© Raphaël Abd El Nour
Du 28 juin au 30 septembre 2016, Austerlitz rime avec art. Une rétrospective (lien à mettre vers mon actu sur l'expo ?) consacrée au photographe Sacha Goldberger explore les différentes séries qu'il a réalisées ces dix dernières années à la Gare d'Austerlitz. Tout visiteur aura ainsi librement accès à Mamika, aux Super-Flamands... Une exposition dont Sacha Goldberger n'est pas peu fier, à raison. Rencontre avec un artiste aux univers bien particuliers.
Qu'est-ce que ça fait d'avoir toute son œuvre exposée entre la Mairie du IVème et la gare d'Austerlitz ?
C'est un luxe incroyable ! Jamais je n'aurais imaginé, en abordant ce métier, que j'aurais autant d'images exposées au même moment... Et qu'après dix ans de travail, toute mon œuvre serait visible par le grand public. Parce que, finalement, lorsqu'on fait de la photographie, on ne veut pas être célèbre en soi : on a envie de raconter des histoires, vues ensuite éventuellement par le plus grand nombre. Le plus incroyable, ici, est que j'ai la possibilité d'élargir mon public : il y a 75 000 personnes qui voient ces photos tous les jours ! Chiffre incroyable... Tous les jours, pendant 3 mois, il y a 75 000 personnes qui peuvent passer devant mes œuvres, s'arrêter ou rester indifférents, regarder, découvrir différentes époques de mon travail... Il y a 200 mètres de long, près de 60 tirages, plusieurs périodes représentées : la peinture flamande, les Super-Flamands, Meet my mum que j'aime beaucoup, une sélection de nos dix ans de Mamika... Et j'adore la gare d'Austerlitz, je la trouve très belle. Le projet est colossal ! J'ai presque un festival à moi tout seul, ce qui est fou.
Pourquoi avoir séparé votre série sur les Loubavitch du reste de votre œuvre ?
Pour deux raisons. La première, c'est que ma série sur les Loubavitch est plus intimiste, je pense qu'il faut vraiment aller la voir. Elle est faite de petits tirages, qui supportent moins les grands formats, même s'il y en a. Le projet est plus personnel, le tirage est argentique, en noir et blanc : l'approche est donc légèrement différente. Comme je savais que j'avais les deux espaces, la mairie du IVème et la gare d'Austerlitz, je me suis dit que séparer cette exposition du reste était une bonne idée. La deuxième raison pour laquelle elle n'est pas à la gare, c'est parce que cette exposition est faite pour faire du bien. Je n'avais pas envie qu'à un moment donné des personnes puissent exprimer des opinions ou commettre des actes antisémites, par rapport à une série que je trouve poétique... Me dire que je pouvais me retrouver avec des croix gammées ou autres horreurs, non merci. Nous avons donc pris le parti de ne pas la mettre, sachant qu'elle serait exposée à la Mairie du IVème.
En découvrant votre exposition par vidéo sur Internet, votre grand-mère vous a dit : « Ton carrière est faite. Il ne faut plus rien bouger. Tout est fait ». Sa fierté est votre plus beau cadeau ?
Oui, Mamika a réellement été subjuguée et étonnée par tout ce qu'elle a pu voir, et cela fait la beauté du film. Elle a découvert en avant-première les images de l'exposition. Le regard qu'elle peut avoir, sur le fait que ce soit ici, dénote une espèce d'aboutissement et de satisfaction de sa part qui sont incroyables. Cette vidéo me donne les larmes aux yeux. J'ai quand même commencé ma carrière de photographe avec elle ; et de voir cette fierté, de voir que pour elle c'est une réussite, qu'elle se dit que son petit-fils est à la gare d'Austerlitz, avec une rétrospective... Pour elle ça y est, c'est fait ! Une rétrospective, c'est la fin !
DE LA SÉRIE « MEET MY MUM » © Sacha Goldberger
Votre travail est proche de la réalisation, notamment dans Meet my mum...
Oui, et je pense que je vais me lancer à un moment ou à un autre dans la réalisation... Dans cette série, ma référence est Hopper. Je prends souvent des repères liés à la peinture. Il s'agit parfois de la peinture flamande, là d'Hopper... Cela dépend des séries. J'ai toujours été très touché par la peinture, et par tout ce qui relève de l'art contemporain. Ma mère était antiquaire, donc je pense que cet aspect a joué un rôle dans mon travail.
DE LA SÉRIE « SUPER-FLAMANDS » © Sacha Goldberger
Vos œuvres semblent être souvent gouvernées par le décalage, qui fait s'entrechoquer deux réalités qui sont éloignées : héros et peintres flamands, jogging et tenue de soirée, réalité et fiction... Pourquoi ce choix ?
Je ne sais pas si ce système est toujours applicable... Il est vrai pour les Super-Flamands, mais il l'est moins pour la peinture flamande, ou pour Meet my mum. En tous cas, si vous deviez faire ma psychanalyse, je vous dirais peut-être que tout cela a pour cause le contraste entre une mère juive d'Europe centrale et un père français normand. Ce sont deux mondes qui ne sont pas destinés à se rencontrer, et qui l'ont pourtant fait. J'aime effectivement les contrastes et les mélanges : j'ai toujours aimé mettre un costume avec des baskets. Il y a pas mal de choses dans mon travail qui sont décalées, mais je crois surtout qu'il y a là une envie de narrer, parce que dans Meet my mum, le décalage est moins perceptible. Elle se fonde dans une époque, les années 50, aux Etats-Unis. Il y a juste une histoire de tendresse, de foi, de pression, et en même temps de douceur.
