Paris, le 13 octobre 2011 Campagne de l'entre deux tours de la primaire citoyenne. Meeting de François Hollande au bataclan © Sebastien Calvet
En pleine campagne présidentielle, nous avons voulu en savoir plus sur le métier et les objectifs de trois photographes qui suivent ou font le portrait de personnalités engagées dans la conquête du pouvoir. Sébastien Calvet (Libération), Jean-Claude Coutausse (Le Monde) et Tina Merandon ont accepté de décrire le défi posé par la photographie politique :«faire exister les images au royaume du verbe».
Abordez-vous les politiques comme n'importe quelle personnalité dont vous faites le portrait ?
Sebastien Calvet : J'ai toujours voulu faire de la photographie politique, et j'en fais depuis douze ans pour Libération, donc pour moi la question ne s'est jamais vraiment posée. Ce qui m'intéresse, c'est cette dimension éminemment romanesque, cette galerie de personnages, et le fait qu'un homme politique touche à tous les secteurs de la société.
Tina Merandon : Non, je ne les aborde pas de la même manière : ils ont des codes différents et des motivations variées. Ce qui m'intéresse chez les politiques c'est leur relation au pouvoir, et comment ils la gèrent.
Comment est-il possible de photographier un moment de relâchement et d'abandon de soi d'une personnalité politique, est-ce que vous recherchez ? On se rappelle de la série de Yann Rabanier pour Libération qui se focalisait sur le "masque" des politiques en campagne : votre objectif est-il de le faire tomber ?
S.C. : Ces moments de vérité sont l'objectif. Mais on n'y a pas accès tous les jours ; la plupart des moments sont plus formatés. L'accès à ces moments justifie le travail au long cours. Les portes ne s'ouvrent que rarement.
T.M. : Je ne suis pas reporter - j'ai beaucoup d'admiration pour eux - je suis portraitiste, donc je ne "suis" pas la campagne. J'ai un rendez-vous fixé par le service de communication, un attaché de presse ou assistant dans un lieu imposé, et un temps donné. La contrainte la plus forte est celle du temps laissé à la prise de vue : les politiques ont un agenda très rempli, surtout quand ils sont en fonction ou en campagne électorale et les négociations s'engagent dès lors en amont concernant le timing, le stylisme et le lieu exact de la prise de vue. Du coup, le repérage s'impose.
Je recherche moins un moment d'abandon qu'aller le plus loin possible dans la représentation d'un individu, ses traits psychiques marquants, les désirs qui le motivent ou ses sentiments d'échec à un moment donné. Je m'intéresse moins à l'abandon qu'à la tension extrême que provoque la recherche, les remous ou la conquête du pouvoir.
Cette performance (le portrait) est difficile et passionnante et on peut essayer de faire "tomber le masque", mais le masque lui-même est un sujet d'étude.
Eva Joly, 2011 © Tina Merandon
Quelles sont parmi vos photos celles qui sont le plus publiées et pourquoi : qu'est-ce qui du point de vue des médias fait une "bonne" photo politique ?
S.C. : Je dirai que c'est celle qui porte un regard fort sur l'actualité : l'important est d'avoir un point de vue. Ce point de vue est profondément humain, il fluctue : pendant la primaire socialiste, les autres journalistes m'appelaient "la Pravda" en me voyant suivre Hollande pour Libération. Aujourd'hui même, j'entends que je l'ai assassiné avec ma photo de lui dans le train (voir ci-dessous)...
Jean-Claude Coutausse : Parfois, les regards entre la rédaction et le photographe divergent : nous ne somment pas au même endroit, il y a donc des échanges, et on attend aussi des éditeurs une vraie culture photographique. C'est une relation de confiance.
T.M. : mon portrait de Laurence Parisot est de ce genre, mais j'avoue que le best-seller en matière de photo reste un mystère pour moi, en tout cas les composantes qui en font un best-seller.
