Présence d'une génération perdue © Didier Plowy
Touristes et historiens seront heureux d'apprendre la réouverture, toute récente, puisqu'elle remonte au 1er avril 2016, des parties hautes du Panthéon. Le dôme et le tambour ayant été restaurés, il est désormais possible de monter jusqu'en haut de la nécropole. La vue, incroyable, n'est cependant pas l'objet du recensement photographique. Le sujet est plus inhabituel, moins réjouissant... Rendre hommage, rafraîchir la mémoire collective et la perpétuer : tels sont trois des objectifs de cette exposition consacrée aux monuments aux morts de la Grande Guerre 1914-1918.
Au rez-de-chaussée, sur votre droite, non loin du pendule de Foucault, au milieu des fresques et des statues, la première exposition – Présence d'une génération perdue, de Raymond Depardon – compte une dizaine de photographies. Depardon a, comme il aime à le faire, sillonné la France pendant cinq ans au début des années 2000, dans le but de photographier le plus de monuments aux morts possible. Etrange idée non ? Pourquoi s'intéresser à ces monuments – à l'architecture plutôt froide – érigés au cœur des villes et des villages ? Les personnages des monuments aux morts sont figés dans la pierre et ceux qu'ils commémorent ne sont plus là. Ça, c'est ce que voient certains. Car pour d'autres, ce sont les marques tangibles d'une génération de soldats sacrifiés. « On ressent alors le malheur comme un violent paradoxe de l'honneur d'être cité au panthéon de son village », écrit François Hébel, commissaire de l'exposition. Une photo est prise à Céret, dans les Pyrénées-Orientales, une autre à Royan en Charente-Maritime, une troisième à Montcavrel dans le Pas-de-Calais.
Languedoc-Roussillon, Pyrénées-Orientales, Céret © Raymond Depardon, Magnum photos
Une douce lumière éclaire les monuments aux morts. Le ciel est bleu ou gris et les photographies semblent prises en toute simplicité, sans volonté d'effacer le petit détail – un fil électrique, un poteau – qui nuirait à la perfection de l'image. « Avec cette lumière très particulière, Raymond Depardon sublime avec pudeur et simplicité cet hymne à une génération perdue, cette douleur latente que le temps ne doit pas atténuer, pour empêcher une répétition de l'Histoire », souligne François Hébel.
« 36 000 communes, 36 000 cicatrices » © Didier Plowy
« Vous voyez ce que la photo peut faire ? »
Au-delà de sa visée commémorative, cette exposition apparaît – et le commissaire de l'exposition nous prend à témoin – comme une ode discrète à la photographie et à son pouvoir. Ce recensement photographique – « 36 000 communes, 36 000 cicatrices » – n'aurait en effet jamais rencontré ce succès si les photographes amateurs et professionnels qui ont envoyé leurs œuvres n'avaient pas eu un penchant particulier pour ce média. Et si Raymond Depardon n'avait pas proposé un protocole de prise de vue aussi agréable :
1/ Se mettre dos au soleil, ou, en intérieur, dos à la lumière dominante. Sinon attendre ou revenir !
2/ Prendre une première photo du monument sur son socle ou support.
3/ S’approcher. Prendre une deuxième photo sans le socle, gros plan du monument lui-même. Si possible en « contre-plongée » (du bas vers le haut avec le ciel ou plafond en toile de fond).
4/ Une troisième photo plus libre et plus distante afin de situer le contexte dans lequel est installé le monument.
Paris Val-de-Grace © Pauline de Ayala
On perçoit, à travers ces consignes, l'envie qu'avait Depardon d'inciter des amateurs à participer. Le recensement photographique et Présence d'une génération perdue se complètent, mais Depardon, en choisissant de ne pas nous livrer des images à la mise en scène dramatique – alors qu'un tel thème, la mort au combat, aurait pu le justifier – nous empêche de déceler quoique ce soit de nouveau ou de particulier dans ces monuments aux morts. Ses photos deviennent alors – comme un cimetière, une tombe, une église – un lieu de recueillement. On sait qu'il ne se passera rien, mais on regarde quand même.
L'armée de la rue Greneta, remise d'une décoration sur le front des troupes © Léon Gimpel SFP
Les regards frondeurs des gosses de Léon Gimpel
Enfin quelques humains faits de chair et d'os ! Que ce soit sur ses images en noir et blanc ou sur ses autochromes*, les gamins du photoreporter Léon Gimpel ont l'air de vrais guerriers. A leurs mimiques tantôt amusantes, tantôt féroces, on se dit qu'ils croient à cette guerre à laquelle ils jouent pendant que leurs papas la vivent vraiment et que leurs mamans travaillent à l'usine pour remplacer les hommes. Au fil des mises en scène du photographe, les enfants de la rue Greneta ont construit des canons de bric et de broc, des avions de pacotille, des drapeaux de fortune. Ils avaient même un lieu attitré. Une sorte de scène naturelle. Un quartier, limitrophe du Sentier, offrait, « le dimanche, le calme d’une petite ville de province ». « Un immeuble en cours de démolition me fournissait un décor de ruines très précieux pour certains sujets », précise le photographe.
La guerre des gosses, épilogue défilé des armées victorieuses sous l'Arc de triomphe © Léon Gimpel SFP
Malgré leur petite taille, les enfants ressemblent à des hommes. De mignons petits hommes parmi lesquels Léon Guimpel avait ses favoris : « une mention toute particulière est à réserver à « Pépète », le premier rôle de toute la troupe, l’as des petits acteurs à qui je confiais tous les rôles de premier plan que l’on réserve habituellement aux vedettes de la scène ou de l’écran. Petit, légèrement difforme, de nature scrofuleuse, ayant un peu l’aspect d’un gnome à la figure intelligente éclairée par des yeux pétillants de malice, il était impayable dans certains rôles, dans certaines attitudes ! » Si nous n'avons rien contre ces guerres miniatures où les enfants s'amusent, surtout quand les mises en scènes sont aussi jolies, on ne peut s'empêcher d'éprouver de l'amertume en pensant aux massacres qui se déroulaient dans la réalité. On est en 1915 et la guerre a commencé il n'y a pas si longtemps. « Au fil des jours, Léon Gimpel et son armée de gosses élaborent ce que l'on pourrait qualifier de « petite typologie des images de la Grande Guerre ». Presque toutes les scènes archétypales sont représentées », écrit Luce Lebart, commissaire de l'exposition et directrice des collections de la Société française de photographie. A l'époque jugée trop peu sérieuse par l’hebdomadaire L’Illustration, l’armée de la rue Greneta sera mise à l’honneur par la Société Lumière qui en présente, à l’automne 1915, des agrandissements en vitrine de sa boutique de la rue de Rivoli. Les photos de Léon Gimpel ont été boudées une fois, mais pas deux !
* Ce procédé, qui emploie la méthode additive, enregistre l'image sur une seule plaque photographique, sous forme d'une image noir et blanc composite représentant le rouge, le vert et le bleu.
L'exposition a lieu du 21 mai au 11 septembre.
Plein tarif : 8,50 euros