Couverture : Anastasia Taylor-Lind
Le voyage commence avec Hessa, « perle noire » en arabe. Hessa est une adolescente qatarie pas tout à fait comme les autres. Issue d'une famille aisée et ouverte, elle jouit de libertés inhabituelles pour une fille de son âge. Isabelle Eshraghi, photographe, capture avec subtilité la fugacité de la vie quotidienne d'Hessa : à l'école, chez un fleuriste ou avec sa mère dans la cuisine, toujours dans l'intimité d'un regard qui se veut discret, non intrusif.
S'il y a une constante dans cette série de photos, c'est le smartphone que la jeune femme tient systématiquement dans sa main. En effet, la culture occidentale est omniprésente et cohabite avec la tradition moyen-orientale. Aux talons aiguilles vernis et au maquillage que s'achète la jeune femme dans des boutiques de luxe s'opposent la burqa, de mise dans les lieux publics, et les paysages désertiques du Qatar.
Cette vie tout en contrastes prend des couleurs alors qu'est célébré le mariage de la sœur d'Hessa : les visages sont dévoilés et les robes se parent de paillettes. Une dimension magique, presque surnaturelle, pénètre alors les photos, émanations d'une culture orientale à la fois secrète et pleine de contradictions.
© Hessa par Isabelle Eshraghi
Anastasia Taylor-Lind prend le relai de la narration dans un deuxième chapitre, en révélant la vie de jeunes écolières cosaques résidentes d'une pension militaire. La dominante chromatique beige et kaki enveloppe les demoiselles d'une atmosphère rigide que rien ne vient briser avant 19h.
Alors, dans leurs dortoirs, les filles s'animent et c'est toute une vie faite de confidences et de complicité qui se déploie sous les yeux du lecteur. Ici et là ressortent des tâches de couleurs : un tutu de danse rose ou des costumes traditionnels cosaques pour le spectacle de fin d'année.
Le flou, technique largement utilisée par l'artiste, participe à la création de cet univers désolé de l'après URSS. La mise au point sur les visages poupins des adolescentes insiste quant à elle sur la difficulté qu'est cette période charnière de la vie : l'adolescence.
Filda quant à elle est une travailleuse et mère ougandaise que la vie n'a pas épargnée. Amputée de sa jambe gauche, elle continue de travailler dans la brousse sous un soleil de plomb. Sans mari et alors que son fils est mort, elle garde la tête haute, chef de famille insubmersible. C'est une surprise pour elle lorsqu'elle apprend qu'une photographe, Martina Bacigalupo, veut raconter son histoire. À 54 ans, Filda n'avait jamais vu de photo d'elle.
À travers ces clichés noir et blanc immémoriaux, la photographe ne parle pas que de Filda, mais de toutes ces femmes d'Afrique dont le corps-outil semble encore aujourd'hui maltraité, oublié, dans des tâches quotidiennes harassantes. Toutefois, le regard de la photographe n'a rien à voir avec du misérabilisme, et jamais le handicap de Filda n'est mis en avant, bien au contraire. La nature se fait alors l'écho de sa force, tantôt sous un ciel étoilée, tantôt dans l'ombre de la nuit. Un texte de témoignage fait suite à la série de photographies.
Neuf autres photographes se sont prêtés au jeu de cette exploration du quotidien féminin. Janet Jarman photographie le mexique de Marisol, qu'elle suivra régulièrement pendant dix sept ans, de l'enfance à l'âge adulte. Comme dans Le radeau de la Méduse, elle et son entourage vacillent sur une vague de détritus, dans une décharge publique.
© Marisol enfant par Janet Jarman
Sous l'oeil de Roberta Valerio, vous découvrirez des dames de compagnies peu communes, en transit entre l'Italie -leur lieu de travail- et les pays de l'Est, où vivent leur famille. Abbie Trayler-Smith vous parlera de ces accoucheuses du désert et des conditions de leur exercice. Le travail d'Elisa Haberer s'attache à la Chine d'aujourd'hui et à l'exode rurale qu'expérimentent de nombreuses jeunes femmes. Stéphanie Gengotti s'attache aux femmes enceintes napolitaines et à leurs épreuves anté-partum. Quant à Lauren Greenfield, elle retrace le parcours atypique de Jackie, ancienne reine de beauté américaine ruinée. La Chine apparaît encore sous l'objectif d'Axelle de Russé avec la question des concubines, sorte de prostituées officielles. Sergio Ramazzotti suit Erika, médecin suisse qui assiste médicalement le suicide. Enfin, c'est Patrick Willocq qui étudie le mode de vie des « walés », Pygmées congolaises qui vivent recluses après leur accouchement. Dix des douze photo-reporters de l'ouvrage sont elles-mêmes des femmes.
© Patrick Willocq
Autant de thèmes évoqués dans Le siècle des Femmes que de techniques et de perspectives photographiques. Mais la variété de l'ouvrage n'a d'égal que la pluralité des identités féminines. Quel que soit leur niveau de vie ou leur âge, chacune des héroïnes de ces douze chapitres illustre à sa façon ce que veut dire « être une femme ». L'intimité dans laquelle on plonge au fil des pages justifie les mots de Marie-Pierre Subtil dans sa préface, qui souhaite montrer les femmes « telles qu'elles sont ». L'ambition est grande mais le contrat semble rempli, quand on referme le livre. En effet, qui de mieux pour parler des femmes que les femmes elles-mêmes ?
Marie Beckrich
Fiche technique
Titre : Le siècle des femmes
Édition : Les arènes
Collection : 6Mois
Format : 210 x 285 mm
Prix : 34,80€
Nb de pages : 320
Pour plus d'infos : http://actuphoto.com/29408-isabelle-eshraghi-j-ai-trouve-une-famille-adoptive-.html"