© Sebastien Calvet
Quelles sont les particularités d'une campagne présidentielle, quelle influence a-t-elle sur vos conditions de travail ?
S.C. : Une campagne est plus rapide, il y a plus de monde. Sur cette campagne, de mon point de vue, il y a beaucoup plus de médias : du fait des médias Web, des grandes chaînes qui ont multiplié les équipes, et des chaînes d'info en continu. Je dirai qu'il y a un tiers de média de plus que pour la dernière présidentielle, par exemple.
C'est donc plus compliqué pour nous de travailler, et c'est aussi un argument utilisé par les communicants politiques pour avoir recours aux pools restreints. A nous de réussir à trouver des espaces de travail plus libres.
J.C.C. : Pendant une campagne, l'objectif est de raconter un personnage en campagne. On cherche à se diversifier, à raconter les choses différemment.
Cette campagne, comme toutes les autres, est le reflet de l'évolution de la société et des médias. De nouvelles chaînes apparaissent c'est vrai, mais sur les évènements nous étions avant accompagnés par les photographes de Gamma, Sygma, Sipa, les quotidiens comme France-Soir... Les médias sont de plus très concentrés autour de François Hollande et du Parti Socialiste, mais laissent un peu de côté Bayrou et Sarkozy.
T.M. : Une intensité incroyable, une tension extrême, un échiquier évolutif et explosif pris en sandwich entre sondages et opportunisme : c'est ce qui fait, de mon point de vue, la spécificité d'une campagne.
Face aux politiques, quelle place laisser à ses convictions personnelles ?
J.C.C. : J'ai fait le deuil de l'objectivité il y a bien longtemps : j'assume mon regard de journaliste, donc d'être humain, mon point de vue. Bien sûr, il y a des variables ; notre forme personnelle - une campagne, c'est fatiguant - et la sympathie qu'on peut avoir pour les candidats que l'on suit.
T.M. : Ma conviction personnelle est le devoir de représenter, de raconter quelqu'un avec mon écriture propre, tout en n'instrumentalisant pas le sujet.
Nicolas Sarkozy dans la Marne, 15 mars 2012 © Jean-Claude Coutausse
Refuseriez-vous par exemple de photographier une personnalité politique ?
T.M. : Non.
S.C. : Je ne refuserai jamais de faire le portrait d'une personnalité politique : l'objectif est de garder la même distance avec tous.
J.C.C. : Je n'ai pas d'interdits : il faut tout photographier, on choisit ou non de publier ensuite. Au moment où le FN montait dans les années 1980, la question se posait à Libération de suivre ou non Jean-Marie Le Pen. J'étais l'un des partisans du "tout suivre".
Au contraire, avez-vous un rapport de proximité avec certains politiques, comme certains journalistes, y compris en dehors du travail ?
S.C. : D'une certaine manière, nous vivons avec eux, donc avec une grande proximité pendant un moment. Comme le disait Beuve-Mery, l'idée est d'entretenir à la fois "le contact et la distance", c'est ce qui nourrit le journalisme.
J.C.C. : Ce ne sont pas mes amis ; il y a un lien de distance avec eux. De toutes façons, pendant la campagne, il n'y a pas de véritables amis. Ce sont de grands séducteurs, et ils sont en conquête. Par rapport à nos confrère de l'écrit, nous sommes avantagés ; en tant que preneurs d'images il est plus facile pour nous de maintenir la distance.
T.M. : Non, cela me laisse plus de liberté, mais moins de marge de manoeuvre ; je reste une étrangère.
Henri Guaino, 2011 © Tina Merandon
Quelle est la place de la "pose", les politiques sont-ils attentifs à la façon dont il vont rendre en photo ?
J.C.C. : La prise de conscience par les politiques de leur image est une nouveauté. La génération précédente était moins attentive à cela et plus à l'écoute de leurs conseillers. Mais au cent-vingt cinquième de seconde, on récupère ce que l'on veut. Pour moi, les choses fonctionnent dans cet ordre ; se forger un point de vue sur l'évènement et la personne d'abord, faire parler les images ensuite.
