© Joel Meyerowitz
Jusqu'au 7 avril prochain, la maison européenne de la photographie propose quatre nouvelles expositions distinctes mais non moins passionnantes.
Joel Meyerowitz, Diana Michener, Martial Cherrier, ainsi qu'un spécial 10 ans d'Images magazine sont présentées au 5/7 rue de Fourcy dans le 4e.
Voici donc un petit récapitulatif de ces expositions présentées par la MEP.
Joel Meyerowitz
Une chose est sûre, la rétrospective consacrée à Joel Meyerowitz à la maison européenne de la photographie peut aisément se qualifier de complète et accomplie.
Organisée en plusieurs périodes de la vie photographique de l'artiste, un étage entier est consacré à son œuvre. De ses débuts aux Etats-Unis, à ses voyages en Europe, jusqu'à ses images prenantes du « ground 0 » à New York, tout y est. Noir et blanc, couleur, les pérégrinations du photographe sont affichées devant un public béat d'admiration. Des scènes de vie, des évènements capturés au bon moment, le fameux « instant décisif » de Cartier-Bresson.
« La photographie est une forme de conscience. Je me suis senti éveillé quand j'ai pris mon appareil. Dans la rue, les choses que je voyais me semblaient vivantes.» Pour l'artiste, capter ces instants de vie s'est révélé être un véritable mode de vie. Il déambulait dans la rue à la recherche d'un moment capté à la sauvette.
© Joel Meyerowitz
L'exposition présente des clichés en noir et blanc et en couleur, que le photographe utilise alternativement. Pourtant, son traitement de la couleur est propre à son travail : «Je me suis demandé pourquoi le noir et blanc me faisait ressentir certaines choses, et la couleur d'autres choses. Je suis arrivé à la conclusion qu'un photographe décrit le monde devant un appareil. Et il est vrai que la couleur décrit mieux le monde, le noir et blanc est une réduction, il ne représente que 25% des choses. » Alors le photographe est descendu dans la rue armé de deux appareils, l'un avec une pellicule noir et blanc, l'autre une pellicule couleur. Chaque cliché qu'il faisait était réalisé en double. Ainsi, plusieurs séries comportent deux images pour la même scène, comme un moyen hors du commun de comparer deux modes de prise de vue. Un concept innovant dans les années 70', qui, encore aujourd'hui, surprend autant qu'il séduit.
© Joel Meyerowitz
La ballade photographique de l'exposition de Meyerowitz s'achève par ses images du ground 0. Des photographies troublantes, prises quelques jours après le 11 septembre. Des images inédites, puisque le photographe a été le seul autorisé sur la zone : « Quelque jour après l'attentat, je suis allé à ground 0, et j'ai sorti mon appareil juste pour regarder. Juste derrière moi, il y avait un officier de police, elle m'a attrapé le bras et m'a dit « c'est une scène de crime » et je lui ai répondu « de quoi me parlez-vous, la scène de crime est là bas au milieu, là je suis juste sur le trottoir, dans la rue, vous ne pouvez pas m'interdire de prendre des photos, nous sommes en Amérique ! » Puis elle m'a dit que la zone était interdite aux photographes. J'ai commencé à me battre contre la bureaucratie pour y arriver et j'y suis arrivé. J'ai été le seul photographe autorisé à prendre des images, et j'ai vécu là-dedans pendant 9 mois. Ca a changé ma vie. »
L'exposition de Joel Meyerowitz proposée par la MEP est l'histoire d'une vie. Une vie chargée d'histoire, de rencontres, d'étapes, d'époques. Une histoire qui est loin d'être terminée car le photographe n'a pas fini de surprendre.
Claire Mayer
Diana Michener « Figure Studies »
La maison européenne de la Photographie présente « Figure Studies » une exposition de Diana Michener du 23 janvier au 1er avril 2013.
