© Sébastien Tixier
On lui a d'abord demandé de se définir en trois mots. La question pénible par excellence. Sébastien Tixier ne s'est pas démonté et nous a appris un nouveau mot (soufflé par une amie) : « hexakosioihexekontahexaphobie ». (A vos dico !) Plus sérieusement, il a ensuite pensé à curieux, têtu ou pointilleux. Le troisième reste à découvrir paraît-il.
« Quand j’étais enfant, mon père avait ce gros reflex de marque ZENIT. Lourd comme un tank, le viseur incroyablement sombre, mais je trouvais l’appareil fascinant. » : l'appareil trône encore chez lui. En bonne place. Ce n'est pourtant pas avant l'âge de 25 ans que Sébastien Tixier décide de sauter le pas et de se mettre réellement à la photographie. D'abord le numérique, plus facilement apprivoisable, puis l'argentique. Son intérêt pour la photo, Tixier l'analyse avec lucidité : « Ce qui m’a intéressé dans le medium photographique c’est son ambiguïté : il est réaliste, il représente un instant qui a été capté, et pourtant il retranscrit un biais voire une complète mise en scène. »
© Sébastien Tixier
L'idée de la série Allanngorpoq a commencé à germer au début de l'année 2011 : « J’ai une fascination pour les pays du Nord et de me dire que, dans l’histoire des migrations humaines, des peuplades ont fait le choix de vivre petit à petit dans des conditions hostiles et y bâtir leur culture. Et puis le Groenland représente quelque chose de particulier car c’est pour moi le plus unique – la calotte glacière, la proximité avec le pôle nord – et aussi parce que je me rappelle des histoires d’enfance faîtes d’hommes et de femmes Inuits vivant sur la glace et chassant le phoque avec des techniques ancestrales... »
Il creuse un peu plus le sujet et, au fil de ses recherches, découvre une réalité beaucoup plus complexe et d'autant plus passionnante. Il décide alors de partir et de se rendre compte par lui-même, appareil en main.
© Sébastien Tixier
« Allanngorpoq » peut être traduit par "se transformer" depuis le Groenlandais. Parle-t-il de transformations sociétales ou écologiques ? « Je l’entends au sens large, mais je ne souhaite effectivement pas le limiter aux seuls changements climatiques : ce qui m’intéresse plus, c’est la façon dont la société du pays évolue, et se transforme en parallèle des modifications environnementales. » nous répond le photographe.
Téléphones portables, Facebook, supermarchés... la société traditionnelle groenlandaise a su adopter les outils de la consommation « moderne » et semble s'éloigner progressivement des images de manteaux en peau de phoque et du traîneau garé près de l'igloo. Les tenues traditionnelles ne sont plus qu'utilisées dans le nord, précise Sébastien, et « l'un des enfants que j’ai rencontrés dans une des familles qui m’hébergeaient rêvait de devenir star du catch comme ces héros qu’il regardait sur MTV. On est bien loin de nombreux clichés occidentaux ! »
© Sébastien Tixier
Mais cette ouverture, parfois fulgurante, à la culture occidentale ne va pas sans certains questionnements au sein de la population et au sein d'un territoire disparate, « entre les villes urbanisées en immeubles et les villages isolés de l’extrême nord sans eau courante. Et ce mélange des cultures cohabite le plus souvent, les bateaux plus modernes et les traîneaux traditionnels... »
Sébastien ne prétend pas être un photographe engagé et, modeste, considère que le rôle de l'art est plutôt de poser des questions et pas nécessairement de fournir des réponses : « Je me suis rendu compte que la question Groenlandaise était loin d’être simple. Je me rappelle de la seconde soirée en tente sur la banquise, et ce chasseur portant encore son pantalon en peau d’ours qui, après avoir discuté longuement de l’évolution du climat et de son impact, m’apprend que pour lui, le plus grand ennemi c’est ... Greenpeace. Selon lui, parce qu’en établissant des quotas de chasse l’ONG rend impossible la survie de la culture inuit vivant de cette chasse. D’un côté la sauvegarde d’une espèce animale déclinante, de l’autre la sauvegarde d’une culture déclinante. Je ne me sens ni légitime ni en mesure de trancher. »
© Sébastien Tixier
© Sébastien Tixier
Mais comment a-t-il pu photographier par un si grand froid ? « Si on est bien couvert, il ne fait pas si froid par -25°C ! » lâche Sébastien Tixier. Les difficultés matérielles sont pourtant plus nombreuses à ces températures extrêmes : la tenue des piles et batteries est limitée et la mise au point délicate car un simple souffle sur le verre de visée le recouvre immédiatement de glace. Mais rien n'a découragé notre homme, et il a continué à arpenter les moindres recoins de son territoire d'exploration, à l'argentique (Mamiya RZ 67) et à l'affut de nouvelles lumières : « Dès que je n’étais pas occupé à rencontrer des gens, j’y retournais pour capter des ambiances très différentes en fonction de la météo très changeante. Du matin au soir non- stop, et souvent après minuit pour bénéficier de la « lumière de minuit ».»
Entre lueurs discrètes et blancheurs aveuglantes, sur la banquise immaculée ou à l'intérieur de maisons colorées, le travail tout en nuances de Sébastien Tixier méritait sans nul doute d'être notre Carte Blanche du mois !
© Sébastien Tixier
Encore plus de photographies de Sébastien Tixier : http://www.sebtix.com/"