Ethnie Dao © Réhahn
Votre livre «http://fr.actuphoto.com/hashtag/Vietnam" » vous a permis d'être connu du grand public. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Les réseaux sociaux ont été essentiels dans le succès de ce premier livre et la suite de mon parcours. Je communiquais énormément avec des blogueurs. Dès janvier 2014, j’avais plus de 50,000 followers sur ma page Facebook sur laquelle je poste une photo quotidiennement. De fait quand j’ai annoncé la sortie de mon premier livre, il s’en est vendu 200 exemplaires en 15 jours seulement. J’ai rapidement compris la puissance des réseaux sociaux.
Finalement il s’est produit un effet boule de neige, la presse vietnamienne s’est intéressée à mon travail et rapidement la presse étrangère m’a aussi contacté.
Qu'est-ce qui fait qu'on se lance dans un tour du monde photographique ?
C’est par amour des gens, de la culture en général et des cultures que je me suis mis à voyager. Ma curiosité et ma fascination pour l’évolution des peuples - notamment ceux qui vivent en autarcie - , et de leur culture dans un monde globalisé sont de vraies motivations.
Je regarde la mondialisation avec inquiétude car je suis ici un témoin direct de la globalisation des cultures et de la disparition de traditions ancestrales. Je me suis donc donné pour mission, à travers la photographie, de montrer et de faire la promotion de cette diversité et de cette richesse culturelle en péril.
Vous avez visité plusieurs pays, mais vous vous êtes établi au Viêt Nam depuis 6 ans. Qu'est-ce qui dans ce pays vous retient ? Qu'est-ce qui le différencie des autres ?
Le Viêt Nam est un pays fascinant d’abord pour la résilience exceptionnelle des gens malgré un passé très complexe. Ici j’aime l’authenticité des habitants, la qualité de vie. Et le pays est un véritable studio à ciel ouvert.
Ethnie Dao Man © Réhahn
Ethnie Pa Then © Réhahn
Vous menez un projet sur les 54 ethnies existant au Viêt Nam. Pourquoi ce projet ?
La diversité me fascine, et je crois qu’il est du devoir du photographe de documenter et de préserver les cultures en voie de disparition.
A la suite d’un premier voyage dans le nord du pays, j’ai découvert une palette d’émotions et de relations des locaux de chaque ethnie envers leur culture, tantôt de la fierté, tantôt du désintérêt, voire parfois du rejet. Globalement le décalage entre l’attachement aux traditions des personnes âgées et la méconnaissance de la jeune génération est inquiétant. En quête d’un emploi, elle se voit contrainte ou part volontairement vers les villes, délaissant les coutumes, les dialectes, les costumes, oubliant les savoir-faire centenaires. Et ce déclin notable m’a inspiré à mettre en lumière ces “oubliés” de la globalisation.
Comment s'y prépare-t-on ? Vous êtes-vous entouré d'une équipe d'experts (historiens, ethnographes, etc.) ?
Je me suis entouré avant tout de livres, notamment les nombreux ouvrages publiés durant l’Indochine qui m’ont donné de nombreux renseignements. Mais la meilleure source d’information reste de discuter avec les chefs de village. C’est pour ça qu’il est important de collecter ces infos rapidement, car la jeune génération n’est pas toujours au fait de l’histoire de son groupe ethnique.
Le Viêt Nam est un pays très montagneux, voyager doit être un véritable périple, surtout si vous ne suivez pas les trajets touristiques et que vous allez à la rencontre d'ethnies minoritaires...
Effectivement, trouver les groupes ethniques qui habitent souvent dans des villages isolés à flanc de montagne est la plupart du temps très compliqué. Il faut parfois passer plusieurs jours à demander son chemin car certains villages sont déplacés ou parce qu'il n’existe simplement aucune information sur leur localisation précise. D’autres fois, j’ai dû abandonner ma moto, (le seul moyen que j’utilise pour chaque expédition) et finir à pied, à travers des rivières. J’ai plusieurs fois eu des accidents dont un très récemment au Laos, alors que j’allais à la rencontre des Brau, un groupe ethnique également présent au Viêt Nam. Cela fait partie des risques mais cela m’a aussi souvent démontré la gentillesse et le soutien des gens au Viêt Nam.
