© Phaidon
Révélation n°1 : Martin Parr est démocratique dans ses choix. Et comme il ne peut tout de même pas photographier n'importe quoi, sa sélection se fait en fonction de la beauté, de la couleur et finalement de la photogénie de la nourriture qu'il a sous les yeux. La nature des aliments est secondaire. Voilà pourquoi la saucisse et le sandwich ont, dans son livre Des goûts, autant la cote que la carotte ou le beignet. Mardi 24 mai, Claire Guillot, journaliste au Monde et chef adjoint du service culture, accompagnée d'Alexandre Cammas, fondateur et directeur du Fooding, étaient présents aux côtés du célèbre photographe britannique au MK2 Quai de Loire pour lui poser quelques questions. Nous y étions aussi !
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Installé à une petite table devant l'écran de cinéma de l'immense salle du MK2, Martin Parr déclare prendre de plus en plus ses distances avec le domaine de la photographie documentaire. Pour lui, ce genre est trop nostalgique, trop prévisible. Il confesse avoir envie de photographier la nourriture d'une autre façon : « La nourriture qu'on nous présente partout est toujours très jolie. Mais ça n'a aucun rapport avec ce que l'on mange au quotidien. » Real food : en anglais, le titre de son livre résonne comme la dénonciation d'une supercherie, comme la stigmatisation d'une société de consommation qui pousse les gens à manger sans prêter attention à la qualité de leurs produits. Martin Parr serait-il une sorte d'agent photographique de Scotland Yard, qui débusque les aliments peu catholiques, nous fait douter d’eux et de leurs teintes flashies ? « La junkfood est plus intéressante que la nourriture saine », avoue-t-il pourtant. Célébration ou dénonciation ?
© Martin Parr
Aller au cœur des choses
Le flash, qui, selon lui, a la particularité de rendre les aliments plus beaux, plus surréalistes – Martin est accro à ce joujou – n'éclaire-t-il pas ces mets de façon trop brutale ? Pas pour un photographe qui, comme lui, aime les extrêmes. Photographier une poutine de tout près, afin que l’on voit bien le détail des frites, du fromage (gluant) et de la sauce, ne lui fait pas peur. « Même s’il m’arrive de faire des petits bidouillages, je n’essaie pas de rehausser par la mise en scène. Ma démarche n’est pas stylistique, je veux laisser les choses telles qu’elles sont », confie le photographe britannique à l'assistance. Chacune des photos de son livre dit l’abondance alimentaire et la générosité des pâtissiers en terme de couleurs. Et même si ces photos peuvent, à première vue, paraître primaires, la symétrie, le geste de la personne photographiée en train de manger, tout fait sens avec beaucoup de simplicité. Martin Parr récupère, dans la banalité et le stéréotype, ce qui leur confère encore un peu d’âme.
Ce qui frappe, chez Martin Parr, c'est son côté folâtre, prêt à sourire de tout, même des questions pleines de sous-entendus d'Alexandre Cammas. Ce dernier a vu dans les photographies du britannique des références sexuelles. Une interprétation pas si farfelue que cela si l’on pense à ce long saucisson, enroulé sur lui-même, dont le bout se dresse fièrement. Cette image s’est-elle « faite » innocemment ? Notre malicieux photographe sait faire des allusions sans pour autant dévoiler tout ce qu'il avait en tête de vive voix, face au public.
De l’objectif, il pointe l’artifice, des mets mais aussi des êtres. « Le foodporn* m’a toujours semblé un peu étrange, comme si c’était une arnaque… Est-ce que ce n’est pas juste une façon de rendre sexy et glamour une vie morne ? Ceux qui prennent en photo leur nourriture feraient mieux de la manger ! » A cette phrase de Cammas, mi affirmative, mi interrogative, Parr répond : « C'est vrai que cette expression est peut-être exagérée. Mais maintenant, on fait souvent un selfie avec son copain en train de manger un merveilleux repas. C’est pratique courante et si j’emploie ce terme, c’est, disons, par licence poétique ! » Contrairement à ces personnes, Martin Parr explique prendre bien plus de photographies en tant que photographe qu’en tant que client. On l’imagine donc restant sage photographiquement parlant, quand il dîne au restaurant avec sa compagne Susie ou avec sa fille, Ellen. Ou quand il dîne chez lui, car Martin Parr a ses plats favoris, qu'il prépare lui-même : « J'aime cuisinier le poisson, le rosbif ou le poulet rôti. J’aime ces plats car tout y est une question de timing. Pour moi, faire la cuisine est toujours une question d’organisation du temps. » Loin d’être dégoûté par la nourriture à force de la photographier, Martin Parr parle en toute décontraction d’un sujet qu’il ne semble pas près de laisser tomber. « J’essaie de réinventer le réalisme pour faire émerger d’autres angles. Je serais toujours plus heureux dans un supermarché pour photographier les rayons que dans la ville d’Alep à prendre des clichés de la destruction.» Chacun son rôle...
* « Une représentation (sous forme d’écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.) de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées. » (source Lexicographie)