© Paula Bronstein
« Afghanistan : Between Hope and Fear » vient de paraître, après 15 ans de travail. Pourquoi le publier maintenant ?
Je n’avais aucun intérêt à continuer d'attendre. Je ne voulais pas qu'il sorte durant une autre présidence américaine. Beaucoup de ces conflits sont sans fin, on ne cesse jamais de les couvrir. J’y étais au printemps et j’y retournerai cet automne, tout dépend des conditions de sécurité là-bas car en ce moment elles se dégradent.
Avant de plonger dans votre livre, nous n’avions pas réalisé à quelle point la situation en Afghanistan n’avait pas changé, nous croyions tout cela presque fini…
C’est bien là le problème. Pourquoi pense-t-on que c’est fini ? C’est fou ! Je ne sais pas d’où vient cette perception. Ce n’est pas terminé en Irak, ce n’est pas non plus réglé en Afghanistan. Ces conflits sont loin de prendre fin, il faudrait pour cela qu’il y ait un accord de paix. Parce que les troupes se sont retirées, les gens ont cette impression que ce conflit est fini. Les talibans sont encore présents. En Irak, c’est Daech qui prend le contrôle. Ces guerres ne s’achèvent pas.
Mahbooba se tient face à ce mur criblé de balles, attendant d'être examinée par une clinique médicale. La fillette, âgée de 7 ans, souffre de leishmaniose, une infection parasitaire. Kaboul, 1er mars 2002 © Paula Bronstein
Vouliez-vous, avec cet ouvrage, donner une leçon aux médias ? Leur dire que le peuple afghan est lui aussi victime de cette guerre ?
Si les gens ignorent la situation là-bas c’est parce qu’ils ne sentent pas concernés, ils ne se focalisent donc pas sur l’Afghanistan ou l’Irak. Les troupes françaises se sont retirées il y a longtemps maintenant et sont en France, parées à anticiper un possible attentat. Je comprends cela.
Les femmes afghanes occupent une place particulière dans votre livre, était-ce difficile pour vous de les photographier ?
En tant que femme journaliste, j’ai décidé de travailler sur les femmes afghanes car je le pouvais. Les femmes en Afghanistan feront plus confiance à une autre femme qu’à un homme. L'éducation y est difficile d'accès, le tribalisme y est omniprésent, beaucoup de choses arrivent à ces femmes, c’est vraiment un problème.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces femmes afghanes qui s’immolent par le feu? Comment avez-vous pu obtenir de telles images ?
À Herat, une ville à l’ouest de l’Afghanistan, il y a un hôpital où se trouve une unité de soins dédiée aux grands brûlés et qui soignent des femmes. La raison pour laquelle d’autres médias et moi nous sommes rendus auprès de cette unité est que nous savions qu’il y avait beaucoup de cas d’auto-immolation. Avec l'aide des docteurs et des infirmiers, j’ai pu être reçue par ces patientes qui se sont laissé photographier. C’était idéal car elles étaient éloignées des hommes qui, au sein du foyer conjugal, auraient normalement dit non. Habituellement ces derniers disent qu'il s'agit d'un accident de cuisine, ne sachant pas que les femmes veulent détruire leur corps et se tuer en s'aspergeant d’huile bouillante. Et les raisons sont diverses en Afghanistan : mariages forcés, jeunes filles mariées, absence d’éducation (la plupart des femmes sont illettrées...) Elles arrivent à un âge où elles ne supportent plus leur vie et décident de s’auto-immoler afin qu’aucun homme ne puisse de nouveau les toucher.
Mariam, une jeune femme âgée de 20 ans, nous montre les brûlures de sa tentative de suicide. Dévastée par un mari abusif et violent, elle s'est aspergée de carburant sur le corps et a essayé de s'auto-immoler. Elle a passé 28 jours à l'hôpital. Elle vit désormais avec sa mère. Son mari est retourné vivre auprès d'elle et de sa fille de 2 ans. Herat, 21 octobre 2004 © Paula Bronstein
Sur certaines de mes photos, j'ai voulu montrer les femmes prendre davantage d'importance, notamment lors de l'élection présidentielle en 2014. Mais vous voyez aussi que le jour même de l'élection, elles portent entièrement la burqa et refusent de se montrer aux caméras. Il y a toujours ce contraste, on ne peut pas généraliser. Tout dépend de l'endroit où on se situe dans le pays mais aussi du groupe ethnique, selon qu'elles fassent partie des Pachtounes ou des Hazaras... Dans les provinces contrôlées par les talibans, les femmes ne sortent pas de chez elles. Ces derniers restreignent leurs libertés. Chaque fois qu'ils prennent une nouvelle province, soyez sûr qu'aucune fille n'ira à l'école. Reste qu'ailleurs, il y a des zones plus calmes comme Bâmiyân où tout semble normal, c'est une toute autre communauté. À Kaboul, les écoles sont ouvertes et de qualité mais c'est une capitale. Au nord se trouve Mazâr-e-Charîf, une grande ville qui est plutôt sûre. Mais ce sont des cas particuliers, on ne peut pas généraliser.