Mais sur Meet my mum, même si l'opposition n'est pas aussi frontale, il y a peut-être aussi un décalage entre la réalité, le cadre réel, et cet aspect fantomatique du parent qui vole derrière son enfant...
Oui c'est vrai, on est dans le symbolisme. Nos parents, qu'ils soient morts ou vivants, sont toujours présents... Même s'ils disparaissent, nous sommes construits par rapport à eux. Que ce soit au niveau de la religion, de l'éducation, du milieu social, de notre histoire, on les a ancrés en nous et on les aura toujours. Ils nous poussent, nous tirent, parfois nous aident et parfois nous handicapent... C'est comme ça. Et là ils ont posé par eux-mêmes, c'est-à-dire que même si je leur ai dit d'aller dans telle direction, ou de se placer de telle façon, il y a une douceur qui leur est propre dans la façon dont ils étreignent leurs enfants. Et ça n'était pas voulu, je ne pensais pas que j'aurais cela.
DE LA SÉRIE « SUPER-MAMIKA » © Sacha Goldberger
Vous êtes également quelqu'un qui travaille avec une extrême rigueur tout en ne se prenant pas au sérieux : messages ironiques sur votre site, dans votre façon de communiquer... De quelle monnaie commune rigueur et ironie sont-elles les revers ?
Je pense qu'une idée doit être très rigoureuse, très précise. Dans mon travail, tout est toujours construit, écrit, pensé. La touche de folie vient après, elle surgit de ce que les comédiens vont m'apporter. Et pour le fait de ne pas se prendre au sérieux, cela me vient de ma grand-mère et de ma mère. On m'a toujours dit que nous n'étions rien, que tout pouvait disparaître en deux secondes, qu'il n'y avait rien qui justifiait de se prendre au sérieux, ni de se prendre la tête. Pour moi, l'ironie, le décalage et l'humour font partie de ma culture. J'ai toujours entendu ma grand-mère plaisanter et faire des blagues. C'est une femme qui a été baronne, qui a tout perdu, qui s'est remariée plusieurs fois, qui a vécu les pires et les meilleures choses... Et elle est toujours restée sympathique, toujours.
DE LA SÉRIE « MEET MY MUM » © Sacha Goldberger
Justement, le thème de la famille semble aussi être un aspect central de votre œuvre. Qu'est-ce qu'apporte l'exploration de la famille selon vous ? C'est une cellule qui concentre tout ?
La famille m'est très chère, effectivement, mais elle n'est pas une obsession. Je ne sais pas si quelqu'un, s'il ne connaissait pas mon travail, serait capable d'associer toutes mes œuvres ensemble, d'unifier le tout. Il est vrai que mon premier sujet portait sur Mamika, mais dans les Super-Flamands je m'éloigne de cette thématique. Même chose pour la peinture flamande et les Loubavitch... Et ma prochaine série n'aura absolument rien à voir avec tout ce que j'ai fait. Je pense que la famille m'a apporté beaucoup pour me découvrir en tant que photographe, pour faire des essais, etc. Mais petit à petit j'ai l'impression de m'en séparer, puis d'y revenir. Meet my mum est réellement, pour le coup, une série « famille », à tel point que cette photo [ci-dessus, NDLR] nous représente, ma mère, ma grand-mère et moi, déguisés.
On se demande à quel rythme vous travaillez, car vos photos représentent souvent des mises en scène, très épurées, qui ne reflètent pas des réalités...
Exactement : je suis un anti-reporter. À une époque, je m'amusais à prendre mon appareil et à essayer de trouver des choses dans la rue, à regarder les postures des gens, à trouver des astuces avec des angles amusants et décalés... Et je me suis aperçu, avec le temps, que mon vrai plaisir n'était pas de les trouver, mais de les fabriquer. Tout fabriquer de A à Z, c'est ce qui m'amuse. Tout part de nos têtes, à moi et à mon associé Ben Bensimon, on écrit des choses, et à la fin elles sont sur un mur, dans une exposition. Sur la prochaine série que je fais, nous sommes 130 à travailler. Tout le monde amène son savoir-faire : la coiffure, les costumes, le dressage des animaux, les décors... Et j'aime vraiment raconter des histoires fabriquées. Au-delà de çà, j'aime l'objet fini : choisir le papier, le cadre. La finition m'intéresse presque plus que le processus.
C'est la SNCF qui vous accueille à la Gare d'Austerlitz. Comment s'est organisée cette collaboration ?
Ils sont venus me chercher il y a plus d'un an, en me disant qu'ils aimeraient exposer une série. Je leur ai montré mon travail, et au fur et à mesure de notre rendez-vous avec Sylvain Bailly [responsable du pôle culture de Gares et connexiojns, NDLR], il s'est aperçu que beaucoup de séries étaient montrables et recevables pour tous. On ne peut pas exposer de choses trop sordides ici. Il y a des enfants qui passent, des personnes âgées, des gens sensibles... Mais on s'est aperçu que plusieurs séries pouvaient fonctionner : l'idée de la rétrospective s'est imposée petit à petit.
Des précisions sur vos futurs projets ?
Mon prochain travail, qui devrait normalement sortir en novembre prochain, est gigantesque : 75 images, 16 périodes différentes... La série commence à la Renaissance, passe par Louis XIV, Louis XV, part pour les années 50, 60, 70, inclut du rétrofuturisme... Il y a de la Planète des singes comme du Blanche-Neige... Je ne peux pas trop en parler pour le moment, mais cette série sera à mon avis très différente de ce que j'ai fait jusqu'à maintenant. Elle part dans une nouvelle direction.
Rétrospective Sacha Goldberger à la Gare d'Austerlitz.
Jusqu'au 30 septembre 2016.
Entrée gratuite.