© Celso Brandão
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Pourquoi avoir intitulé votre exposition "Boîte noire" ? Vos photographies sont-elles en lien avec la mémoire ?
Oui. À l'époque où j'ai dû choisir le titre, il y a eu beaucoup d'avions détournés et de crashs. On parlait régulièrement de boîtes noires. Ce mot me paraissait pertinent pour désigner ma trajectoire photographique. Mes photographies des années 90 (qui sont exposées ici) étaient noyées au fond d'un tiroir à l'instar des avions échoués. La deuxième raison de ce choix, c'est que, pour moi, la boîte noire peut également définir l'appareil photo.
Vous venez d'un petit état du Nord-est du Brésil, pourquoi était-il important pour vous d'immortaliser votre région ?
Ce n'était pas forcément important pour moi d'immortaliser cette région en particulier. Ce qui était important, c'était de photographier l'endroit où je vis et où j'ai grandi. Si j'ai pris cette région en photo, c'est uniquement parce que j'y étais. Maintenant, je travaille n'importe où et je photographie n'importe quoi, pourvu que cela attire mon attention. C'est ça qui est important pour moi. C'est ma vie que j'enregistre.
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Le Brésil est un pays émergent qui a une architecture parfois très avant-gardiste, pourquoi ne pas avoir choisi de montrer cette modernité ?
Je vis dans le Nordeste qui est la région la plus pauvre du Brésil. Là-bas, il n'y a pas d'exemples d'architectures modernistes comme à Sao Paolo, Brasilia ou Rio de Janeiro. Les villes du Nordeste sont beaucoup plus petites et les gens ne vivent pas du tout de la même façon. C'est une autre réalité, très différente que celle que vous pouvez voir dans http://fr.actuphoto.com/35791-une-saison-bresilienne-boite-noire-de-celso-brandao.html" (également exposé à la Maison européenne de la photographie).
Vos photographies illustrent les rites et les légendes de votre pays d'origine, pourquoi avoir choisi de montrer cet aspect un peu « magique » de votre civilisation ?
Parce que je cherche mes identités. Les cultures, les traditions, la religion sont les éléments qui m'importent le plus. En ce qui concerne la magie, c'est une fascination de longue date. Quand j'étais petit, tous les samedis, je faisais du cirque et justement, j'étais le magicien. La photographie a une dimension magique. C'est de la sorcellerie. Déjà, elle fait exister à jamais une chose qui passe si vite. Et puis, beaucoup de sorciers se servent de photos pour faire du bien ou du mal. Quand on aime quelqu'un, on place son portrait près de soi et on pense à lui. Les photographies amènent des énergies.
Le développement est également un moment magique. C'est toujours une surprise. Cela dépend beaucoup de la chance. Si on commet la moindre erreur : temps de développement, température, etc. on peut abîmer le travail.Il est vrai que les sujets de mes photographies tournent beaucoup autour du chamanisme. Je suis attiré par cela. Le Brésil est un pays très mystique. Les liaisons avec d'autres dimensions sont choses naturelles pour nous.
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Pouvez- vous nous expliquer la photo des deux personnes déguisées au bord de l'eau (ci-dessus) ?
Ce sont des « jaraguas », (une espèce d'oiseaux). Ils sont représentés dans des spectacles populaires au Brésil qui sont un mélange de théâtre, de danse, de musique et de lutte. Ils mettent toujours en scène l'histoire d'un groupe ethnique contre un autre. Le jaragua est une figure qui apparaît entre les actes de ce spectacle. Il sert à attirer l'attention du public tout en lui faisant peur.
Cette photo a été prise pendant le carnaval. Ces jaraguas se sont habillés chez eux et se sont donné rendez-vous là, au bord du fleuve. J'ai choisi de les photographier car le jaragua est une figure qui devient de plus en plus rare au Brésil. Les traditions populaires à l'époque de l'avènement de la communication de masse et de la mondialisation disparaissent avec une vitesse incroyable. Mon travail, c'est de saisir ce qui reste de cette culture.
Vos clichés sont parfois très mystérieux, pourquoi avez-vous toujours choisi de photographier en noir et blanc ?
J'ai commencé la photographie lorsque j'avais 13 ans. À l'époque, on photographiait essentiellement en noir et blanc. J'ai choisi de continuer de travailler avec cette technique car elle est plus ancienne et plus durable que la photographie couleur. Le noir et blanc : c'est l'élémentaire. On travaille seulement avec les zones d'ombres, de lumières et les gris. Les photographies couleurs sont plus riches et présentent plus de tonalités, mais la simplicité du noir et blanc rend la photographie plus forte.
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Votre travail met souvent en scène une esthétique du flou et de la fugacité. Pour vous, l'art de la photographie est-il nécessairement lié à la notion du temps ?
Oui, la photographie immortalise le monde. La prise de vue est ce qui restera de cette réalité dans le futur. Le flou exprime le mouvement, mais aussi le manque de focus. J'essaie d'explorer ce qui est invisible à l'oeil humain et que seul l'appareil photo peut saisir.
Vous êtes plutôt connu pour vos films documentaires, pourquoi avoir choisi également de pratiquer la photographie ? Qu'apporte-elle de plus que le cinéma ?
J'ai commencé par la photographie. J'aime beaucoup cet art car c'est une pratique solitaire. Je peux photographier tous les jours alors que faire un film demande une pré-production, un sujet, une petite équipe, un budget... J'aime ces deux pratiques, mais la photo c'est plus intime et plus libre.
Avec quel appareil photo faites-vous vos clichés ? Vos photos sont-elles retouchées ?
Avec un appareil photo de moyen format qui est plus propre au studio. Comme j'ai l'habitude des caméras utilisées au cinéma, type super 8, je suis plus attiré par les gros appareils photo. Ils donnent une stabilité, une confiance. Les gens de passage qui me regardent travailler, savent qu'il se passe quelque chose d'important.
Mes photos ne sont pas retouchées. Elles ont été traitées, nettoyées car elles étaient conservées depuis longtemps, c'est tout.
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Comment travaillez-vous ? Vos photographies sont-elles prises sur le moment ou résultent-elles d'une mise en scène réfléchie ?
Ce sont des photos prises sur le moment. Même quand il s'agit de mise en scène, j'essaie de travailler vite pour ne pas perdre l'énergie de la rencontre. Les gens que je photographie ne sont pas des modèles, je les rencontre le plus souvent dans la rue. Pour cette photo ci-dessus, j'étais chez la personne qui fabrique des masques pendant le carnaval. Un groupe d'adultes buvaient à côté, ils étaient accompagnés de leurs fils. Je leur ai alors demandé de mettre des masques pour que je les photographie. C'était très spontané !
Vous êtes en ce moment exposé à la Maison de la photographie au côté de trois autres photographes pour la « saison brésilienne », de quel artiste vous sentez-vous le plus proche et pourquoi ?
J'admire Marcel Gauterot : c'est un Français et son travail contient l'histoire de la photographie.
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Pour vous, l'imagerie que l'Europe cultive autour du Brésil (carnaval de Rio, favelas, football etc.) est-elle une iconographie juste ?
L'image que je propose est différente que celle que diffusent les médias parce que j'ai un regard qui vient de l'intérieur. Je suis né là-bas, j'y ai passé mon enfance, j'ai vécu avec tous ces gens-là. C'est cela la différence. Mais, si je photographiais la France, j'aurais du mal à faire une image qui aurait de la profondeur, qui exprimerait d'une certaine manière le fait d'être français.