On dit de vous que vous arrivez à « capturer l'âme de vos modèles », pour cela vous prenez du temps avec eux pour mieux les connaître et les inclure dans le processus de création. Mais concrètement comment se passe cet échange ? La langue n'est-elle pas une barrière ?
Je parle anglais, espagnol et vietnamien donc ça m’aide beaucoup à rentrer en contact avec les gens. Et puis il y a le body langage et l’humour ! C’est important pour faire tomber les barrières culturelles, les idées reçues et la méfiance parfois. Consacrer du temps, apprendre à se connaître permet de créer une véritable complicité. Je retourne dès que je le peux rendre visite à certains de mes modèles, devenus des amis.
Quand je retourne voir ces personnes que j’ai photographiées, je leur apporte le livre dans lequel elles apparaissent et leur photo. C’est à chaque fois l’occasion d’une grande fête. C’est aussi la philosophie de mon projet « Giving Back », d’aider mes modèles comme je le peux, par le financement des études de plusieurs enfants, ou l’achat de choses qui faciliteront leur quotidien, comme un bateau pour Madame Xong, des vaches pour la famille de Kim Luan... Je crois que le photographe a une certaine responsabilité, celle de remercier ceux qui ont influencé son travail. J'espère pouvoir insuffler un véritable mouvement.
1er étage du Musée-Galerie Precious Heritage © Réhahn
Galerie du Musée-Galerie Precious Heritage © Réhahn
http://fr.actuphoto.com/hashtag/Vietnam", le Musée-Galerie Precious Heritage, à Hoi An, au centre du Viêt Nam. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
Le musée a ouvert à quelques pas du cœur d’Hoi An, dans une maison française du 19e siècle classée à l’Unesco, dans ce qui était l’ancien quartier français. C’est l’apogée de 6 années à sillonner le pays à la rencontre des 54 ethnies du Viêt Nam et c’est un espace en perpétuel développement. J’ai déjà rencontré 45 ethnies, il me reste 9 groupes que j’espère trouver cette année.
Sur 250m2, déjà plus de 200 photos, 35 costumes ethniques et artefacts sont visibles au musée. Et je l’étoffe régulièrement. Je viens par exemple de recevoir des mains du chef des Co Tu, une ethnie à 3 heures d’Hoi An, un costume exceptionnel et inédit vieux de plus de 100 ans fait en écorce d’arbre ! Le soutien des ethnies est essentiel, beaucoup de costumes présentés m’ont été offerts par les chefs de villages eux-mêmes pour avoir leur culture représentée dans le musée.
Chaque photo et costume est accompagné d’histoires et d’anecdotes de mes rencontres avec chaque groupe et j’ai souhaité les traduire en anglais, français et vietnamien. Petit à petit, elles seront traduites dans d’autres langues, car je veux donner accès à ce patrimoine au plus grand nombre, touristes comme locaux. Et c’est d’ailleurs pour ça que l’entrée est totalement gratuite.
Il y a par ailleurs une galerie consacrée à toutes mes photos du Viêt Nam au-delà de mon travail sur les ethnies et en particulier les photos qui ont marqué ma carrière. Il faut savoir que c’est un musée autofinancé à 100% par la vente de mes photos et de mes livres. Donc d’une certaine manière tous ces acheteurs ont participé à rendre ce musée et son développement quotidien possibles.
Prochainement nous aurons un café dans le jardin à l’arrière où les visiteurs pourront goûter le café cultivé par les ethnies et dès que j’aurais rencontré l’ensemble des groupes ethniques, je souhaite publier un livre d’art de cette collection. Et l’objectif est ensuite de développer une exposition internationale itinérante pour donner à voir au monde, la richesse culturelle au Viêt Nam.
Cette ouverture signe-t-elle votre emménagement définitif dans le pays ?
Tout à fait, d’ailleurs je viens de faire une demande de double nationalité. J’ai un amour profond pour ce pays et les Vietnamiens dont j’adore l’optimisme et l’humour. Le pays a su se relever malgré de nombreux conflits et la philosophie de vie des gens est inspirante. Je me sens intégré, je continue d’apprendre la langue et je suis maintenant membre d’honneur d’Hoi An où j’ai encore de nombreux autres projets à venir.