© Lisa Roze
De la grâce, du mystère et une pointe de sensualité. Voilà ce que dégage la série « Pink » de Lisa Roze. Chignon romantique, lèvres fushia, Léa Seydoux nous dévoile ses courbes : le portrait est doux, irréel. Lisa Roze s'est aussi arrêtée sur le regard et la bouche de Louise Bourgoin. L'arrière-plan, flouté, ressemble à un fond étoilé et il met très finement en valeur le haut du costume de l'actrice, retouché à la feuille d'or et à la peinture par Lisa Roze. Sur chaque image, la photographe fait jouer un nouveau rôle à ces artistes qui ont déjà créé tant de personnages. Si les hommes restent discrets et bienveillants, les femmes, elles, sont omniprésentes. A nos yeux, ce sont des courtisanes, des aristocrates libertines. Mais pour la photographe, il s'agit plutôt de muses. A chacun d'imaginer la signification de ces scènes qui se jouent sur ces balcons entourés de verdure, dans ces chambres ornées d'immenses rideaux... Rencontre avec Lisa Roze, une artiste sensible et discrète, qui préfère la création aux explications. Comme le disait Jacques Higelin : « Il faut vivre les choses pour les comprendre et quand on les vit, on ne se les explique pas ».
Pink 26, Louise Bourgoin, 2015, Tirage argentique peint à la main (peinture et feuilles d’or)
Pièce unique, 16 x 20 cm © Lisa Roze
Lorsque l'on rentre dans la galerie Mathias Coullaud, nous sommes surpris de nous retrouver face à des petits formats. Pourquoi avoir choisi le 16 x 20 cm pour mettre en scène des artistes qui ont l'habitude qu'on les voit en grand, que ce soit sur scène ou au cinéma ?
Avec le petit format, il y a un côté précieux, intime. On se penche, on scrute : le petit format demande une attention, un geste physique. Là, tous les artistes redeviennent anonymes. J'aurais pu appeler cela Etude 1, Etude 2, Etude 3...
En regardant cette série, « Pink », on se sent à la croisée de plusieurs univers : les tons chauds de vos photos et les costumes font penser à la Belle Epoque, mais certains vêtements évoquent aussi l'univers du cirque, de la danse. Quant aux lieux, ils ont très souvent des connotations orientales. Quel univers vouliez-vous créer ?
Toute mon inspiration vient du 19e siècle. De photographes comme Nadar aussi. Et de la littérature : la photographie représentant Cécile Cassel a été prise dans la chambre d'Oscar Wilde. C'est un petit clin d'oeil au Portrait de Dorian Gray. Si mon goût pour la mode tient à la Française que je suis, le côté décalé, amusant que vous retrouvez sur certaines photos vient sûrement de mes origines anglaises. Et j'ai aussi quelques liens avec le Japon : ça doit être pour cela que j'aime autant la couleur. Pour ce projet, je voulais une suspension du temps, une perte des repères : on est en 2016 mais on peut penser qu'il s'agit de photos plus anciennes.
Pink 20, Louise Chabat & Adrien Jolivet, 2009, Tirage argentique peint à la
main (peinture et feuilles d’or), Pièce unique, 16 x 20 cm © Lisa Roze
Vos photos sont souvent sombres et mystérieuses. Utilisez-vous des filtres pour créer cette atmosphère un peu voilée ?
Toutes les prises de vue sont faites à la lumière du jour, le matin ou l'après-midi. Et c'est le film Polaroid qui donne ce côté sombre. J'utilise un film très organique, très ancien. Je ne tire pas les rideaux pour assombrir, j'ouvre tout. J'aime ne pas tout maîtriser, j'aime ces moments qu'on ne contrôle pas. En utilisant un appareil ancien, et non le numérique, ma méthode de travail est différente et je crois que c'est à elle que je dois ces moments de grâce. Une photographie, c'est le résultat d'une foule de petits détails qui fonctionnent ensemble et fusionnent.
Vos modèles ne sourient jamais. Ils paraissent hors du temps et sont toujours élégants même dans les moments teintés d'érotisme.
Je n'aime pas les photos où les modèles sourient. Pas de sourire, pas de soleil. Dans le cadre de cette série, c'est en plus très compliqué car les temps de pause étaient extrêmement longs. J'aime travailler avec des artistes : acteurs, danseurs, chanteurs. Ils apportent leur magie, leur sensibilité, leur poésie. Ce qui ne serait peut-être pas possible avec des personnes anonymes. Je laisse mes modèles très libres même s'il peut m'arriver de modifier quelques poses - je peux leur dire de tourner la tête, de bouger le menton. Tout se passe très naturellement, dans l'harmonie.
Pink 8, Mélanie Doutey & Arthur Igual, 2008, Tirage argentique peint à la main (peinture et feuilles d’or)
Pièce unique, 16 x 20 cm © Lisa Roze
De nombreux artistes connus ont posé pour vous : Clotilde Hesme, Léa Seydoux, Golshifteh Farahani, Vanessa Paradis, Gaspard Ulliel... Est-ce vous qui les choisissez ou est-ce eux qui viennent vers vous ?
