Portrait de Michel Campeau © Yves Beaulieu, 2010
Michel Campeau
Montréal, Québec, Canada, n° 7987
Série «La chambre noire», 2005-2010
Photographie et impression numérique
82,9 x 106 cm
J’ai pensé à ce projet au moment où moi-même je quittais ma chambre noire en 2005. J’ai commencé à Montréal où j’en ai répertorié 150 et j’en ai photographié la moitié. J’ai photographié les chambres noires des artistes, des commerciaux, des laboratoires, des écoles de photo, des musées... J’ai photographié partout où il y avait des chambres noires, sauf la mienne, je n’en avais plus !
L'idée d'élargir ce projet en dehors de Montréal était-elle la suite logique des choses ?
Très rapidement, j’ai réalisé que je tenais quelque chose d’important entre mes mains, important dans l’histoire du monde, de la technologie, de la photo... J'ai alors eu la chance de rencontrer Martin Parr au milieu du projet, de communiquer avec lui et avec la maison d'édition Nazraeli Press. Ils ont sur-le-champ décidé de faire un livre : Dark Room. Rapidement, j’ai eu le soutien nécessaire pour développer un second projet sur les chambres noires à l’étranger afin de voir un peu les similitudes et les différences culturelles et techniques. Et j’ai commencé à voyager...
Michel Campeau
Paris, France, n° 3281
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
82,9 x 106 cm
Michel Campeau
Berlin, Allemagne, n° 2142
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Michel Campeau
Ottawa, Ontario, Canada, n° 0059
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Je suis d’abord allé à La Havane, à Toronto... Bizarrement, je n’ai jamais photographié New York alors que j’ai toujours voulu, mais je n’ai jamais pu. Après j’ai voyagé à Berlin, à Paris, à Bruxelles, à Niamey, à Tokyo, à Hô Chi Min et à Mexico. J’aurais voulu aller dans d’autres pays, comme en Iran par exemple…
Et quels rapports entre les différentes chambres noires photographiées ? Entre celles de Niamey et de La Havane par exemple ?
Il y a une similitude, liée à la dureté du climat et à la précarité des moyens. Pour l’un, ce sont la sécheresse ou les pluies, l’humidité, le vent, le sable... Pour l’autre, c’est l’atmosphère tropicale qui peut par exemple détruire les archives. Il y aussi la pauvreté qui fait qu’ils n’ont aucun moyen de renouveler leur équipement, de produire des oeuvres grand format… Niamey et La Havane sont des expériences-chocs pour moi qui avais toujours bénéficié de tout l’équipement dont j’avais besoin, qui pouvais le renouveler ou racheter des matériaux de base.
Michel Campeau
Niamey, Niger, n° 7524
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
82,9 x 106 cm
Michel Campeau
Niamey, Niger, n° 7953
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
82,9 x 106 cm
Michel Campeau
Niamey, Niger, n° 6778
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Michel Campeau
La Havane, Cuba, n° 2067
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Mais qu'est-ce qui vous séduit finalement dans les chambres noires ?
Les chambres noires sont un lieu investi par le temps, par la sédimentation du temps et du travail. On y travaille beaucoup, intensément ou on peut les laisser là. Ce sont des espaces résiduels dans nos maisons au Canada. C'est moins le cas ici en France parce que les espaces sont trop contigus. Au départ, je pensais que je photographiais l’obsolescence, un lieu qui allait disparaître, mais je pense que j’ai bénéficié du travail des individus dans ces lieux-là et que chaque photo que j’ai faite est investie par la trace du travail humain, par les rubans que l’on colle, par les choses que l’on met sur les murs, par les baguettes que l’on fabrique pour retenir le faisceau lumineux sous l’agrandisseur afin d'éviter de trop noircir les ombres...
Diriez-vous que votre projet s'est inscrit dans un travail documentaire, quasi historique ?
Je n'ai pas une démarche d’historien, j’ai une démarche d’artiste. Je m’amuse avec la couleur, la lumière, le flash... L’avantage du flash, c’est qu’il absout totalement la hiérarchie des plans, tout est éclairé et cette révélation m’amuse ! Mon but était en fait de documenter un lieu de production que je considère sans égal. On est loin des espaces d’impression numérique absolument parfaits. L’expérience que j’ai eue dans la chambre noire est une expérience improvisée, jazzy ! Je dansais, je chantais, tout en étant concentré… On ne peut jamais faire exactement deux tirages identiques, on travaillait dans l’approximation et dans un "non-perfectionnisme". Encore maintenant, j’essaie de me tenir à distance du perfectionnisme.
Michel Campeau
Montréal, Québec, Canada, n° 0310
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Michel Campeau
Tokyo, Japon, n° 6896
Série «La chambre noire», 2005-2010
Épreuve numérique à jet d'encre
106 x 82,9 cm
Quand j’ai pensé ce projet, il était évident pour moi que cela devait se faire en numérique, un acte sacrilège et blasphématoire dans la mesure où j’utilisais le flash électronique. J’ai travaillé avec des appareils très simples, bas de gamme, ou haut de gamme amateurs. Cela tenait, à l’époque, de ma réticence à travailler en numérique ou d'une méconnaissance que j’ai toujours d’ailleurs : je suis totalement ou quasi illettré numériquement. Cela ne m’empêche pas de travailler même si maintenant je photographie très peu. Ces petits appareils photo numériques permettaient de photographier dans un mode grand-angulaire, mais en macrophotographie, donc de magnifier les objets. Voilà pourquoi les photographies exposées à l’exposition du Centre Pompidou ("Qu'est-ce que la photographie ?" NDLR) sont surdimensionnées. La vraie chose là-dedans, c’est l’illumination par le flash électronique qui révèle un lieu totalement photogénique !
Deux ouvrages, Dark Room et Photogénie et obsolescence de la chambre noire argentique, sont nés de votre tour du monde des chambres noires. Vous avez aussi participé à la collection In almost every picture (Kessels), quels sont vos projets désormais ?
Je travaille sur un livre, à partir d'archives... Je joue sur la photographie vernaculaire. Je photographie une collection d’appareils photographiques anciens, des petites choses que j’achète afin de construire le narratif de ce projet, dont une collection de photographies de chambres noires. Je suis un artiste mais aussi un collectionneur iconoclaste.
Propos recueillis par Emilie Lemoine