Family Photography Now - Sophie Howarth Stephen McLaren - Editions Thames & Hudson
Alt. Portraits © Pat Pope
« Regardez-nous ! Si aimants, si heureux, si normaux. Tel fut le message basique de la photographie de famille pendant des décennies », écrit Sophie Howarth. Personne ne verra les tensions entre une mère et sa fille ou la dispute naissante entre le grand-père et le petit-fils. Vouloir oublier l'imperfection des êtres et d'une vie est bien compréhensible. Pour tout photographe amateur en tout cas. Les professionnels, eux, voient les choses différemment : la maladie et la marginalité deviennent, au même titre que le bonheur, un sujet. Nous vient alors à l'esprit cette phrase de la journaliste et romancière Arabella Pollen dans L'été de l'ours (2012) : « Ils ne semblaient plus former une famille. Plutôt un ramassis d'âmes endommagées liées les uns aux autres par une série de rites et de rythmes qu'ils contrôlaient mal.».
Photographier les « âmes endommagées »
Les images de Christopher Capozziello, photographe américain, représentent son frère jumeau, atteint de paralysie cérébrale depuis sa naissance. Le photographe dit s'être toujours senti coupable d'avoir été épargné. Et c'est cette perplexité en même temps que l'affection qu'il porte à son frère qui transparaissent sur ses photos. On voit son frère relié à des fils à l'hôpital, on le voit danser ou en pleine crise, sur le parquet. Christopher Capozziello alterne cadrages larges – il donne de l'espace à son frère et on ne peut s'empêcher d'inspirer un grand coup en regardant certaines photos, assez rudes – et cadrages serrés : sur la première photo, son frère est cadré de très près, en train de fumer. Il porte une veste de cuir et dégage tant de charisme et de désinvolture qu'on en oublie sa maladie.
Le but de ce livre est, pour les auteurs, que l'on « s'identifie aux personnes présentes sur les photos. Il fait appel à notre empathie en nous mettant sous les yeux des vies différentes de la nôtre » Tout dépend donc de qui nous sommes. Quelles situations nous paraîtront les plus inhabituelles, les plus éloignées de nous ? Celle de Timothy Archibald qui met en scène son fils autiste avec toute une série d'objets montrant le décalage du petit garçon avec le monde – un bocal à poisson, un rouleau en carton, un entonnoir rouge ? Celle de Robin Cracknell qui élève son fils seul et a bien du mal à le faire accepter de se laisser photographier ? Sur l'un des clichés, Jake se cache le visage avec les mains. On le voit aussi très sérieux et presque boudeur devant un mur sur lequel il est écrit : « First aid lost children » (« Premier secours enfants perdus »). « J'étais et je reste un père célibataire essayant de donner du sens à une relation privée qui ressemble presque à la « négation d'une famille » tant elle est la conséquence d'une famille brisée », écrit Cracknell.
Les situations mises en scène par la finlandaise Elina Brotherus sont peut-être les plus pathétiques... Elle nous dévoile des autoportraits solitaires : on la voit nue, les larmes aux yeux, ou assise sur un fauteuil, seule dans une pièce vide de tout décor, de toute présence vivante. Sa détresse et son désespoir de ne pouvoir devenir mère : voilà ce que la photographe nous donne à voir. Alors que certains photographient leur famille, elle déplore, avec cette série intitulée Annonciation, cette impossibilité d'en créer une.
From the series ‘Looking for Alice’, Sian Davey. Courtesy of Sian Davey
Felicia, la fiancée de David, et Lily, sa fille de 10 mois, en communication vidéo lors d'une visite au parloir
From the series ‘Vinny and David’. Isadora Kosofsky. Courtesy Isadora Kosofsky
Brrrrr
Alors que les photos de famille sont d'habitude faites pour nous donner le sourire, pour nous permettre de revivre des moments heureux, ici, certaines photos donnent froid dans le dos. Et la faute n'est pas aux personnages mis en scène, mais aux lumières et aux poses choisies. Pat Pope prend clairement le contrepied des photos traditionnelles : installés au milieu d'un décor sombre, dans une ambiance dramatisée au maximum, ses modèles nous regardent, imperturbables et presque hautains. Ils ne sont pas du tout désagréables à regarder, mais voilà, ils ne sourient pas et paraissent quelque peu crispés, et, pour certains, prêts à bondir sur le photographe. Serait-ce une famille de vampires ? Zut, impossible de le dire, leurs dents sont cachées ! Si Pat Pope joue sur le clair-obscur pour créer cette ambiance particulière, Colin Gray, lui, se sert d'accessoires, de meubles et de vêtements pour mettre en scène ses deux parents. Le résultat est amusant - sur les deux premières photos, The Lottery et Hull under Water – et carrément bizarre sur les suivantes : deux petites fleurs blanches issues d'un bouquet posé sur une table remplacent les yeux de son père, et une autre photo nous le montre endormi dans un lit aux draps roses dans une position mortuaire.
The Lottery from ‘The Parents’ series, 1995, Colin Gray. Courtesy of Colin Gray
Quelques pépites
Tim Roda, originaire des USA, s'est bien amusé et il suffit d'une photo pour le constater : The Centaur. Un petit garçon, debout, voit son corps se prolonger par le corps d'un homme adulte, ce qui lui crée un dos d'animal mais aussi des pattes de derrière. « Chaque scène créée est d'abord imaginée par Roda avant d'être interprétée par sa famille. » Philippe Toledano, lui, photographie les extrêmes de la vie. Un bébé, assis par terre sur ses petites fesses rebondies, a les yeux levé vers une bulle. Derrière lui, il y a un mur et une lumière éblouissante. Les lignes sont pures et la photo irrésistible. Et pourtant, celle prise avec son père est encore plus bouleversante. Les ombres et la lumière créent comme un cocon pour ces deux êtres qui s'étreignent et si le photographe s'abandonne à l'étreinte, le père lui, fixe l'objectif de toutes ses forces. Beauté tragique d'une photo représentant un père et son fils.
Alain Laboile. Courtesy of Alain Laboile
From the series States of Union, Alix Smith. Courtesy Alix Smith.
https://www.thamesandhudson.com/Family_Photography_Now/9780500544532"
Family Photography Now est une nouvelle publication de Thames & Hudson, mais aussi un projet participatif mené par "The Photographers’ Gallery" qui invite le public à présenter une image personnelle de ce que la vie de famille signifie aujourd'hui. Plus d'infos sur https://www.thamesandhudson.com/Family_Photography_Now/9780500544532"