Lauréates du Prix HSBC 2014 Akiko Takizawa : ©Akiko Takizawa / Delphine Burtin : © Estelle Zolotoff
Actuphoto a rencontré les deux photographes à la Galerie Seine 51, à l'occasion de la deuxième étape de leur exposition itinérante en France.
Delphine Burtin est née en 1974 en Suisse, elle vit et travaille à Lausanne. Graphiste de formation, elle entreprend, en 2011, une formation supérieure photographie à Vevey. Le prix HSBC a récompensé son projet de fin d'études, Encouble.
Akiko Takizawa, née en 1971, vit et travaille à Londres. Son travail, qui a obtenu de nombreux prix, est reconnu au Japon, en Grande Bretagne et en France. Elle a présenté, pour le prix HSBC, une sélection de différentes séries exécutées à Najima au Japon.
Entretien avec les deux lauréates.
Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter ?
Delphine Burtin : J'ai une formation de graphiste, terminée en 1998. J'ai par la suite travaillé plusieurs années en agence, puis comme indépendante depuis une dizaine d'années. En 2011, j'ai eu envie de faire un travail plus personnel, de prendre un peu de temps pour un projet artistique. En effet, dans le graphisme, on est au service d'un projet, d'un client. J'ai décidé de suivre une formation supérieure en photographie, à l'École Supérieure d'Arts Appliqués de Vevey.
La photographie a toujours plus ou moins fait partie de mon univers, que ce soit en regardant les images des autres en tant que graphiste, ou en faisant des images parce que j'aimais bien cela. Puis, petit à petit, cela s'est imposé comme quelque chose qui était important pour moi, que j'avais envie d'approfondir.
J'ai fini cette formation l'année passée. La série que j'ai présenté pour le prix HSCB est mon travail de fin d'études. Elle a continué à évoluer depuis, mais la grosse partie du travail a été faite pour le diplôme de fin d'études.
Akiko Takizawa : Je suis photographe mais je n’ai jamais étudié la photographie. Mon oncle était photographe, c’est lui qui m’a « introduit », qui m’a donné goût à la photographie. Je me souviens qu'il adossait les feuilles mortes le long du mur, cela créait différents formes, des flammes, des silhouettes, qu'il photographiait.
Akiko Takizawa, qu’est ce que la photographie pour vous ?
C'est la vie, simplement.
Plus précisément, la photographie est pour moi un lien entre le corps et l'esprit. Je n’ai pas l’impression que c’est moi qui prend une photographie, mais tout un héritage, toute une culture visuelle derrière moi. J’éprouve donc une certaine distance avec mes photographies, ce qui me rend par exemple moins sensible à la critique.
La photographie est aussi pour moi un lien avec les morts. Sachant qu'elle allait mourir, ma tante me dit un jour que ses regrets seraient amoindris si elle savait qu'elle pourrait continuer à écrire des lettres. La photographie est donc quelque chose d'interactif, j'utilise mon appareil comme une antenne pour recevoir des signaux des personnes décédées. Mes photographies sont un peu comme des lettres du paradis.
Avez-vous été influencées par certains photographes ?
D.B. : Oui, par exemple par le travail de Michel Le Belhomme. Le courant du Bauhaus m'a aussi beaucoup influencée.
A.T. : Oui, il y en a beaucoup. Par exemple Antoine d'Agata, Boris Mikhailov avec sa série « Case History », Daido Moriyama...
Qu'avez-vous ressenti en apprenant que vous étiez lauréates du prix HSBC ?
D.B : C'est un événement important, cela fait plaisir de se rendre compte qu'il y a une reconnaissance sur ce travail, que les gens ont apprécié, que cela allait me permettre de faire le livre, de faire des expositions... Quand j'ai présenté cette série pour mon diplôme, les murs n'étaient pas adaptés à l'accrochage, donc j'ai fait un livre, qui est présenté dans l'exposition.
L'accrochage est quelque chose de très important pour moi, car placer un travail dans l'espace est la continuité de ce dernier. Pour moi, les images ne s'arrêtent pas au moment où elles sont prises, mais cela continue dans la manière dont on les accroche, comment le lieu est pris en compte, comment je peux jouer avec... La première fois que j'ai pu l'accrocher c'était en décembre dernier, où j'ai eu le prix du Photoforum à Bienne.
Le prix HSBC est la continuité de cet accrochage, avec des moyens de production. Je peux ainsi montrer plus d'images, investir d'autres lieux, soit institutionnels soit des galeries.
C'est donc quelque chose de très riche.
A.T. : J'étais très heureuse, je n'y croyais pas.
Pouvez-vous nous présenter la série que vous avez présenté pour le prix ?
D.B : Cette série s'appelle Encouble. Encouble est un mot que seuls les suisses romands comprennent, « s'encoubler » c'est « trébucher » en français.
J'ai choisi ce titre parce que j'aime bien « m'encoubler » dans les images du quotidien, j'aime ces accidents de la vue où l'on voit quelque chose mais qui est en fait autre chose, cette fraction de seconde où nos sens nous jouent des tours.
C'est là dessus que j'ai eu envie de travailler. Ce qui fait que ce sont des images construites, où j'essaie de recréer ces accidents de la vue, puis d'autres qui sont des images où je ne suis pas du tout intervenue, où j'ai juste trouvé quelque chose qui m'a interloquée, que j'ai eu envie de capturer.
Je mélange ces deux choses, ce qui fait qu'on est toujours en train de se poser la question : est ce que c'est réel ou pas, est-ce que la photographe est intervenue ou pas...
Quand j'interviens, ce n'est jamais par Photoshop, mais toujours du découpage, du pliage, de la re-photographie, il n'y a pas de manipulation digitale dans mes images même si c'est du numérique.
A.T. : Ce travail regroupe plusieurs séries, Headland, Osorezan, Najima, que j'ai effectué lors de mon retour dans la maison de mes grands-parents à Najima.
Ce sont des phototypies sur papier traditionnel japonais. J'ai travaillé avec le dernier centre de phototypie du Japon, le Benrido Collotype Atelier à Kyoto. Ce procédé me permet d'obtenir des noirs très intenses.
Encouble © Delphine Burtin
Encouble © Delphine Burtin
Encouble © Delphine Burtin
Série Headland #1 - Torii on the cliff © Akiko Takizawa
Série Najima #3 © Akiko Takizawa
Série Osorezan, Goshogawara - People #1 © Akiko Takizawa
La remise du prix HSBC est accompagnée de la publication chez Actes Sud de deux monographies.
Exposition à la Galerine Seine 51
51 rue de Seine - 75006 Paris
Du 20 juin au 12 juillet 2014
Propos recueillis par Juliette Chartier