Sabine Weiss - Image extraite du film "Mon métier de photographe"
Le verbe précis et la voix claire. Du haut de ses 90 ans, Sabine Weiss a l'enthousiasme d'une adolescente. Elle nous a parlé de son exposition au prochain Salon de la Photo de Paris qui se tiendra à Paris du 13 au 17 novembre. Elle a évoqué son amour inconditionnel pour ce métier de photographe qu'elle a su élever au rang d'art. Rencontre avec une photographe de l'intime.
L'exposition du Salon de la Photo montrera plus d'une centaine de photographies emblématique de votre œuvre, comment les avez-vous choisies ?
Sabine Weiss : Ecoutez c'est très simple : ce sont des photos que j'aime ! Car ces photos, ce sont quand même mes enfants ! Ce sont des choses qui me touchent parce que ça représente toujours des personnages, sans que je cherche à photographier des personnages, mais il se trouve que c'est que ça que je photographie. Il n'y a que deux paysages dans l'exposition et tout le reste ce sont des attitudes de personnes, sans beaucoup de mouvements, sans beaucoup d'actions, mais où le personnage dit quelque chose. Sa tristesse, sa joie, son interrogation... : ils parlent !
Adepte du noir et blanc, vous pratiquez pourtant la couleur, comme dans la photo « Chez Dior », avez-vous une préférence entre les deux ?
S.W. : Tout le monde croit que je suis une adepte du noir et blanc. Tous les travaux que je faisais pour la mode et la publicité c'était en couleur. Mais je prends le noir et blanc pour mes photos personnelles, je me reposais sur lui parce qu'il demande une technique plus facile et qu'il permet de faire des choses plus prises sur le vif.
Chez Dior, 1958 © Sabine Weiss
Vous avez fait des portraits, plus rares, d' artistes, parlez-nous de cette photo de Jeanne Moreau toute de noir vêtue dans Paris...
S.W. : Alors j'ai photographié non seulement des gens qui me touchaient, dans la rue, mais j'ai aussi fait beaucoup de choses demandées en commande, et cette photo de Jeanne Moreau a été commandée par Vogue donc je l'ai prise, elle sortait du théâtre et c'était la nuit et voilà...
La nuit c'est un moment que vous aimez photographier ?
S.W. : Oui j'aime beaucoup ! Parce que j'ai fait énormément de photo de publicités, de bébés, de reportages, de portraits, des tas de choses très différentes... Mais la nuit j'avais plus de temps, les gens sont calmes, on ne vous appelle pas au téléphone, c'est bien, j'aime beaucoup les photos de nuit, les atmosphères... Et puis vous savez c'était une époque où les gens ne regardaient pas la télévision, et donc on se promenait beaucoup.
Jeanne Moreau, 1953 © Sabine Weiss
Robert Doisneau parlait de « la malice » de vos photographies, êtes-vous d'accord avec lui ?
S.W. : Je ne dirai pas tellement malice, c'était gentil de sa part de l'avoir dit mais je trouve qu'il n'y a pas beaucoup de malice. Ou peut être un peu... j'ai évidemment un contact amusant avec les enfants, j'aime beaucoup m'amuser avec les gosses, les mettre au défi de faire quelque chose et rigoler avec eux, c'est sympathique, on ne peut pas faire ça avec des adultes !
L'humanité et la dénonciation des injustices sont au cœur de votre œuvre, la photographie est-elle une forme de combat pour vous ?
S.W. : Pas du tout ! Je ne suis pas une combattante, je suis une personne touchée par les gens qui ont à combattre mais je ne suis pas personnellement une combattante. Il y a une volonté de dénoncer, certainement, quand je vois quelque chose qui est dramatique, pour une famille par exemple, mais c'est toujours fait gentiment, jamais agressif, jamais des choses de guerre... Evidemment que c'est pour dénoncer, pour que les gens voient qu'il y a de la misère et du drame dans beaucoup d'endroits. Mais je ne lutte jamais pour des organismes, je donne de l'argent comme tout le monde. C'est surtout parce que je n'ai pas le temps, dans ma vie j'ai énormément travaillé en photo et je n'avais pas le temps de m'associer ou de plaider une cause.
