Shkodra © Guillaume HERBAUT
Il y a un peu de magie et de superstition dans cet ouvrage, à commencer par son titre qui utilise le chiffre 7 comme un grigri numérique. 7 histoires, 7 lieux, 7 jours pour créer le monde. Celui de la Bible, mais le sien aussi : « Pour moi ce sont ces 7 histoires qui m'ont forgé, c'est mon rapport au monde. (…) c'est une sorte d'autoportrait, de névroses, de peurs, ce sont les 7 lieux, enfin les 6 lieux, qui sont liés à mes angoisses, à mes peurs et à mes obsessions. » Les 6 lieux en question, les voici : Livry, Shkodra, Oświęcim, http://fr.actuphoto.com/hashtag/nagasaki", Urakami et Ciudad Juarez. 6 chapitres auxquels vient s'ajouter un dernier, sans titre, sans localisation, avec trois photographies seulement : un rideau encore, sans couleur cette fois-ci, un autoportrait nu et une boîte.
La part de mystère est entièrement assumée, tout dire ne sert à rien. Mais on devine que cette mise à nu vient mettre le photographe à égalité de celles et ceux qu'il a photographiés. « Je ne fais pas de cadeaux aux personnes que je photographie, confirme Herbaut. Même si j'espère qu'il y a de l'empathie. A un moment donné, il faut absolument me mettre au même niveau pour faire le lien entre elles et moi. » Touché. Et la boîte ? A malice, de Pandore, de nuit(s). Un peu tout ça, il l'avait quand il était adolescent, il y mettait tous ses secrets : « Et là c'est comme si je refermais la boîte et que je mettais toutes mes peurs à l'intérieur. »
Livry © Guillaume HERBAUT
Mais rouvrons-la un instant. Le temps de scruter les terreurs de l'adulte dans cet ouvrage unique, composé de séries photographiques prises entre 2002 et 2008. Dès le début, Guillaume Herbaut a déjà les six sujets en tête. Son travail durera sept ans, il en faudra sept de plus avant que l'ouvrage ne soit édité. Décidément, le chiffre semble le poursuivre. Lui parmi d'autres. Le livre entier regorge de données chiffrées inscrites à côté de ses images. On pense à l'une des premières photos de l'ouvrage qui montre sur une page un cadavre à la morgue de Shkodra tandis que sur l'autre un extrait de guide touristique donne le nombre d'habitants, la température, la pluviométrie, etc. Le contraste, pire la schizophrénie sont saisissants, et ce stratagème est utilisé constamment, avec l'efficacité terrible de la confrontation du chiffre et de la chair, morte ou vivante. « En fait, je me méfie énormément des mots, nous confie le photographe. Je suis dyslexique. Les mots me font peur. Donc quand j'écris, j'essaie d'enlever tout ce qui pourrait être de l'ordre de l'empathie ou du sentiment et je me réfère à des choses très simples, basiques, froides, comme des documents. » L'homme cherche à semer le trouble, à créer le malaise. Il y parvient.
« Le sang versé s'effacera par le sang repris »
Herbaut est d'abord allé à Shkodra, en Albanie, où la vengeance décime les familles. Il a photographié les morts et les vivants. Pour ces derniers mêmes, il les a fait poser, comme cette petite fille de 10 ans Eriola Dibra qu'il saisit un couteau à la main, car elle devra un jour venger son père assassiné. Mise en scène insupportable ? Evidemment. La mère et le photographe ont eux-mêmes déposé l'arme blanche dans la main de l'enfant. « Ma manière de travailler sur le terrain n'est pas de me mettre à la place du bon gentil photographe. Je me mets à la place du méchant. » L'homme assume et va même plus loin en affirmant que c'est le seul moyen de faire réfléchir, à la fois ceux qui regardent, mais aussi ceux qui rejouent le drame. Pour preuve, Eriola lui racontera plus tard que cette photo l'a poussé à seize ans à sortir de la vengeance.
Oświęcim © Guillaume HERBAUT
Oświęcim © Guillaume HERBAUT
« Ma responsabilité, c'est de troubler le spectateur pour qu'il ait une mauvaise conscience. Cela ne me dérange pas qu'il me déteste à la fin du livre, parce que c'est fait exprès. Je me méfie énormément des photographes ou des journalistes qui se mettent dans la bonne posture, dans celle du type qui va faire du bien. » Et tout le travail de Guillaume Herbaut s'inscrit dans cette volonté de provoquer une réaction, puis une réflexion. A Oswiecim (http://fr.actuphoto.com/hashtag/nagasaki" en allemand), il photographiera la salle de muscu, le bordel, la Miss Oswiecim en robe de deuil... une ville d'aujourd'hui hantée, imprégnée par la mort de millions d'êtres humains, associée à jamais à la Shoah, hésitant entre la commémoration et le business de la mémoire. A Slavoutych, le fantôme s'appelle http://fr.actuphoto.com/hashtag/nagasaki"et dans ce conte maléfique, l'enfant devient un petit chaperon rouge perdu dans la grande forêt contaminée.
Slavoutytch © Guillaume HERBAUT
Des bocaux humains
Obsédé sans nul doute. Jamais dans la redite pour autant. Ce qui est fascinant dans 7/7, c'est la façon de montrer l'invisible, de l'incarner. La vendetta, la mort, la mémoire, la radioactivité, le bombardement de Nagasaki. Quand Herbaut se rend dans le quartier d'Urakami, au nord de la ville, il sait déjà que 70 ans après, il rendra compte d'un univers post-atomique à travers les survivants : « Très vite, je me suis dit qu'en fait le paysage atomique était sur les corps des victimes, donc qu'il fallait les photographier et rentrer dans leurs cicatrices. » Quitte à rentrer dans un laboratoire qui conserve les prélèvements faits par l'armée américaine. La directrice des lieux lui a ouvert les portes d'une salle de 30 m2 environ remplie de bocaux humains. Pendant deux heures, seul à l'intérieur, il photographie, soulève les couvercles des poubelles...
Urakami © Guillaume HERBAUT
Ciudad Juarez © Guillaume HERBAUT
« Je ne suis pas là pour mettre en valeur les gens. Je les photographie tels que moi je veux les photographier. Je pourrais les montrer cinq minutes plus tard et ils pourraient avoir une attitude plus simple, avec des regards plus doux. Mais je ne suis pas là pour cela alors j'y vais. » A Ciudad Juarez, il n'a pas fait de cadeau aux tueurs de sa série. Il n'en a pas fait non plus aux femmes qui sont abattues là-bas comme des chiennes. La seule femme vivante de sa série, Esmeralda, n'est qu'un sexe rasé sous une lumière crue. L'origine d'un monde où le féminicide est roi. Ça ne se montre pas avec douceur. Ça se dénonce avec violence. C'est précisément ce que fait Guillaume Herbaut.
Livry : 2002
Retour à Livry-Gargan. C'est l'ouverture du livre qui nous sert pourtant à conclure. L'histoire est ici plus intime, fragile comme la trace laissée par un tableau qu'on enlève avant de quitter un lieu où l'on a vécu ou que l'on a aimé. Tout le monde a connu cela. La mort, le deuil et la mémoire qui traîne. 7/7 L'ombre des vivants, c'est la mémoire d'Herbaut qui traînait dans le coin d'une chambre vidée ou au fond d'une boîte. Il peut s'attaquer au présent. Maintenant.
http://fr.actuphoto.com/hashtag/nagasaki"
http://fr.actuphoto.com/hashtag/nagasaki"
Guillaume Herbaut
Editions de la Martinière
40 euros