou un « Grand Harry Gruyaert » ?
C'est très marrant, car je n'ai su que trente ans après ce surnom qui était Peter Knapp. En fait, c'est lui qui me connaissait contrairement à moi. Il m'a fait travailler pendant un temps et j'aime bien son travail. Par contre, je ne me considère pas comme un « Saul Leiter », je n'ai pas du tout sa personnalité.
Vous avez beaucoup de projets en ce moment : retrospective, exposition dans les nouveaux locaux de Magnum, exposition via la RATP... Y en-a-t-il d'autres à venir ?
Ca fait déjà beaucoup (rires). Je n'ai jamais fait autant de choses, mais c'est excitant ! Ce que la RATP a fait est incroyable, c'est impressionnant. Tout est classé par thèmes et dans des endroits différents. J'aime beaucoup cette idée.
© Harry Gruyaert
Ostende, Belgique 1988. Un homme seul avec son chapeau marche le long de la plage. Les couleurs sont froides, seul la lumière transperce les nuages. Pouvez-nous en dire plus sur cette photographie ?
La Belgique est un pays très surréaliste. Ce n'est pas pour rien qu'il y a beaucoup de peintres comme Magritte, et pleins d'autres. C'est vrai que cette image est très belle. C'est bizarre toutes ces choses qui viennent ensemble, de manière incongrue (à lui-même).
Oui, elle est très belle cette image. C'est marrant car elle a fait la couverture d'un livre de Georges Simenon qui est belge lui aussi. Peut-être qu'entre lui et moi, il y a cette même affinité pour la tension, la bizarrerie, le surréalisme, et ça colle !
Le sculpteur Richard Nonas, à la fin de votre livre sur la retrospective, qualifie vos images en disant : « Elles ont la force et la tension du sens inachevé ». Qu'en pensez-vous ?
J'aime beaucoup ce texte de Richard, c'est un très bon ami, c'est assez poétique. « Inachevé », la phrase veut dire ce qu'elle veut dire... Je pense qu'il faut tout simplement lire le texte pour apprécier sa poésie.
En un seul mot, comment qualifieriez-vous la photographie ?
Un seul mot ? (rires) La photographie c'est ce que j'ai besoin de faire, ça me rassure. Elle m'a beaucoup appris, beaucoup aidé... j'en ai besoin, c'est comme une drogue. Cette relation qu'elle donne avec le monde me stimule. La photographie m'a permis de découvrir des univers différents ou contraires à mon éducation comme l'Islam, Las Vegas, le Maroc, l'Egypte... Ces expériences m'ont mené à des choses diverses. Je suis rentré dans des endroits dans lesquels je ne serais jamais allé autrement que par la photographie...
Propos recueillis par Juliette Sellin
© Harry Gruyaert