© Nelli Palomaki
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
Cette exposition ressemble à un théâtre où, de la mise en scène aux personnages, tous les rôles sont tenus par des femmes. L’espace scénique prend plusieurs formes : l’intérieur d’une maison bourgeoise, les pièces d’une demeure abandon- née dont les histoires sourdent des murs, l’atelier d’une peintre ou le studio d’une photographe. Les héroïnes jouent dans l’ombre de rues bordées d’immeubles, dans celle d’un jardin arboré, face à un miroir ou au creux d’une rivière.
Le registre est plutôt celui de la tragédie. Cependant la fin de l’histoire reste en suspens et l’interprétation est laissée libre, à l’appréciation du spectateur. Ici, les héroïnes ne succombent pas à la passion qui dévore Mathilde, la femme du film de Truffaut. Le souffle qui les anime est celui des artistes, car sans leur regard ou leur geste créateur, elles auraient pu tout aussi bien rester en dehors de la scène. A côté.
Si les décors et les histoires évoluent d’une pièce à l’autre, le sujet reste le même, chaque œuvre, ou ensemble, propose le portrait d’une femme particulière. Qu’elle soit sourde ou bruyante, suave ou grinçante, imperceptible ou assourdissante, une voix s’entend, un visage surgit et une femme s’incarne dans l’œuvre. Le discours de cette femme, réelle ou imaginaire, est traduit, transmis par une autre, l’artiste. Dans cette chambre d’écho, une femme se présente, à côté d’une autre femme. Et leurs histoires respectives, qu’elles soient vécues ou fabriquées, entrent en résonance.
En choisissant d’aborder un sujet féminin, ces artistes nous parlent autant de modèles établis que d’elles- mêmes. Certaines travaillent à partir de personnages qu’elles se réapproprient et dont les références sont aussi bien artistiques - picturales, littéraires et cinématographiques - que populaires, quand d’autres élisent des figures anonymes, recherchées à dessein ou choisies parmi leur entourage.
© Laura Henno
La diversité des medium qu’elles explorent permet d’aborder plus profondément la problématique de l’image féminine. Si quelques unes réactivent la peinture, la plupart, tout en se référant aux modèles picturaux, utilisent les codes du médium photographique. Le choix du noir et blanc ou de la couleur sert leur propos et devient le vecteur de discours sur le sujet, en même temps qu’il permet de le
déconstruire. Des portraits photographiques de facture classique côtoient des images d’archives utilisées, comme les bases d’œuvres associant les différentes sources. La sculpture et la vidéo enfin font entrer le mouvement dans le ballet de ces portraits féminins et en démultiplie l’écho.
Par le biais des codes du portrait dont elles déforment, voire brisent les carcans, ces plasticiennes interrogent les représentations historiques et contemporaines du féminin, souvent stéréotypées ou chargées de fantasmes. Ces différentes images reflètent l’évolution du statut social de la femme qui a cherché à se retrouver, à se définir et à se positionner dans une société structurée à partir de la figure masculine. Les artistes jouent avec la réinterprétation de la perception de la femme dans les différentes sphères de la représentation. Et dans l’intervalle de deux extrêmes, entre la figuration traditionnelle d’une femme sensible, faible, fragile et dépendante et celle d’une femme forte, indépen- dante, maître d’elle-même, virilisée, issue et portée par le féminisme, elles en donnent une image délestée de tous ces clichés, nuancée de maintes couleurs. Celle d’une femme pouvant se fondre dans plusieurs personnages, porter différents costumes, et tous les assumer.
Ce sont ces différentes femmes que l’on retrouve dans ces œuvres, ces personnages féminins complexes, à l’image des artistes qui leur prêtent une image.
De ces dialogues entre les auteures et la diversité de leurs œuvres, se dégage une vision plurielle, riche de leurs réappropriations individuelles, une vision plus essentielle de la féminité. Cette exposition livre ainsi une image kaléidoscopique de la femme à travers laquelle le rideau du banal et du quotidien dévoile un petit théâtre de curiosités féminines et s’ouvre à l’extraordinaire.
Charlotte Boudon