© Elina Kostabi - Thinning out the clouds
Racontez-nous votre rapport à la photographie.
J'étais dans le bain très jeune. Mon père était un photographe amateur et il m'a offert un appareil à 7 ans. Mais je n'aimais pas vraiment ça. Ce qui m'intéressait en revanche, c'était surtout le développement : j'adorais me retrouver dans la chambre noire et voir des images prendre vie sur le papier. A l'époque, le numérique n'existait pas, on ne pouvait pas voir la photo avant qu'on la développe. Il m'arrivait même parfois d'être moi-même surprise par ce que j'avais photographié, tellement le temps entre la prise et le développement était grand. C'est cette fascination pour cette apparition incroyable, pour tout le processus de développement, qui m'a poussée à faire des études de chimie. Mais je ne me considérais pas comme une bonne photographe.
Pourtant la photographie est devenue votre profession...
Oui. En 2001, j'ai commencé à me prendre en photo avec mon second enfant. Je voulais à tout prix capturer les moments de son enfance, car je regrettais ne pas l'avoir fait pour mon premier. Et rapidement j'ai pris goût à constituer des petites séries qui racontaient une histoire dont il était le sujet, qui documentaient la courte période de l'enfance. Il a été mon véritable premier sujet.
Désormais je n'envisage la photographie que comme un http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html", une série de plusieurs images. Seuls les gens m'intéressent. Je veux que mes photos aient une âme, que l'instant capturé rende vivante l'image, qu'on comprenne l'émotion qui s'y cache.
Votre dernière exposition, « Thinning out the clouds », est une série sur une famille de nomades, Sydney, Herman, et leurs trois enfants. Qu'est-ce qui vous a intéressé dans leur histoire ? Que vouliez-vous documenter ?
Je voulais trouver des styles de vie alternatifs à un monde qui change sans cesse et où on consomme énormément. Je voulais trouver des gens qui voyaient la vie sur Terre différemment, et qui seraient la preuve que l'on peut vivre aux marges de la société mainstream* . J'ai fait beaucoup de recherches, et je me suis aperçu qu'il y avait beaucoup de jeunes gens qui essayaient de vivre différemment du modèle classique. Et puis j'ai rencontré Sydney et Herman, qui étaient des exemples parfaits.
© Elina Kostabi - Thinning out the clouds
Comment les avez-vous rencontrés ? N'est-ce pas trop compliqué de trouver des gens qui acceptent d'être observés ?
Ce sont des amis d'amis qui m'ont parlé de Sydney et Herman. Leur histoire m'a tout de suite intriguée. J'ai donc essayé de rentrer en contact avec eux. Au début, ils n'étaient pas très enthousiastes à l'idée que je les prenne en photo. Mais on a quand même fait un premier essai, je leur ai montré les photos, et ils ont vraiment aimé, aussi bien les clichés que l'histoire que je racontais avec. Et finalement ils ont accepté. L'idée d'avoir une trace, un récit sur leur famille les a définitivement convaincus.
Sydney et Herman prônent le http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html" et le respect de l'http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html"t. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
D'abord, ils essaient d'être extrêmement lucides et conscients de leur choix. Par exemple, ils sont végétariens. Non pas qu'ils s'interdisent de manger de la viande, mais ils veulent que cela soit un choix réfléchi : est-ce vraiment nécessaire à leur alimentation ? Est-ce bon pour leur santé ? Quelles conséquences sur l'environnement ? Ils sont aussi consciencieux dans leurs achats ; ils essayent de ne dépenser que lorsqu'ils en ont vraiment besoin en partie pour limiter leur empreinte sur l'environnement. Ca s'applique aux habits, mais aussi aux jouets. Ils éduquent leurs enfants à être curieux, à trouver par eux-mêmes des jeux dans la nature, qui requièrent de l'imagination, où qu'ils fabriquent eux-mêmes. Les enfants ne sont pas autorisés à regarder la télé ou à jouer à des jeux vidéos. Ils pensent que les livres et la musique apprennent bien d'avantage.
Et en ce qui concerne la vie http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html", qu'en est-il ?
Maintenant que Sydney et Herman ont trois enfants en bas âges ils voyagent moins, mais ils ont encore un mode de vie très nomade, en tout cas par rapport à moi ! (rire)
Les enfants ne vont pas à l'école, ce sont les parents qui font l'école à la maison. Quant à Herman il est web designer et travaille à domicile. C'est grâce à la technologie d'aujourd'hui qu'ils sont capables de vivre ainsi : Herman reste en contact avec ses clients et ils reçoivent le nécessaire scolaire grâce à Internet.
