MINEROS
"Je suis la riche Potosi, le trésor du monde, la reine des montagnes et la convoitise des rois" - Devise de la ville.
"En 1573, 28 ans seulement après que la ville ait surgit des hauts déserts andins, elle avait déjà la même population que Londres, et plus d'habitants que Séville, Madrid, Rome ou Paris. C'était une des villes les plus grandes et les plus riches du monde" (...) "Aux XVI e et XVIIe siècles, la riche colline de Potosi fut le centre de la vie coloniale américaine. Et en trois siècles elle avait anéanti huit millions de vies humaines" - Eduardo Galeano in Les Veines ouvertes de l'Amérique latine.
Lorsque je suis arrivé pour la première fois à Potosi, Bolivie, j’ai été choqué de ne pas en connaître l’histoire, pourtant tellement liée à la notre, en Europe. Potosi et sa montagne d’argent qui a rempli pendant des siècles les caisses des Etats européens, mais qui a anéanti aussi. Celle qui fut la plus grande mine d’argent du monde a englouti des millions d’hommes, femmes et enfants entre les éboulements, la silicose et l’exploitation impitoyable des Indiens Quechua, Aymara et des esclaves noirs qui extrayaient le précieux minerai dans des conditions effroyables, à près de 4500 mètres d’altitude. Outre les travaux forcés, ces derniers subirent le rude climat de ce pays accrochée à la Cordillère Orientale des Andes. Devant l’hécatombe, les colons espagnols les envoyèrent au nord de la Bolivie, dans les Yungas, région humide et chaude aux collines verdoyantes, pour y cultiver la coca, si utile à ceux restés sur place. Mieux acclimatés, les Indigènes furent réquisitionnés pour l’oeuvre destructrice des Conquistadores. Les mineurs connaissent tous cette histoire, celles de leurs pères, de leurs ancêtres. Ils la portent en eux, cette tragédie qui les rend fiers et déterminés.
Aujourd’hui, les filons sont beaucoup moins prolifiques que jadis, mais les mineurs entrent toujours au péril de leurs vies dans les centaines de bouches qui transpercent le Cerro rico, la “montagne qui dévore les hommes”, pour une poignée de bolivianos par semaine. Ils s’en remettent à chaque descente aux dieux protecteurs qu’ils honorent aussi lors des cérémonies sacrificielles très suivies, mais aussi à la coca, la petite feuille verte que l’on mastique pour tenir. Sans parler de l’alcool “puro”, 96°, qui fait des ravages. C’est que les forçats du sous-sol doivent affronter des conditions extrêmes. La température notamment, qui peut passer de 45 degrés dans les niveaux les plus bas à 5 degrés lorsqu’on se rapproche du sommet du Cerro Rico. Le travail en lui-même effectué le plus souvent à l’aide d’outils rudimentaires. “Nos mains restent notre force principale“, explique José Mamani, manoeuvre de 28 ans.
Il ne s’agit pas dans cette série de montrer leurs conditions de travail, dignes d’un autre âge, (ceci a fait l’objet d’une autre série de ma part, en 24x36 Noir et Blanc), mais de montrer les hommes, jeunes et moins jeunes qui se relayent dans les boyaux qui crèvent le Cerro. En m’attachant à certaines individualités qui composent cette famille des Mineros, Miguel, Eduardo, Donato, Brindis et tous les autres, c’est une sorte d’hommage que je propose.
Pour tous ces hommes, la plupart du temps esclaves, morts dans les siècles passés pour la grandeur des pays européens. Car cette ville fit la fortune de l’Europe. Pendant plusieurs décennies, la monnaie d’Espagne, alors rattachée au royaume de Charles-Quint, était directement frappée à Potosi, ville impériale, pour financer les guerres qui ont ravagé le Vieux Continent, aux XVIe et XVIIe siècles. Et sur place, on prétend que les fers des chevaux des carrosses étaient en argent. A côté de l’opulence, la misère des mineurs.
Pour eux, qui aujourd’hui s’y épuisent et se tuent à la tâche dans l’espoir que le Tio, sorte de diable protecteur antithèse de la Patchamama, la Terre mère, leur apporte la richesse. En se gavant de feuilles de coca et d’alcool pour tenir et pouvoir travailler le plus possible.
Pour ces hommes qui pendant leurs courtes vies inhalent les poussières mortelles, et l’arsenic qui transpirent des parois, pour quelques poignées de zinc ou d’argent pour les plus chanceux. Minerais qui seront revendus non raffinés, pour presque rien, aux compagnies occidentales qui le transformeront et le commercialiseront. La boucle est bouclée, et Potosi, toujours spoliée.
Cette série de photographies a été réalisée in situ entre 2005 et 2007 dans les mines Negra, Robertito Compotosi, Candelaria et San Miguel à Potosi, en 6x6, à la seule lumière de la lampe frontale, électrique ou à acétylène.