Mamika.
Comment parler de ce projet sans commencer par vous raconter ce personnage merveilleux qu’est Frederika le sujet de cette série. Frederika a 89 ans, elle est née à Budapest 20 ans avant la guerre. Juive d’Europe centrale, baronne, elle est issue d’une famille très riche et respectée. Pendant la guerre au péril de sa vie, elle a sauvé dix personnes. Frederika a survécu au Nazisme, ainsi qu’au communisme. Elle a immigré en France après la guerre, sa famille sous le bras, contrainte par le régime communiste à quitter son pays clandestinement sous peine de mort.
Outre une grande force de caractère, c’est l’humour qui caractérise ce personnage. Un humour qui défie le malheur et le temps. Frederika est drôle, cynique, toutes les occasions sont bonnes pour placer un bon mot, elle se moque aussi bien des gens qu’elle aime, que d’elle-même.
Mamika, en Hongrois, signifie ma petite mamie, c’est un terme affectueux et tendre, tout comme le personnage de ce sujet.
Cette série, c’est d’abord une grande histoire d’amour entre une grand-mère un peu comédienne et son petit-fils photographe. Plus d’un an a été nécessaire pour effectuer cette série qui s’enrichit toujours semaine après semaine.
Mamika traite de nombreux sujets de société de plus en plus actuels. La vieillesse, la solitude, la sénilité, l’humour, le décalage, l’amour et surtout l’espoir.
Pour moi, la première valeur de ces images est d’avoir rendu au modèle (ma grand-mère) une utilité, une fierté et surtout la joie de vivre qu’elle avait perdue depuis quelques années.
Après avoir travaillé jusqu’à l’âge de 80 ans, Frederika est sortie de la lumière pour se retrouver à la retraite face à elle-même et a une solitude imposée par le retrait de la vie active.
En Décembre 2006 alors que ma grand-mère était en dépression, j’ai décidé avec son accord de faire une série de photo d’elle où elle présenterait sur un site à venir mes livres ainsi que quelques produits dérivés de ces livres. Qui mieux qu’elle, qui m’était si proche, pouvait présenter mon travail.
Il faut avouer qu’au premier abord, ma grande mère n’était pas très enthousiaste, elle a surtout posé pour me faire plaisir et passer un peu de temps avec moi. Les premières photos n’étaient pas très bonnes, elle se sentait obligée de sourire, mal à l’aise, un peu ailleurs. Après quelques jours ensemble, l’humour, son humour, le nôtre, celui qu’elle m’a transmis et qui nous rapproche tant, a pris le dessus. Elle s’est mise à jouer, à poser à notre grand plaisir.
Le matin suivant, je me suis levé une idée en tête. Ma grand-mère ne devait pas se contenter de présenter mes créations, je devais la mettre en scène, exploiter ces talents de comédiennes. Nous sommes allé dans son bureau, elle a enfilé un de mes tee-shirts, puis s’est assise, je suis allé chercher une bombe de laque pour les cheveux. « Peux-tu téléphoner avec cette bombe ? » lui ai-je demandé. « Bien surrrr ! » a-t’elle répondu avec cet accent si mignon qui la caractérise. Elle a pris la bombe, l’a collée sur son oreille, et tout naturellement s’est mise à parler : « Allo Margitte, c’est Frederika à l’aparrrreil, bonjourrrr ». J’avais en face de moi exactement l’image que j’avais imaginée pendant la nuit. J’ai commencé à shooter. « Je pourrais peut-être faire quelque chose avec tes lunettes de moto », a-t’elle proposé. Elle a enfilé mon casque, je l’ai placée devant mon objectif, elle a mis sur sa poitrine une de mes petites boîtes en forme de cœur avec inscrit « tu es ici », puis elle a pris une pose que je n’attendais pas. « Ne bouge pas ». « Je savais que cela te plairait » m’a-t’elle dis en souriant.
La série était née. Nous n’avons pas cessé de faire des photos depuis. Il s’avère que ma grand-mère, au fil des photos, est devenue une vraie professionnelle qui joue, se laisse diriger, mais qui propose aussi des expressions.
Au vu du succès inattendu de cette série exposée sur ma page « myspace », j’ai décidé de créer une page à ma grand-mère avec ses photos, son histoire, ses amis. Ma grand-mère a aujourd’hui plus de 2000 amis, elle répond régulièrement à leurs messages sur son mac. C’est incroyable le nombre de mails qu’elle a pu recevoir. « Vous êtes la grand-mère que j’ai rêvée d’avoir, voulez-vous m’adopter ? », « Vous avez illuminé ma journée », « J’espère être comme vous à votre âge », peut-on lire sur sa page.
Au départ elle ne comprenait pas pourquoi tous ces gens lui écrivaient, la félicitaient. Puis petit à petit, elle a pris conscience qu’elle véhiculait un message d’espoir, de la joie à travers toutes ces photos où elle posait avec enthousiasme.
Le décalage et l’humour sont le fil conducteur de toute cette série. Il faut pouvoir s’amuser de tout, même de soi. J’ai essayé de montrer qu’on pouvait encore s’amuser de la vie à 90 ans.
Dans une société où la jeunesse est la valeur suprême, où il faut cacher ses rides, où nous cachons nos vieux dès qu’ils deviennent encombrants, où il est plus facile de mettre nos anciens dans des mouroirs que de s’en occuper faute de temps et d’envie. J’ai voulu montrer que la vieillesse pouvait aussi être joyeuse, même si, dans certaines images, on ne sait parfois pas si on se trouve dans l’humour ou dans la sénilité. La ligne est parfois très fine.
« Cela fait longtemps que nous n’avons pas fait de photos », me dit régulièrement ma petite mamie, « Tu n’as pas de nouvelles idées ? ». Depuis, elle va bien mieux, elle est sortie de sa dépression, peut-être parce qu’elle sert à quelque chose, et que ses amis virtuels lui rappellent quotidiennement qu’elle est toujours en vie.