FRANCK OGOU
Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de créer ce fonds d'archives ?
D’abord je suis archiviste à la base et mon thème de mémoire à l’Ecole Nationale d’Administration en 2004 portait déjà sur la thématique des archives photographiques. Il fallait trouver un thème et j’ai pensé à celui là par hasard, parce que je voulais sortir un peu des sentiers battus et travailler sur une thématique nouvelle par rapport à tout ce qui se faisait avant ma promotion. Dans mes recherches sur le terrain, j’ai pu me rendre compte tout de suite de la gravité de la situation des archives photographiques, notamment au niveau des privés. Cela a attiré mon attention, et depuis je pense à toutes les actions à mettre en œuvre pour les sortir de cette situation. J’ai été témoin de plusieurs désastres dont le bradage à des occidentaux des boîtes de photographies et de négatifs, la mise à feu des cartons d’œuvres photographiques et la négligence des héritiers de ces fonds.
Voilà autant de raisons qui m’ont motivé à m’engager sur cette voie et j’y serai encore pendant les années à venir.
Y a-t-il beaucoup de photos anciennes, à la fois officielles et personnelles, au Bénin ? Comment faites-vous pour les localiser ?
Les fonds photographiques au Bénin sont gérés aussi bien dans certaines administrations publiques que chez des privés ayant travaillé pour l’Etat et pour leur propre compte. Au niveau des institutions publiques, la situation n’est pas non plus très reluisante. Mais ce qui m’intéresse le plus ce sont les fonds privés dont les propriétaires sont décédés ou âgés. Depuis 2003, j’ai déjà procédé à leur identification et je sais où les trouver, eux ou leurs héritiers. C'est grâce à l'aide de l'un des leurs que j'ai ensuite pu remonter le fil.
La mise en place du projet s'est elle faite facilement avec les autorités locales ? Vous soutiennent-ils ?
Pour le moment, le projet est porté par l’Ecole du Patrimoine Africain-EPA. Nous n’avons pas encore reçu d’appui de gouvernement ou de pouvoir local, mais nous ne désespérons pas et d’ailleurs les directions des archives nationales des pays que nous avons ciblés sont les partenaires du projet. Pour l’heure nous travaillons avec nos propres ressources et nous espérons qu’au-delà des autorités nationales ou locales nous aurons le soutien des partenaires techniques et financiers opérant dans le domaine du patrimoine.
Où en est le projet en ce moment ? Comment va-t-il évoluer dans les mois à venir ?
Nous sommes à la phase pilote du projet qui a permis de sauver les plus de 16.000 images de Cosme Dossa, l’un des plus anciens photographes du Bénin. Après la formation aux techniques de conservation des archives photographiques, nous avons fait le transfert du fonds du domicile du photographe dans les locaux de l’EPA. Nous sommes actuellement à la phase de numérisation de tout le fonds et déjà une plateforme de recherche est lancée sur internet. Au fur et à mesure de l’évolution de la numérisation, la plateforme va s’enrichir. Un catalogue sera édité également dans les jours à venir.
Notre objectif est de lancer après cette phase pilote le programme que nous avons nommé « Initiative panafricaine de sauvetage et de valorisation des archives photographiques ». Notre ambition est de couvrir au moins 10 pays d’Afrique situés au sud du Sahara.
Travaillez-vous avec beaucoup de personnes sur ce projet ? Quelles sont leurs missions ?
Derrière le projet, c’est toute une équipe qui travaille. Il y a quelqu’un qui s’occupe de la numérisation, un autre de la conception et de la mise à jour de la plateforme (www.photoafricaine.org), un autre qui travaille sur les conditions de conservation des fonds dans nos locaux et moi-même je suis à toutes ces étapes du projet dont j’assure la coordination.
Est-ce que d'autres initiatives du même type avaient déjà été mises en place au Bénin ou en Afrique ?
En Afrique c’est possible. J’ai eu vent d’un travail qui s’est fait au Nigéria et au Cameroun mais ce sont des initiatives privées. Au Bénin, c’est la première expérience et je suis fier d’être l’initiateur. Je ne compte pas m’arrêter tout de suite. Nous irons loin !
Pensez-vous pouvoir également récupérer les photos parties avec la décolonisation ?
Pour le moment, je me concentre sur ce qui est encore présent sur le sol béninois et des Etats dans lesquels nous travaillerons. La moisson n’est déjà pas maigre, après on pourra penser aux photos parties et dont nous avons les preuves qu’elles nous appartiennent.
Ces photos ont-elles un rôle important à jouer pour l'avenir de l'Afrique selon vous ?
Evidemment. Ces photos montrent un autre visage de l’Afrique. Ce sont des photos qui remettent en cause les clichés que les autres ont des Africains. A travers ces images, on voit une Afrique libre où vivent des hommes et femmes épanouis et contents d’être ce qu’ils sont. Ces photos nous prouvent aussi que l’Afrique n’est pas restée en marge de l’évolution technologique.
Ce fonds d'archive pourrait-il déboucher sur une exposition ou un musée ?
Nous réfléchissons à toutes les possibilités de valorisation de ces fonds. A terme, on pourrait penser à la création d’un musée et d’une maison de la photographie mais pour l’heure l’urgence est de sauver ce qui existe et qui est en proie aux intempéries. Par contre, nous imaginons monter une exposition autour du fonds de Cosme Dossa.