My hand in a tunnel, Border of Italy-France 1999 © Jehsong Baak
Pour le jeune Jehsong Baak, la photographie a d'abord été un moyen de s'intégrer. Elève d'un lycée hyper compétitif de la banlieue de Washington, il se sent un peu seul, loin des préoccupations de ses camarades qui ne pensent souvent que succès et money : « J'avais très peu d'amis. Un jour, j'ai remarqué que certains d'entre eux se baladaient et prenaient des photos pour le journal de l'école. L'appareil leur donnait un statut particulier, une identité hors normes. J'en ai donc acheté un, pas cher, et j'ai intégré l'équipe des photographes du journal. »
Self-portrait in my dormroom in Ann Arbor, Michigan 1987 © Jehsong Baak
Man on Bleecker Street subway platform, New York 2002 © Jehsong Baak
One Last Goodbye est aujourd'hui un ouvrage à paraître. Pourtant, c'est une œuvre qui n'aurait pu jamais voir le jour. Tout commence en 1987, c'est l'année où Baak, qui a arrêté ses études universitaires au Michigan, s'attaque à New York. Sacré défi pour une ville hantée par tant de photographes, surdoués. Frank, Arbus, Mapplethorpe pour ne citer qu'eux. Le jeune garçon arpente les rues pendant trois ans, appareil au poing. « J'étais un peu perdu à cet âge là, confie-t-il, et en 1990, dans un moment de folie, j'ai détruit la plupart de mes négatifs et tirages. Il y a 5 ans, j'ai ouvert l'enveloppe kraft qui contenait des négatifs rescapés pour la première fois depuis 20 ans. J'ai pu redécouvrir le travail de ma jeunesse avec un regard plus serein que le jeune moi n'avait pas. »
Girl and helicopter, St. Croix 1989 © Jehsong Baak
Swedish girl, New York 1988 © Jehsong Baak
Assez vite, le photographe se dit que ce travail pourrait être un livre, mais plutôt que de rester accroché au passé en ne proposant que des images prises entre 1987 et 1990, il décide d'y incorporer des images plus récente de New York : « Notamment des portraits de mon père pour créer une sorte de dialogue entre la personne que je suis aujourd'hui et le jeune homme d'il y a 25 ans. » Son histoire, Jehsong Baak la raconte dans des noir et blanc lumineux, inquiets. Un parti pris esthétique qu'il a toujours assumé, et plutôt bien : « Les photographes qui m'ont influencé, à part William Eggleston, travaillaient en noir et blanc. Il me semble que le noir et blanc arrive mieux à capter les choses invisibles, en dessous de la surface. » Cette plongée en eaux troubles ne laisse pas indemne. Comment l'être quand il déroule ici les failles et les lumières d' « une jeunesse enragée, d'une solitude, d'une errance » ? Même si, au bout du compte, il est possible, selon lui, de lâcher le passé qui nous hante.
John Gregory, Provincetown 1988 © Jehsong Baak
Mr. Weiss in the SRO hotel elevator, New York 1987 © Jehsong Baak
German girl at the SRO hotel, New York 1987 © Jehsong Baak
Pas de routine photographique, Jehsong Baak fonctionne à l'envie. Il ne prend des photos qu'en fonction d'une situation qui le motive, avec un appareil manuel tout simple et un seul objectif. Il fait ses tirages argentiques lui-même ou avec un tireur. Instinctif et traditionnel, ce n'est pas incompatible.
Passerby from the bus, New York 2012 © Jehsong Baak
« Le premier photographe qui m'a secoué c'est Bill Brandt, que j'ai découvert au lycée. Ses portraits, nus, paysages m'ont bouleversé par leur beauté transcendante et sublime. D'une certaine manière, je crois que son influence est toujours gravée dans ma psyché », nous explique Jehsong Baak. L'imprégnation est flagrante. Quelque chose dans ses portraits, dans cet imaginaire à l'oeuvre. Il évoque aussi Robert Frank. Comment ne pas en parler quand on pense à New York ? A son célébrissime Les Américains (1958), il préfère Les lignes de ma main (1972) : « Frank y expose sa vie intérieure ombreuse, sans gène, ça m'a donné le courage de parler de certains sentiments que je n'osais pas exprimer. » Les photographes qui l'intéressent ou le touchent sont ceux qui n'ont pas peur de s'exposer, de montrer leur vulnérabilité, de raconter quelque chose de vrai de leur expérience humaine. Comme Richard Avedon, « lui aussi, était un photographe d'une honnêteté et d'une sincérité extraordinaire. »
Il nous semble que Jehsong Baak a quelque chose, lui aussi, d'honnête et de sincère.