© Cédric Klapisch
Pouvez-vous nous présenter l’exposition « Nature humaine » ?
C'est la deuxième exposition que je réalise à la galerie Cinéma. La première, « Paris-New-York », était, comme celle-ci, issue des photos de repérages pour tourner le film Casse-tête chinois (2013). J’essayais de voir comment ces deux villes se regardent et/ou s’opposent. Bien que je ne me considère pas comme photographe, prendre des photos est vraiment indispensable et important pour la fabrication de mes films. Quand je prépare une exposition comme celle-ci, j’essaie de ne pas être sur le même terrain que les longs-métrages. Les photos de repérages que je choisis ne sont pas juste des préparations d’une scène... Pour « Nature humaine », il s’agit d’une réflexion sur les paysages de Bourgogne qui permet de voir comment la nature est complétement façonnée, fabriquée, dessinée par l’homme. Le titre de l’exposition vient de l’idée que la nature est inventée et fabriquée par l’homme depuis des millénaires…
Quels sont les photographes que vous aimez ?
Raymond Depardon est quelqu’un de très important pour moi, tout comme beaucoup de photographes français classiques : Cartier-Bresson, Doisneau, Willy Ronis… J’aime l’histoire de la photographie dans sa diversité avec les artistes qui sont passés par la France, comme William Klein, avec ce qu’a été Magnum, ce mouvement photographique qui part de la photo de reportage ou de rue et qui en fait un art. Je suis vraiment influencé par cela. Dernièrement les coloristes m’ont particulièrement impressionné. J’aime notamment le travail de Depardon en couleurs, mais aussi celui d'Harry Gruyaert et d'Alex Webb. Ces photographes ont tous une vision de la réalité qui leur permet de sortir quelque chose qui est soit un instant, soit une façon de voir. Ils offrent des regards. Moi je suis nourri par ces inspirations. J’ai toujours aimé la photographie, mais je ne me considère pas comme un photographe à la hauteur de ceux que j’adore.
© Cédric Klapisch
Dans les photos exposées, il y a toujours une trace de l’altération de la nature par l’homme…
D’habitude, je ne prends que des photos d’individus et quand j’ai fait la sélection de cette exposition, j’étais troublé de voir que les photos que je choisissais étaient sans aucun personnage ou avec juste des personnes de dos, au loin, des ombres… J’ai été le premier surpris. Finalement, c’est ce qui rendait cette exposition intéressante : faire disparaitre l’individu tout en le faisant apparaitre d’une autre façon. L’homme n’est pas visible par sa présence mais par son travail.
Il me semble avoir lu quelque part que vous pensiez que la nature était harmonieuse, mais n’est-ce pas plutôt l’homme qui a défini l’harmonie à partir de ce que propose justement la nature ?
En fait un chef opérateur américain m’a dit une fois qu’il adorait filmer la nature car il trouvait cela incroyable qu’on y trouve toutes ces http://fr.actuphoto.com/hashtag/couleur">couleurs.. Quand on fait de la peinture, il est difficile d’agencer les couleurs entre elles et lui me disait en anglais « Colors of nature are never wrong » : les couleurs de la nature ne sont jamais fausses. C’est vrai ! On le voit notamment en automne, il y a du bleu, du violet, du jaune, du rouge... Ce n’est jamais "perroquet", jamais criard et c’est assez troublant. On se demande pourquoi c’est joli et pourquoi il est si difficile de faire une peinture avec des couleurs qui s’accordent entre elles. Il s’agit d’une vraie question : est-ce l’homme qui fabrique l’idée de l’harmonie ou est-ce la nature elle-même qui est harmonieuse ? Et nous essaierions péniblement de l’imiter…
Je me suis rendu compte que j’ai toujours filmé dans des villes, là c’est la première fois que je me pose la question de la manière de photographier la nature. C’est compliqué de ne pas tomber dans la carte postale, dans l’imagerie de la SNCF ou des offices de tourisme. C’est très difficile de sortir de la notion de « jolis paysages ». Je voulais peut-être assumer cette part de carte postale, avec cette nature banale, et en même temps, par le choix du cadrage ou du sujet de la photographie, donner du sens.