T.M. : Malgré leur grande habitude des médias, les politiques appréhendent toujours le moment du portrait, ce face-à-face - avec eux même ?. Ils ont souvent peur et sont inquiets. L'acte photographique est violent et intrusif. C'est pour cela que je les "chouchoute" et je suis en empathie avec eux à ce moment-là. Bien sûr, ils font des efforts désespérés pour maîtriser leur image.
Le sujet du concours de l'ENS de photographie d'Arles cette année est "photographier la politique", qu'en pensez-vous ? Les personnalités politiques sont-elles un sujet facile ?
J.C.C. : C'est un beau sujet, et c'est une gageure. Le défi est de faire exister les images au royaume du verbe et du discours qu'est la politique, et de les faire participer au débat démocratique.
T.M. : C'est un très beau sujet qui intègre beaucoup de paramètres (engagement personnel, esthétique, sociétal, philosophique). C'est un sujet facile et difficile : facile car les politiques sont de grands acteurs, des affectifs, des communicants donc souvent de "bons clients", comme disent les journalistes.
Difficile car il y a aujourd'hui une surcouverture médiatique, donc une banalisation des prises de vues au détriment de la qualité, et les politiques cultivent une relation amour-haine avec les médias. Difficile aussi car ils ont peu de temps pour une prise de vue et il en faut pour un beau portrait, qui demande de créer un lien, une confiance, une connivence : le moment de la prise de vue est toujours un moment exceptionnel.
L'incident, 2 février 2011 © Sebastien Calvet
La politique est un sujet sur lequel on attend des explications : est-ce que c'est ce que la photographie apporte ?
J.C.C. : En tous cas, elle n'est pas là pour illustrer, mais pour raconter une autre histoire que le texte.
T.M. : On veut des explications sur tout, mais la politique c'est des idées mais aussi beaucoup d'affect. La politique a une odeur de pouvoir, de sexe et d'argent, aujourd'hui dans une situation de crise exceptionnelle. Le portrait photographique est à lire entre les lignes, en filigrane. Elle a aussi valeur de témoignage, de documentaire.
Avez-vous des influences en tête, des sujets ou l'oeuvre de certains photographes qui auraient couvert une campagne politique ?
S.C. : Je pense à la campagne de Kennedy couverte par Cornell Capa, à Christopher Morris qui a suivi Bush et Obama, et en France, à Depardon sur Giscard dans les années soixante, puis les reportages de Libération dans les années 80 et 90, avec des photographes comme Jean-François Campos...
J.C.C. : Depardon pour Le Monde en 1988, à cette époque je suivais la campagne pour Libération - il n'avait pas fait beaucoup d'images, juste un portrait de chaque candidat, mais ces images avaient une telle force.. Je regarde aussi ce que fait Guillaume Binet pour les Inrocks.. Il y a une sorte d'émulation amicale entre confrères, une estime aussi, qui se construit à la hauteur du travail de chacun. En déplacement, l'ambiance est conviviale. On est souvent collés les uns aux autres, mais on se respecte profondément, et même si on ne tisse pas de liens profonds avec les candidats, on sait qu'il nous identifient - à sa mort, Hollande avait par exemple souligné que Rémi Ochlik l'avait suivi en déplacement.
T.M. : La mort de Marat de David, Une partie de campagne de Raymond Depardon, Paris à tout prix de Yves Jeuland, font partie de mes influences.
François Hollande au Cirque d'Hiver à Paris, 18 mars 2012 © Jean-Claude Coutausse
Propos recueilis par Antoine Soubrier.
Mercredi 21 mars 2012.
Vignette : Paris, le 13 octobre 2011 Campagne de l'entre deux tours de la primaire citoyenne. Meeting de François Hollande au bataclan © Sebastien Calvet