Ils n'ont pas besoin de « chez-eux », ils n'ont pas besoin de murs qui les entourent et qui leur appartiennent. Pour eux le plus important c'est la famille, c'est de rester ensemble tous les cinq.
© Elina Kostabi - Thinning out the clouds
Avez-vous dû les suivre pendant tous leurs déplacements ?
Lorsque je les ai rencontrés, ils vivaient dans une maison dans un petit village de Saaremaa, une île en http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html". Mais ils l'ont vendue, la considérant comme un fardeau, un bien dont ils n'avaient pas fondamentalement besoin. Je les ai suivis dans plusieurs maisons après leur déménagement, et puis dans un second temps je suis allée les voir dans une maison à http://fr.actuphoto.com/37528-exposition-thinning-out-the-clouds-d-elina-kostabi.html" qu'ils louent. Je n'ai pas vécu à proprement parlé avec eux, j'arrivais très tôt le matin quand ils se levaient et je partais quand les enfants allaient se coucher. Je passais des séjours de quelques jours avec eux, et j'ai dû faire plusieurs allers-retours, entre Paris, l'Estonie, l'Inde... J'ai encore très envie de les prendre en photo et de les retrouver à Bali. Ils pensent à partir mais n'ont rien prévu encore. Il a fallu que mes disponibilités soient très flexibles.
Le projet a débuté le 31 décembre 2015 et la dernière photo a été prise en janvier 2017. Vous avez dû prendre une quantité faramineuse de photos. Comment avez-vous sélectionné les photos qui sont exposées à la galerie Spéos ?
Déjà je n'ai gardé que les photos de la famille seule, en excluant celles où ils interagissent avec le monde extérieur. Ensuite j'ai divisé ma sélection en deux. La première partie illustre les liens qu'ils entretiennent, l'idée est de montrer à quel point ils sont proches. La deuxième partie vient plus documenter la vie de nomade. J'ai choisi ces images pour l'exposition mais je choisirai sans doute d'autres photos plus tard. Rien n'est fixé. Je considère de toute façon que l'histoire n'est pas finie. En tout cas, j'y retournerai pour mes propres recherches.
Que cherchez-vous à montrer au spectateur ? Vos séries sont-elles de simples témoignages ou un plaidoyer pour cette vie ?
Je veux avant tout être neutre. Le but est simplement de montrer comment vit cette famille. Je leur demande d'être naturels. Dès que je vois que les enfants commencent à jouer la comédie, j'arrête de prendre des photos. J'essaie de montrer une image honnête de leur quotidien. C'est au visiteur de l'exposition de décider si ce mode de vie lui convient ou non. Mais pour moi l'objectif, c'est de rendre visibles ces alternatives, et prouver que c'est possible de vivre ainsi. Maintenant que j'ai presque cohabité avec eux pendant la moitié d'une année, j'ai une idée précise de ce qu'ils vivent. Attention, je ne dis pas que c'est un choix de vie facile. C'est très dur d'élever des enfants et de voyager à travers le monde, sans aide extérieure, sans famille proche. Mais ils sont toujours tous ensemble, et c'est comme ça qu'ils y arrivent. J'ai été témoin du succès de leur mode de vie.
© Elina Kostabi - Thinning out the clouds
Une vie alternative : beaucoup en rêvent, quelques-uns se lancent, et c'est le sujet de beaucoup de fictions (comme par exemple le film Captain Fantastic de Matt Ross). Selon vous, comment expliquer cet engouement et cette fascination pour ces modes de vies alternatifs ?
De tout temps à jamais, les hommes ont été curieux de nouvelles expériences. Mais aujourd'hui, nous sommes face au constat indéniable que l'augmentation de la population provoque nombre de problèmes. Nous ne pouvons pas continuer à consommer toujours plus. Les gens sont conscients qu’il faut que l'on change nos façons de faire. Ainsi notre curiosité d'alternatives est d'autant plus grande. Beaucoup essaient et abandonnent. Mais l'exemple de Sydney et Herman montre bien qu'on peut vivre durablement et autrement.
* mainstream : littéralement "courant principal", qui reste conforme aux opinions et aux standards dominants.
© Elina Kostabi - Thinning out the clouds