Ed Kashi by Ellen Harasimowicz
Après le Nicaragua, le Salvador et l’Inde, vous êtes allé au Sri Lanka pour travailler sur cette maladie chronique du rein qui touche les ouvriers agricoles : quand avez-vous entendu parler de ce problème pour la première fois ?
Tout a commencé par une commande de mon agence, Agence VII. J’ai été engagé par une très petite ONG pour aller au Nicaragua afin de photographier cette maladie du rein. J’ai accepté bien sûr ! Mais une fois sur place, j'ai été dans cette ville de Chichigalpa où tous les jours, il y avait l'enterrement d'un travailleur agricole - de la canne à sucre – en raison de cette maladie ! Je me suis donc dit qu'il y avait quelque chose de plus gros à creuser. D’un simple boulot, je suis passé à un projet personnel : je voulais continuer à travailler moi-même sur ce sujet.
Qu'est-ce qui provoque cette maladie rénale que vous documentez ?
C’est une maladie qui a plusieurs causes. Elle est liée au changement climatique car les gens doivent creuser des sources plus profondes pour avoir de l’eau potable : ils ramènent des silicates et de l’arsenic qui sont nocifs pour les reins. Il y a aussi les engrais chimiques agricoles bien sûr, mais également l'épuisement par la chaleur : quand on ne s’hydrate pas assez et que l’on travaille dur sous un climat très élevé, on abîme ses reins.
Dans le village de Kongahanagama, dans la province du Centre-Nord du Sri Lanka, un agriculteur verse des herbicides sur ses champs de riz avant de planter, le 28 juin 2016.
Les pesticides sont considérés comme la première cause de CKDu (Chronic Kidney Disease of unknown etiology), maladie chronique du rein qui touche principalement les agriculteurs travaillant sous la chaleur dans les pays pauvres.
©Ed Kashi/Agence VII
Comment s’est passé votre travail au Sri Lanka ? Qu'y avez-vous vu ?
J’y suis resté deux semaines grâce à la bourse du Festival Photoreporter. Les Sri Lankais font du mieux qu’ils peuvent, mais il s'agit bel et bien d'une crise de santé publique ! Il y a l’impact sur les gens, au sein de la famille et de la communauté, quand celui qui gagne l’argent tombe malade et ne plus travailler, cela a des conséquences pour tout le monde. Tout d’un coup, la fille ne peut plus aller à l’école, parce qu’il n’y a plus d’argent pour payer ses études. Mais au-delà de ces problèmes, il y a toute une crise sanitaire qui pèse sur l’économie nationale, parce que les dialyses sont très chères ! Imaginez 68 000 personnes qui ont besoin d’être en dialyse, seuls les pays très riches pourraient être préparés à cela.
En quoi la situation est-elle différente des autres pays que vous avez photographiés ?
En Amérique centrale, les travailleurs sont payés en fonction de ce qu’ils récoltent chaque jour. Ils travaillent beaucoup plus, c’est presque de l’esclavage ! Alors que le riziculteur de base au Sri Lanka, s’il se réveille et qu’il ne se sent pas bien, il peut rester chez lui. Il n’a pas de patron pour le forcer à travailler. Là-bas, ils sont plus enclins à penser que la maladie est due à la contamination de l’eau par les engrais agricoles, comme le Roundup de Monsanto, alors qu'en Amérique centrale, ils croient que la cause est plutôt la déshydratation répétée... même si cela commence à changer maintenant !
Y a-t-il d’autres endroits où l'on trouve cette maladie ?
Oui, bien sûr, il y a l’Egypte, le Mexique… mais là je voudrais aller dans la Vallée Centrale de Californie où il y a aussi beaucoup de maladies rénales chez les travailleurs migrants hispaniques... Mais j’ai besoin d’être certain que ce ne sont pas les formes traditionnelles du cancer du rein liées à l’obésité, à l’hypertension ou au diabète.
K.A Sureky Adman, 40 ans, est la fille aînée de V. Aushadahami, 74 ans. Ce dernier, qui cultivait le riz, a souffert de CKDu pendant des dizaines d’années.
Il est maintenant incapable de travailler et a besoin de soins quotidiennement effectués par sa famille. H. Anulawathi, 59 ans, est elle aussi handicapée.
©Ed Kashi/Agence VII
Comment agir sur le terrain ?
Au Nicaragua par exemple, mon travail est connecté à un projet pilote de trois ans qui apporte du repos, de l’eau et de l’ombre aux travailleurs de canne à sucre. Les deux premières années, on a noté que la créatinine avait baissé et que la productivité avait monté. Quand on traite mieux ses travailleurs, non seulement ils sont en meilleur santé, mais en plus ils travaillent mieux. Et la raison pour laquelle les propriétaires du Salvador l’ont fait, c’est à cause de l’attention médiatique qui avait été créée.
C’est la raison pour laquelle vous photographiez ?
Totalement ! A mille pour cent ! Mon approche visuelle se divise en trois : reportage, portrait et vidéo. Cette stratégie me donne trois moyens différents de montrer mon travail, parce que certaines publications adorent les portraits, d’autres préfèrent les documentaires photographiques - pas autant qu’avant - et les vidéos bien sûr sont très populaires sur le web. Et ça marche ! Les gens se disent : « Ah oui, une maladie des reins, j’ai entendu parler de ça ! » Je vois vraiment ce travail comme une autre manière de faire du journalisme, une sorte de journalisme visuel avec une mission derrière. Il ne s'agit pas seulement de montrer de belles photographies, il faut aussi amener le changement. Je suis une toute petite partie de ça, mais j’en fais partie, et nous en faisons tous partie !
https://www.festival-photoreporter.fr/fr/home/" du 1er au 30 octobre 2016
En (sa)voir plus : https://www.festival-photoreporter.fr/fr/home/"