L' ouvrage L'oeil intime est paru hier, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
S.W. : On y trouve un échantillonnage des photos que j'aime ! Parce que je n'ai jamais rien fait avec toutes mes photos de mode, de beauté, de publicité... j'ai fait beaucoup de photographies de bébés, j'ai fait des grands reportages, j'ai travaillé pour l'OTAN, l'OCDE, le Crédit agricole, enfin pour tellement de choses que je ne montre pas, puisque que je ne montre que ma photographie intime.
Au Salon de la Photo, on pourra voir « 9 DÉCLICS », un hommage rendu par 9 jeunes photographes qui ont réalisé une photographie à partir de l'une de vos photos qui les a le plus inspirés. Qu'avez-vous pensé de cette démarche ?
S.W. : Je trouve que c'est très sympathique ! Déjà ça m'a rapproché de neuf jeunes, et c'est toujours une chose agréable. Ça m'a amusée de voir ce qu'ils choisissaient, ils ont travaillé de façons très différentes, il y en a même deux qui sont partis sur mes traces ! Un photographe est parti en Egypte pour retrouver une petite fille que j'avais photographiée et ça a été une chose très émouvante parce qu'il n'a pas retrouvé la petite fille qui était devenue grande et qui était décédée mais elle avait eu cinq enfants et j'ai reçu des cadeaux de la part de la mère de cette petite fille qui m'a envoyé une écharpe et qui m'a fait une poupée en chiffon, c'est très touchant ! Un autre photographe est parti en Birmanie pour pouvoir retrouver des petits moines qui s'amusaient dans une petite pièce très exiguë et qui faisaient les fous. Il se sont beaucoup investis, et maintenant je suis même très connue dans ce village égyptien alors que je n'y ai passé que quelques minutes une fois : "Sabine Sabine, il faut que Sabine vienne, il faut que Sabine revienne", c'est amusant !
La petite égyptienne, 1983 © Sabine Weiss
La petite égyptienne © Philippe Guionie / MYOP
Allez-vous y revenir ?
S.W. : Non je ne pense pas, l'Egypte maintenant c'est un peu loin pour moi, j'ai quatre-vingt dix ans, et je pense que c'est difficile de marcher dans le sable ! (rire)
Avez-vous un cliché préféré parmi « 9 DÉCLICS » ?
Celle-ci évidemment ! Cette petite fille qui rit est l'une de mes photos les plus appréciées, c'est un peu une photo "vedette", et avoir retrouver sa famille dans un pays, alors que je n'avais ni nom ni adresse... C'était pour ce village et cette famille une très grande émotion de voir des jolies photos de cette petite qui devait avoir huit ans à l'époque, qui avait eu cinq enfants et qui est morte d'une crise cardiaque. C'est toute une histoire... (soupir) mais la photographie est un métier merveilleux parce que ça peut vous mener à tout, quand on fait un peu de reportage et quand on a du contact avec des gens, c'est extraordinaire !
Quels sont les photographes qui vous ont inspirée ?
S.W. : Personne ! Quand j'étais jeune il n'y avait pas d'expositions de photo, on ne parlait pas beaucoup de photographie. Je connaissais quelques noms américains parce qu'aux Etats-Unis j'étais cotée, j'ai fait des grandes expositions et j'étais donc dans les yearbooks. Ces livres réunissaient les photographes du monde entier, il y avait une photographie par page et ça paraissait chaque année, alors je regardais leurs noms oui, mais je n'ai jamais été influencée par des photos ou des photographes
Est-ce que vous continuez à photographier aujourd'hui ?
S.W. : Non, je trouve que je photographie mal... Si je vais dans un pays étranger, je suis évidemment subjuguée par les choses tellement différentes, le comportement des gens, par tout... alors évidemment que je documente, que je photographie oui, et je photographie bien ! Mais je ne me donne plus le temps de m'intégrer à des choses intimes comme je le faisais dans le temps.
1954 © Sabine Weiss
(Propos recueillis par Emilie Lemoine le 07/11/14)