The men having migrated to the cities, the women carry their goods to the market of Chimbote. Region of Chimborazo. Ecuador. 1998. ©Sebastião Salgado / Amazonas images
On connaissait Salgado pour être un humaniste invétéré, fervent observateur des plus démunis, cherchant toujours à dénoncer les injustices qui leur sont faites et les conditions dans lesquelles ils vivent. Cette fois encore, le photographe brésilien est à la hauteur de sa réputation. Pendant six ans, il a voyagé aux côtés des migrants, à travers plus de 35 pays, pour documenter leur périple.
Rwandan refugee camp of Benako. Tanzania. 1994. ©Sebastião Salgado / Amazonas images
Un portrait nuancé de l'être humain
Le résultat est une vaste peinture du genre humain dans ses moments les plus difficiles. Ceux-ci révèlent ce qu'il y a de plus profond en chacun de nous. Impossible de mentir dans ces moments là, les émotions se lisent sur les visages dès l'ouverture du livre. Le courage, la peur, l'espoir, la souffrance... C'est une véritable encyclopédie imagée des sentiments humains que Salgado nous offre. Et si le photographe a choisi de séparer son livre en quatre parties, selon un classement géographique, on sent bien que c'est uniquement pour pallier l'absence de légendes. Absence tout à fait significative. Il s'agit d'un choix de l'artiste pour souligner l'unité des peuples. D'ailleurs, la première partie ne se borne pas à une zone géographique mais rassemble des images de réfugiés du monde entier. Les trois parties suivantes s'attachent respectivement à l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine.
Le tableau que Salgado nous peint n'est pas joyeux. Il n'est pas désespéré non plus. Le monde n'est ni noir ni blanc, il passe par toutes les nuances de gris, à l'images de ses clichés. Certaines photos d'Afrique sont dures. Elles montrent la misère, la maladie, la souffrance et la mort. Mais d'autres photos montrent le revers de la médaille : des tribus d'Amazonie qui se battent pour préserver leur territoire, des enfants asiatiques nés en prison qui jouent ensemble. Une fois encore, Salgado réussi à nous montrer l'espoir là où l'on ne pourrait voir que la souffrance. La joie est encore plus éclatante quand elle est entourée par la tristesse. De l'ombre naît la lumière.
Scene near the Marubo Maronal village. State of Amazonas, Brazil. 1998. ©Sebastião Salgado / Amazonas images
Un photographe désillusionné
L'instinct de survie est omniprésent. Salgado le montre sous toutes ses formes. L'artiste a beaucoup étudié ce sujet, après tout il s'agit de son deuxième recueil. Espérait-il des changements radicaux entre son édition de 1994 et celle-ci ? Dès l'introduction, il partage avec nous sa déception. Les conflits de l'époque ont disparu. Certes. Mais de nouveaux sont apparus. C'est que les inégalités sont intrinsèques au fonctionnement de notre société, selon le photographe. Lui-même reconnait avoir cru en plusieurs systèmes susceptibles de renverser la tendance, de créer un monde d'égalité. Comme la révolution par les armes. Ce ne semble plus désormais être le cas. Ce livre est une ode au courage individuel. Il n'est pas question de grands changements politiques ou économiques, Salgado n'y croit plus.
Enfants
A ce gros livre sur l'humanité de nos jours, le photographe en joint un autre, plus petit, à l'image des personnes qu'il photographie. Dans cet ouvrage annexe, Enfants, Salgado tire 90 portraits issus du monde entier. Pour lui, ce sont eux les principales victimes de tous ces conflits. Ceux qui n'en étaient pas encore convaincus n'ont qu'à feuilleter ce recueil pour l'être. On se rappelle les images choquantes d'Aylan, mort sur la plage. Ou celles d'Omrane, après la destruction de sa ville. On ne connait pas l'histoire des enfants photographiés par Salgado, mais finalement qu'importe.
The Natinga School camp for displaced Sudanese. Southern Sudan. 1995. ©Sebastião Salgado / Amazonas images
A côté du grand, ce petit livre semble être un concentré du message de Salgado. Ici, la douleur est plus vive, mais le bonheur aussi. Tout semble intensifié. C'est ce qui fait la force des enfants. L'artiste sud-américain l'a bien compris, il n'a pas même cherché à photographier ses sujets dans un contexte particulier. Il les a simplement installés devant un mur puis photographiés. Ici aussi les légendes ne sont pas à coté des photos. Cependant elles figurent en fin de livre. Ainsi, tous ces enfants, eux aussi, ne font plus qu'un.
The Kamaz camp for displaced Afghans. Mazar-e-Sharif, Afghanistan. 1996.©Sebastião Salgado / Amazonas images
C'est un portrait quelque peu amer du genre humain que nous dresse Salgado. Son travail évoque ceux de Daniel Castro Garcia ou d'Aris Messinis. Cependant, sa touche personnelle est bien présente. Les admirateurs du photographe brésilien sauront la reconnaître d'emblée dans ces clichés en noir et blanc. Vivement critiqué pour avoir donné une forme d'esthétisme à la pauvreté et à la souffrance, Salgado, fidèle à lui-même, n'en démord pas pour autant. Ce portrait de la migration est aussi beau qu'il est triste.
Sebastião Salgado. Enfants
€ 39,99
Sebastião Salgado. Exodes
€ 49,99