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Photographier ou filmer la ville ce n’est pas du tout la même chose que de photographier ou filmer la nature. L’espace ne s’organise évidemment pas de la même manière, même si la nature a sa propre construction. N’était-ce pas trop difficile de passer d’une approche urbaniste à une approche paysagiste ?
Beaucoup de gens opposent l’homme et la nature. En http://fr.actuphoto.com/hashtag/couleur">couleurs., nous avons ce côté rousseauiste où l’homme est forcément méchant pour la nature ! Quand on voit un paysage de Bourgogne, on peut se dire que c’est terrible d’avoir aligné les plantes ainsi, mais en fait, on peut aussi y trouver une forme d’harmonie. On rejoint l’idée du jardin à la française ; quand on va à Versailles, on peut se demander s’il s’agit de nature ou du jardin d’un fou qui voudrait que tout soit rangé. La nature en elle-même n’est pas rangée, elle est chaotique, anarchique et il est vrai que l’homme français aime bien y remettre de l’ordre. Quand on va dans une vigne, il y a cette notion d’ordre. Mais quand on voit le travail de l’homme sur la nature, il n’y a pas qu’un combat ou une colonisation, il peut y avoir aussi des réussites. Pour moi, si le vin est un produit à ce point magique, c’est parce qu’il personnifie le vrai mariage de l’homme et de la nature avec une harmonie complexe.
Les villes ont en elles-mêmes une part de nature puisqu’elles sont construites par l’homme qui est un être vivant naturel…
Absolument. On parle aujourd’hui d’immeubles végétalisés, on parle de fermes urbaines et il y aura sûrement de grandes expériences un peu partout pour fabriquer des potagers ou des terres maraîchères en étage. On risque d’assister à cela dans les dix ou trente ans qui viennent… C’est un chemin naturel : les villes se sont trop séparées des campagnes et il y a le problème de la délocalisation des produits, etc. Je pense qu’on va réintégrer plus de nature dans les villes d’une façon extrêmement industrielle et architecturale. Là aussi finalement, la question de la nature va se poser : un champ de tomates dans une serre et dans un immeuble est-il encore un champ de tomates ? Ce sont vraiment des questions qui appartiennent à notre modernité.
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Oui. Il y a cette photo qui est importante où un moniteur montre en vidéo une vigne, et autour on voit la vraie vigne. Entre les deux, on peut voir le décalage. Je mets cela en relation avec ce qu’on voit par les fenêtres : une fenêtre, c’est comme un cadrage. La photo qui s’intitule « Nature humaine » et qui donne son titre à l’exposition, représente une fenêtre qui ressemble à un tableau posé sur un mur. Je ne sais pas pourquoi l’être humain a besoin de tableau qui représente la nature, ou de papier peint avec des motifs floraux. Représenter la nature quand on est à l’intérieur donne la sensation d’être à l’extérieur. Il y a un besoin humain d’avoir un rapport avec la nature, vous portez vous-même une chemise à fleurs !
L’une de vos photos s’intitule « Le cinéma », pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Elle représente un travelling au milieu d’une vigne. C’est le côté sans-gêne du http://fr.actuphoto.com/hashtag/couleur">couleurs. : on s’installe dans la nature. Quand on fait un film, on se pose dans un endroit qui existe déjà. C’est troublant, mais il y a un côté colon, comme lorsque les gens ont découvert l’Amérique… Le cinéma c’est ça aussi, pour parler de la vie –parce qu’au fond on a envie de parler de la vie – on passe par un espèce de laboratoire qui fait qu’on doit forcément déformer la vie pour qu’elle y ressemble.
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Je m’éloigne de l’exposition pour vous interroger sur votre pratique quotidienne de la photographie et notamment sur votre compte http://fr.actuphoto.com/hashtag/couleur">couleurs. public. Est-ce pour vous une continuation logique de votre passion pour la photographie ?
