© Man Ray, Portrait de Lee Miller, Paris, France, 1929
Une chose est sûre, sa carrière n'aura pas été un long fleuve tranquille. Celle qui avait commencé en tant que mannequin à New-York est arrivée en Europe, et plus exactement dans le Paris de la fin des années 1920, où elle a commencé à étudier la photographie dans l'atelier de Man Ray. Elle y a appris tout ce que l'homme savait et est ainsi entrée dans le cercle des artistes d'avant-garde, bien qu'elle n'y ait pas joué de rôle actif.
D'une photographie surréaliste…
Longtemps réduite à son statut de muse, comme elle servait encore souvent de modèle, Lee Miller n'a été reconnue en tant que photographe que tardivement. Cette collaboration artistique avec Man Ray a été vue comme une sorte de dialogue entre les deux photographes.
© Lee Miller : Akt, Paris, France, 1930
Pendant cette période, le travail de Miller s'est fait surréaliste et a connu une réception mitigée. D'un côté, on lui a reproché de s'être conformée à la pratique dominante d'exhibition du corps féminin. De l'autre, elle a contredit cette critique, donnant en guise de réponse radicale et ironique aux artistes surréalistes un travail documentaire dans un hôpital, où le démembrement des corps féminins est le thème central. On voit notamment, suite à une amputation chirurgicale, un sein dans une assiette, comme s'il s'agissait de nourriture servie par un restaurant.
Elle s'est également caractérisée par l'utilisation de la solarisation, qu'elle a redécouvert par hasard, lors d'une séance de développement. Effrayé par un animal dans la chambre noire, l'artiste avait dû allumer la lumière l'espace d'une seconde, exposant des films non-fixés à la lumière blanche. Le résultat : un mix surprenant entre positif et négatif.
Après l'ouverture de son propre studio en 1930, elle a souvent réutilisé la solarisation dans ses œuvres commerciales. Avec le changement de studio, elle s'intéresse à la photo urbaine, sillonnant la ville à la recherche de motifs non-conventionnels, en s'inspirant des rues nocturnes d'Eli Lotar ou du Paris sombre aux rues désertes d'Eugène Atget. On retrouve une influence surréaliste, sans connotation sexuelle cette fois, où par exemple du goudron coagulé ressemble à une pieuvre voulant saisir les pieds d'un homme.
… à la correspondance de guerre
Après s'être brillamment émancipée de l'influence dominante de Man Ray, elle a rompu avec le surréalisme en devenant correspondante de guerre. Avec une approche non-sentimentale de la réalité, ses clichés ont apporté un témoignage unique.
Sa relation particulière à la guerre a débuté en 1940, à Londres, où elle a réalisé un reportage photo de la ville après son bombardement par la Luftwaffe. Une partie de son travail a été publié au Royaume-Uni et a même gagné une audience américaine. Cela continuera avec son travail de journaliste de guerre avec Vogue. Le magazine de mode s'était donné la mission de donner des conseils de consommation dans une époque de restriction et de s'intéresser aux conséquences de la guerre. Alors que les femmes avaient gagné de nouvelles opportunités d'indépendance et d'évolution sociale, la photographe a joué par exemple avec des poses typiques de la photo de mode, pour illustrer l'intérêt de nouveaux équipements comme des masques de protections, donnant même des conseils de maquillage et de coiffure permettant de garder de la féminité.
© Lee Miller, Fashion for factories, Vogue UK, London, Angleterre, juin 1941
Pour ce qui est du travail au front, la censure et la propagande se faisaient sentir. Rien n'était publié sans l'accord du Ministère de l'Information. Bon nombre de clichés de Miller ont été détruits car compromettants quant à l'utilisation d'armes secrètes, de napalm… Il aura donc fallu attendre 1943 pour voir son premier reportage American Army Nurses sur les infirmières militaires américaines.
Figurant parmi les 117 femmes correspondantes accréditées – ce qui ne comprenait pas d'implication directe dans les scènes de batailles, contrairement à ses collègues masculins comme Robert Capa – Lee Miller s'est s'intéressée à celles qui se situent de l'autre côté de l'objectif, à l'exemple de Margaret Bourke-White, rendue célèbre par ses vues aériennes des villes bombardées. En dehors des journalistes, Miller a présenté les femmes pilotes, soldats, et autres qui s'étaient aventurées dans des domaines masculins, de manière à mettre en évidence l'émancipation féminine en mobilisation contre une régression des droits acquis.
© Lee Miller, David E. Scherman photographie le maire, Mairie de Leipzig, Allemagne, 1945
Par la suite, arrivée dans des villes allemandes comme Leipzig ou dans des camps de concentration pour documenter la Libération, elle s'est distinguée par ses choix de cadrage. Elle nous a ainsi livré des images strictement frontales des scènes horrifiantes dont elle a été témoin, prises en plans serrés, ne laissant aucune échappatoire à l'observateur. Elle n'hésitait pas à se mettre à hauteur des sujets ou encore à remarquer détails auxquels ses collègues masculins n'auraient accordé aucune attention, comme ce que certains détenus utilisaient en guise de chaussures.
© Lee Miller, Prisonniers libérés sur leurs couchettes, Dachau, Allemagne, 1945
Toujours avec ce regard acéré, féministe et à l'instar du surréalisme qui brouille les frontières entre réel et irréel, elle a développé un nouveau style de documentation entre objectivité et subjectivité. Il faut dire que cela n'a pas dû être évident de faire face à la réalité des camps. Mais « voir, c'est croire » et il incombait à Miller de nous faire croire à ce qu'elle voyait. En plus de se détacher complètement de la photo de mode, elle a aussi écrit elle-même les textes accompagnant les clichés publiés dans Vogue.
Miller dans la baignoire d'Hitler
Lors de la libération de Munich, ironiquement, les appartements de Hitler étaient échappés des bombardements. L'occasion d'en faire un symbole fort en se les appropriant pour y installer un quartier général des forces alliées. Cela nous a valu la célèbre image de Miller prenant un bain dans la baignoire du dictateur déchu, publiée en 1945 dans le magazine Life. Cette intrusion dans l'intimité de ce personnage désacralise ce qui faisait son quotidien et celui d'Eva Braun.
© David E. Scherman, Lee Miller dans la baignoire de Hitler, Munich, Allemagne, 1945
C'est par son voyage à Vienne entre août et octobre 1945, que se termine sa carrière de journaliste de guerre. Elle s'est alors consacrée à la vie d'après-guerre de cette ville abattue et sous occupation soviétique. Mais ses troubles de dépression post-traumatique semblent finalement l'avoir emporté sur son enthousiasme légendaire. Heureusement pour nous, l'artiste nous a laissé un héritage riche et intemporel, qui ne cessera jamais de servir d'inspiration aux nouvelles générations.
Lee Miller
Walter Moser, Anna Hanreich, Astrid Mahler, Elissa Mailänder et Ute Wrocklage (Auteurs)
Hatje Cantz Verlag (Édition)
2015
Deutsch, Englisch
ISBN-10: 3775739556
ISBN-13: 978-3775739559
Dimensions du produit: 20,8 x 2,5 x 27,4 cm
29,80 Euro (Allemagne) – 35 Euro (France)