Diana Michener est une artiste américaine née en 1940 à Boston. Après des études en histoire de l'art, elle s'intéresse à représenter la complexité de certains sujets tels que la vie, la violence et la mort. Dans la série « Heads » elle photographie des têtes de vaches au moment où celles-ci sont abattues. Dans « Foetus » et « Corpus » elle réalise des clichés de cadavres humains. Ses oeuvres révèlent au monde des images qui restent ordinairement secrètes ou cachées.
« Je sais que je regarde des choses que beaucoup n'ont jamais regardées, que je dévoile des images que d'autres n'ont peut-être jamais vues, mais je ne le fais pas pour choquer ou pour heurter. Simplement pour illuminer. » Diana Michener
© Diana Michener
Dans sa nouvelle exposition « Figure Studies », Diana Michener expose les complexités de l'amour sur des grands tirages en noir & blanc. Le thème du corps, récurrent dans l'oeuvre de l'artiste, est fondamental dans la série. Le titre « Figure Studies » car les visages et les corps des hommes et femmes qui s'enlacent, se cherchent et s'embrassent deviennent des formes, des mouvements à travers le regard de la photographe. Une atmosphère mystérieuse et intime est retranscrite par l'esthétique du flou, du mouvement et de l'obscurité. La représentation de l'amour se construit sur la nudité des corps . L'influence des arts visuels tels que la peinture et le cinéma imprègne les images dont les plans sont rapprochés et les perspectives en contre-plongée. Diana Michener a expérimenté la réalisation, ses inspirations cinématographiques enrichissent le récit de ses photographies.
© Diana Michener
Dans sa série « Figure Studies », la photographe s'exprime sur l'amour et sur la sexualité avec une part sombre d'animalité, de violence et de souffrance. Diana Michener s'intéresse à l'être humain, mais est-il si différent de l'être animal ? Les photographies de Diane Michener suscitent une réflexion sur les relations et sur la condition humaine, elles peuvent provoquer de l'émotion, poser des questions mais aussi laisser une part de mystère et d'incompréhension.
Justine Mahé
Martial Cherrier
Comme il est étrange de pénétrer dans une exposition de photographie introduite par ces mots de Dominique Qesseda:" Martial Cherrier n'est pas photographe, pas plus que peintre ou vidéaste." Un autoportrait photographique noir et blanc, de la série "Body Fluid" (1999), trône pourtant dès l'entrée. L'artiste nous parle du corps, de son corps. Avant de l'exprimer à travers la médiation de la photographie, c'est à travers la plastie de son propre corps qu'il commença par transformer la matière. Champion de body building de Los Angeles en 1994, Lauréat du Prix Central Color de la création numérique en 2000, Martial Cherrier nous offre une réflexion sur le corps, son statut dans le monde contemporain, tout en partageant par l'image son expérience culturiste. L'exposition Etat d'urgence, c'est une autobiographie, l'histoire d'un "Narcisse blessé".
© Martial Cherrier
A mesure que l'on découvre ces espaces, ce sont des étapes de vie, marquées par la mutation du corps et celle de la conception que l'artiste en a, que nous traversons. Aux courbes viriles et tendues d'un corps d'Atlas sublimées par le contraste métallique du noir et blanc, succède la série "Food or Drugs" (2000) qui réveille le souvenir d'un Andy Warhol. Le corps hypertrophié y est présenté comme le produit d'une consommation à travers des montages photographiques aux couleurs criardes qui fusionnent bodybuilder et emballages. Après l'exposition de la méthode, "Fly or Die" (2006), ou la mutation de l'athlète en papillon, nous invite à saisir l'idéal culturiste. D'Atlas à Icare, le travail de Cherrier impose ce paradoxe entre matière et légèreté et nous confronte à une impossibilité nécessairement tragique. La série "Disparition" (2011) et "Masque Therapy" (2005) s'envisagent comme une désillusion voire une destruction. Des clichés calcinés où s'efface le corps d'Atlas dans un mélange de couleurs vieillies. Des masques anonymes et figés aux orifices comblés par des pilules. Il n'y a de place que pour le souvenir d'un corps déchu, la désincarnation et la dépossession de soi. Partout, l'obsession de la substance artificielle comme palliatif. L'exposition s'achève sur une note crépusculaire. Une installation photographique associe le corps de l'artiste à une carcasse de bœuf écorché tandis qu'une photographie tripartite décline l'évolution dégénérescente du corps. Esthétisées par le contraste du noir et blanc, ces dernières photographies nous ramènent aux premières tout en invitant à penser le travail de Martial Cherrier comme un parcours dialectique qui a débuté en 1998 et qui s'est achevé en 2013.