Certains se sont imposés comme des évidences, j'adorais leur personnalité. J'en avais vu sur scène ou ailleurs. Petit à petit, je suis allée voir ceux avec lesquels je voulais collaborer, je leur ai montré ce que je faisais et tous ont accepté de faire un bond dans le temps. La première à avoir posé pour moi est Cécile Cassel. C'est une amie avec laquelle je travaille depuis de longues années déjà. Nous nous connaissions également de par mes premières expos réalisées au Bon marché pour ma série « Correspondances ». Je connais bien Gaspard aussi et je trouvais ça amusant de créer des saynètes avec des couples improbables - un mélange de danse, de musique -, des mises en scènes où les artistes se mélangent. Sur cette photo, il se tient vraiment comme un danseur, il est très habité. On ressent une force. A chaque image, c'était une nouvelle aventure avec l'artiste et le lieu.
Trois de vos photos - Rosario Dawson ; Nora Zehetner, Mary E ; Wintead & Jason Segel - semblent être inspirées de cartes postales colorisées du début du 20e siècle. Le rendu est très différent du reste de la série : comment l'expliquez-vous ?
J'aime bien aussi le côté kitch de ces cartes postales ! Ce que vous dites est amusant car ce sont les trois photos qui ont été réalisées à Los Angeles, en 2010. La lumière est solaire là-bas, elle est différente, beaucoup plus forte. Les images originales étaient des Polaroid 4 par 5 en noir et blanc, sur lesquels je suis repassée avec de petites touches de peinture et de feuille d'or. Ce n'est donc pas la même base de film que les autres, qui sont en couleur.
Pink1
Accordéon (Detail Dyptique)
2016
Diptyque32x40cm
Tirage argentique peint à la main © Lisa Roze
Vous faites des collages, des pochettes de disques, des photos de mode, de la vidéo : votre œuvre est très variée mais vous paraissez, avec cette série « Pink », avoir enfin trouvé votre voie ! Est-ce aussi votre sentiment ?
Au début, j'ai beaucoup travaillé dans le domaine musical. J'ai fait beaucoup de pochettes d'albums. Je me mets toujours au service de l'artiste pour essayer d’interpréter au mieux sa musique, pour raconter une histoire qui lui corresponde. C'est très créatif. « Pink » représente finalement la réunion de tout ce que j'ai fait jusqu'à présent : peinture, mise en scène... Et cette fois, c'est un vrai travail personnel d'artiste et non un travail de commande. Alors que j'avais fait beaucoup de portraits jusqu'ici, cette fois, j'ai voulu montrer des scènes plus lointaines où le décor prend une grande importance...
Le titre de l'exposition - « Pink » -, votre nom - Lisa Roze - et même vos ongles et votre robe : vous êtes attachée à la couleur rose, très présente dans votre série avec le bleu et le vert. Qu'évoque-t-elle à vos yeux ?
« Pink » est venue d'une manière naturelle et ludique. Et tous les acronymes qu'on peut trouver m'amusent : « Photo Inspiration Nadar Kimono » par exemple ! Il y a toujours du rose dans mes images. Le rose a quelque chose de doux, de cotonneux, de joyeux. Le titre de cette série a donc une importance sans en avoir.
Vous avez été l'assistante de Paolo Roversi : comment définiriez-vous son style ? Qu'est-ce qui vous a le plus influencée chez lui ?
J'ai commencé à faire des photos en noir et blanc à 15 ans, dans la rue, puis j'ai transformé ma salle de bain en laboratoire. Avec Paolo, j'ai passé 8 mois en prise de vue et un an en laboratoire à laver des négatifs. J'avais 20 ans. J'aimais la douceur qui se dégageait des photographies de Paolo. Il avait une façon délicate d'aborder la photographie de mode, de présenter les habits. En regardant ses photos, je n'avais pas forcément l'impression de devoir acheter le vêtement. Nous appartenions à la même famille de sensibilité. Lorsqu'on est assistant, on emmagasine finalement beaucoup d'informations en vue de trouver sa propre identité.
« Le portrait, c'est ce qui m'intéresse le plus en photographie. Je suis un portraitiste. La photographie de mode, je l'aborde comme un portraitiste... C'est l'atmosphère, l'aura du portrait qui donne vie au vêtement » a expliqué Paolo Roversi en février 2003 (Vogue, Paris). Qu'est-ce qui, pour vous, est le plus important en photographie ?
J'aime, par mes images, sortir de la réalité car le monde est dur. J'aime embellir. Je pense que c'est dur de faire simple et pourtant, quand on voit des portraits de Nadar, de Lewis Caroll, de Julia Margaret Cameron, on se rend compte qu'il y a rien et tout à la fois. Parfois, il suffit d'un regard et il se passe quelque chose, j'ai l'impression qu'on va à l'essentiel. Quand on est devant une photo, on se laisse porter ou non. On a la chair de poule ou on ne l'a pas. Pas besoin de concepts, d'analyses. Le tirage est déjà une interprétation et chacun peut ensuite se raconter sa petite histoire, un peu comme un conte. Et j'aime à me dire que les histoires de toutes mes photos sont liées.
Pink 15, Marie-Agnès GIllot & Gaspard Ulliel, 2009
Tirage argentique peint à la main (peinture et feuilles d’or), Pièce unique
16 x 20 cm © Lisa Roze
Lisa Roze // PINK
27 mai - 9 juillet 2016
Galerie Mathias Coullaud