Des jeunes femmes acclament lors d'un rassemblement le candidat à l'élection présidentielle afghane Ashraf Ghani. Kaboul, 1er avril 2014 © Paula Bronstein
Des femmes vêtues de burqa patientent dans un bureau de vote tombé à court de bulletins. Kaboul, 5 avril 2014 © Paula Bronstein
L'idée était de ne pas avoir de contact direct avec eux. Il m'est arrivé d'être proche d'attaques de talibans mais on ne sait jamais qui sont les attaquants. Les seules fois où j'ai pu en rencontrer, c'était seulement en présence de troupes américaines et une autre fois dans un hôpital à Lashkar Gah où tout le monde est traité de la même manière, qu'ils soient de MSF ou talibans... Nous savions que certains patients en faisaient partie.
Personnes blessées, veuvage, pauvreté, violence et même drogues (héroïne). Difficile de trouver de l’espoir dans votre ouvrage...
Le titre original du livre était « Afghanistan : entre vie et guerre », mais un autre livre est sorti avec un titre similaire. Nous avons donc décidé, mon éditeur et moi, de choisir ce titre. Il reflète le contraste du pays. Un jour vous êtes empli d'espoir puis la minute suivante vous avez peur : tout ça en une journée. Vous êtes heureux car votre enfant peut aller à l'école à Kaboul, mais dans l'après-midi une bombe explose et vous devenez craintif. C'est un pays plein de contradictions.
Pourquoi avoir dissocié le chapitre « Victimes » du chapitre « Réalité » ?
Nous devions chercher à aérer le livre, c'est pourquoi il n'y a pas d'ordre chronologique. Il nous fallait séparer les sujets afin que les photos intenses puissent être regroupées au sein d'un même chapitre. Mais nous voulions aussi montrer la vie quotidienne : les femmes qui se marient, les enfants qui jouent au foot sur un terrain poussiéreux, les hommes pratiquant le body building... Nous devions montrer plus d'espoir vers la fin du livre.
Des bodybuilders classés dans la catégorie des 55-60 kg s'échauffent lors d'un concours régional de bodybuilding. Beaucoup d'hommes afghans, comme d'autres hommes dans le monde, pensent qu'avoir une image virile est important.
Des joueurs de Buzkachi en train d'amener un veau décapité vers la zone de buts. Bien que ce jeu ait été interdit par les talibans, le Buzkachi reste le sport national en Afghanistan. Kaboul, 24 février 2002 © Paula Bronstein
Eid Muhammad, 70 ans, vit dans une maison avec une vue donnant sur les collines de Kaboul. Lui et des millions d'autres Afghans occupent des terres et des propriétés sans détenir le moindre acte de propriété. Kaboul, 21 novembre 2014 © Paula Bronstein
Avez-vous appris la langue afghane ?
Je parle un peu le Dari, assez pour pouvoir communiquer avec les Afghans. Mais c'est du basique. Je ne connais pas le pachto (NDLR, autre langue parlée par les Afghans) qui est un tout autre langage, le Dari est la langue la plus répandue là-bas.
Vous avez beaucoup voyagé et travaillé sur de nombreux sujets. Qu'est-ce qui fait, selon vous, un bon photo-reporter ?
D'hier à aujourd'hui, la réponse diffère. Je n'ai pas d'enfants, je me suis toujours focalisée sur mon travail. De plus, j'ai toujours fait partie d'une minorité, je travaille dans un secteur encore largement dominé par les hommes. Le World Press Photo en a également fait le constat et fait actuellement une étude sur la part des femmes dans le milieu du photo-journalisme. Mais si être déterminé et avoir de la compassion peuvent faire de vous un bon photojournaliste, ça ne signifie pas que la vie sera facile.
Afghanistan : « Between Hope & Fear » © Paula Bronstein / University of Texas Press
Titre : http://utpress.utexas.edu/index.php/books/bronstein-afghanistan">«
Auteur : Paula Bronstein
Collection : Louann Atkins Temple Women & Culture (Book 42)
Éditions : University of Texas Press (August 5, 2016)
Langue : Anglais
Prix : 55 $