© Martial Cherrier
La réflexion critique sur l'artificialité et le narcissisme déviant de l'exposition Etat d'urgence se heurte à son propos. La photographie de Martial Cherrier, construite par le montage, l'installation, la répétition et l'esthétisation, nous éloigne de la matérialité du corps et de l'organique. La maladie s'y exprime à travers les images aseptisées de substances chimiques. L'échec, l'impuissance et l'inquiétude, par le filtre du noir et blanc. Alors que l'exposition souligne la sérialité et le caractère obsessionnel du travail de l'artiste, elle en éclaire aussi l'hétérogénéité des esthétiques (classicisme du noir et blanc, écho pop art, installation, collage).
Si le culturiste narcissique échoue dans sa folie de transformation, Martial Cherrier parvient à sublimer l'horreur de cette quête et à réaliser un idéal impossible par le montage photographique.
Orianne Hidalgo
Exposition IMAGES magazine 2003-2013 « 10 ans d'IMAGES !
A l'occasion de l'anniversaire des dix ans de IMAGES magazine, une exposition rétrospective est présentée à la Maison Européenne de la Photographie du 23 janvier au 7 avril 2013.
Images Magazine publie tous les deux mois un panorama et une réflexion sur l'actualité photographique qu'elle soit artistique, documentaire ou photojournalistique, rappelle les grands noms de la photographie tout en promouvant les talents émergents.
L'exposition invite à découvrir ou à redécouvrir une vingtaine de photographes publiés dans le magazine à travers un parcours thématique où se succèdent : la photographie de nuit, la photographie de nature et d'environnement, l'esthétique de la ruine, la photographie chinoise, les photographies mises en scène et picturales, le renouveau documentaire...
© Images magazine
Différents espaces sont associés à ces thématiques, il ne s'agit plus de tourner les pages d'un magazine mais d'admirer les images en grand format et de se promener dans l'exposition. La scénographie libre, trouve sa cohérence tout en dessinant un parcours qui parvient à concilier des photographies de thèmes, genres et origines différentes.
Au sous-sol, dans un premier espace, la photographie de nature et d'environnement se dévoile, la nature reprend parfois le dessus sur la ville comme sur une photographie de Laurent Gueneau où des ponts urbains sont recouverts de lierre/ végétal. En écho, la série sur la prison Carabanchel en Espagne par Jean-Yves Gargadennec, marque une esthétique de la ruine.
Un autre espace est dédié à la découverte de la photographie chinoise contemporaine. Un mur est consacré à une œuvre de Liu Bolin « l'homme invisible » qui se camoufle visuellement dans différents environnements.
Dans une petite pièce en alcôve, une projection vidéo sur le sujet du mal-logement ainsi que des visuels issus de captures photos sur Twitter pendant le conflit en Iran. Image Magazine présente le renouveau documentaire audiovisuel et multimédia.
© Images magazine
A cette photographie brute et documentaire, succèdent les mises en scène léchées d'Anna Skladmann avec sa série Little adults qui laisse transparaître à travers une innocence aliénée, un regard critique sur la société des nouveaux riches russes.
Par ailleurs, une vitrine invite les visiteurs à s'installer dans un salon de lecture des magazines, où une projection vidéo est également présentée et où le visiteur peut se faire prendre en photo dans un photomaton « Images Magazine ».
L'exposition anniversaire de Images Magazine revient sur dix ans d'images, avec le soucis de présenter les enjeux et les thématiques photographiques contemporaines et d'apporter une visibilité à des nouveaux photographes émergents. Cette exposition présente un panorama photographique riche et intéressant à l'image du magazine.
Orianne Hidalgo et Justine Mahé