J’ai commencé Instagram en faisant Casse-tête Chinois. On m’a dit que ça serait bien que je mette des photos en tournant le film et du coup j’ai démarré en postant une photo par jour. J’ai bien aimé le côté "carte postale" : je n’en utilise plus quand je vais en vacances, mais au fond Instagram à la même fonction. Ceux qui veulent regarder le peuvent, il y a un partage photographique. Je préfère cela à Facebook parce que je peux ou non mettre une légende selon si c’est une photo d’un lieu ou s’il s’agit juste d’un plaisir visuel. J’avais parlé de cela avec JR, qui est plus photographe que je ne le suis. Il vend des choses très chères dans des galeries mais poste aussi des photos sur Instagram. Il me disait qu’il ne faisait pas du tout la même chose pour l’un et pour l’autre puisque d’un côté il y a un geste quotidien et de l’autre un travail sur une œuvre qu’il juge plus éternelle. J’aime cette idée qu’on ne peut pas tout partager de la même manière. Par exemple je n’ai pas posté de photos depuis très longtemps, parce qu’il y a des moments où je n’ai rien à montrer. Je partage des photos parce que je me dis qu’il y a une lumière, un lieu ou des gens intéressants. Je n’ai aucune obligation et je ne montre pas, comme certains, mon assiette ou mon chien, ce que je trouve un peu ridicule. Mais cela décrit notre époque où le rien devient un sujet.
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La distinction faite par JR et vous-même est intéressante car il y a d’un côté la photographie considérée comme une œuvre et d’un autre une photographie inscrite dans la banalité, comme celle qu’on partage sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas de conciliation entre les deux ?
Quand on fait une exposition, on prend des photos tous les jours avec un appareil photo ou un smartphone, mais celui qui se considère comme photographe c’est celui qui sélectionne les photos et qui choisit de montrer un lot de photos comme un travail photographique. En mettant une photo sur Instagram, il n’y a pas d’œuvre, la notion de sélection est infime. C’est tout le décalage qu’il y a entre un croquis et un tableau. Un croquis peut être très beau, il y en a de Léonard de Vinci qui sont presque des œuvres, mais un croquis reste un croquis tandis qu’un tableau est le résultat d’une réflexion et d’un travail. Cela ne veut pas dire que quelque chose de spontané ne peut pas être une œuvre ! Mais j’ai l’impression que sur Instagram il s’agit moins faire de la photo que de rendre au quotidien l’activité de la photographie.
Cela correspondrait-il plus à un travail de mémoire ?
Instagram peut très bien faire faillite dans trois ans et d’un coup toutes les photos postées n’existeraient plus. L’acte photographique est différent : on imprime une photo, on a des négatifs, aujourd’hui avec le numérique, on a des disques durs, il y a un travail de sélection… Le travail photographique ne se passe pratiquement plus au moment de la prise de vue, il se passe dans l’édition et dans l’utilisation que l’on en fait. Il y a eu un documentaire très intéressant sur la série Contacts de William Klein, sur le travail qu’il a fait sur ses planches. On voit pourquoi sur trente-six photos, il y en a trente-cinq qui sont presque formidables et puis il y a « la » photo. C’est ça la photographie.
Pour terminer, pourriez-vous nous parler du film Ce qui nous lie qui suivra cette exposition?
Il est différent de ce que présente cette exposition. Il est concentré sur le thème de la fratrie ou de la fraternité avec trois frères et sœurs qui à la mort de leurs parents doivent comprendre ce qui les lie encore. Chacun travaille dans le vin, mais de manière différente. Et il faut qu’ils puissent gérer ensemble l’héritage de la vigne. La question de fraternité s’est beaucoup posée après les attentats parce qu’il s’agit d’un truc français, « la fraternité ». On a ce mot-là sur tous nos bâtiments sans trop savoir ce qu’il signifie. Est-ce pareil d’être frères au sein d’une famille ou de l'être dans la société ? C’est cette question de savoir ce qui rassemble les gens entre eux. C’est aussi un film sur le vin car ce dernier rassemble les gens. On s’intéresse vraiment à l’identité française en se disant qu’il n’y a pas que le FN qui a le droit de parler de la France. Le drapeau français appartient à tout le monde. Fillon parle des cathédrales, nous on peut parler de la Révolution Française, les deux sont français sans pour autant décrire la même France…
L’exposition « Nature Humaine » est à la http://fr.actuphoto.com/hashtag/couleur">couleurs. jusqu’au 1er Avril.
Ce qui nous lie sortira le 14 Juin.